Publié le 7 Jun 2012 - 16:30
REPORTAGE - SAINT-LOUIS

La survie d’une cité en question

Maison reconstruite

 

Au moment où Saint-Louis accueille le premier Conseil des ministres décentralisé de l’histoire du Sénégal, EnQuête revient sur les énormes chantiers qui y attendent le gouvernement d'Abdoul Mbaye.

 

Selon le ministre de l’Aménagement du territoire et des Collectivités locales Cheikh Bamba Dièye, le Conseil des ministres qui va se tenir ce jeudi à Saint-Louis était prévu à Kaolack. Toutefois, pour des raisons de commodité et d’organisation, il se tient aujourd'hui dans la vieille ville. Le gouvernement va plancher sur les attentes de la collectivité locale et des populations. Ainsi, pour le maire de la ville, ''c’est un grand honneur pour les Saint-Louisiennes et les Saint-Louisiens d’accueillir le premier Conseil des ministres décentralisé de l’histoire du Sénégal''.

 

Aujourd’hui, Saint-Louis attend la réalisation de nombreuses promesses déjà faites, plus pour briser l’élan frondeur des populations que pour éradiquer les éternels et lancinants problèmes de la vieille cité tricentenaire (353 ans). Le département de Saint-Louis a été officiellement créé en 2002, avec une superficie de 879 km², pour 271 912 habitants. Toutefois, 74 04% de la population du département vivent sur 05,12% de sa superficie totale. Et Saint-Louis reste confinée dans les limites de sa création. Son extension est donc une nécessité impérieuse. Le redécoupage et le redimensionnement des collectivités locales de ce petit département est une nécessité vitale. La ville regorge de nombreuses potentialités, notamment au niveau de la pêche et du tourisme, deux secteurs qui tardent à prendre leur envol.

 

 

L'écueil des licences de pêche

 

 

La pêche n’est plus ce qu’elle était à Saint-Louis. Tout est au ralenti dans le secteur où les licences de pêche sont délivrées au compte-gouttes par la Mauritanie qui tient à préserver ses eaux poissonneuses. À cela s'ajoutent les incessants accrochages entre pêcheurs guet ndariens et garde-côtes mauritaniennes. Ainsi, de plus en plus, les pêcheurs de Guet Ndar et de la Langue de Barbarie se retrouvent en chômage technique. ''Nous rencontrons au quotidien de grandes difficultés avec les policiers mauritaniens, car on ne connaît pas les limites de la frontière maritime. Chaque jour, ce sont des arrestations tous azimuts'', râle le pêcheur El Hadj Sarr. À Guet Ndar, la complainte est la même, chez tous les pêcheurs qui ne demandent que des licences pour pêcher. Sada Fall, secrétaire général du collectif des pêcheurs artisanaux du Sénégal, sollicite l’intervention de l’État et estime que les licences ont créé plus de difficultés qu’elles n’en ont réglées car, soutient-il, la majorité des pêcheurs de la Langue de Barbarie ne peuvent pas aller en mer, faute du sésame. En visite récemment à Saint-Louis, le ministre de tutelle Pape Diouf a donné l'assurance qu’au-delà des 300 licences délivrées, d’autres seront négociées avec la Mauritanie.

 

 

À l'épreuve du tourisme clandestin

 

 

La région de Saint-Louis a tout pour être un grand pôle touristique. La ville recèle un beau patrimoine historique, culturel et naturel dont la valeur est avérée. Le secteur du tourisme doit utiliser toutes ces richesses pour faire de la vieille ville une destination de choix. Mais, il souffre de plus en plus du tourisme clandestin, avec la prolifération des maisons d’hôtes non déclarées et des auberges non autorisées. Ce que dénonce avec véhémence le directeur de la Maison Rose Doudou Gaye. ''Le problème de la classification des hôtels est essentiel dans la promotion touristique, dit-il. Le système est gangrené par la corruption et je pense qu’il faut les classer selon leur mérite''. Il attire l’attention des autorités sur l’insécurité qui règne à Saint-Louis et en appelle à l’installation d'une police touristique.

 

Par ailleurs, Doudou Gaye invite le gouvernement à mettre en symbiose l’artisanat et le tourisme, tout en demandant la réhabilitation du village artisanal. ''Nous exigeons de l’État et du syndicat la formation des hôteliers et l'arrêt de la prolifération des guides touristiques amateurs'', martèle le directeur qui souhaite l'accompagnement des professionnels du tourisme et espère que le Conseil des ministres prendra en compte toutes ces considérations. Avec un taux de fréquentation de 80 à 85%, en saison haute, Doudou Gaye estime que les autorités doivent faire des efforts pour vendre la destination Saint-Louis, ''une ville à quelques heures de vol d’Europe''. C’est pourquoi, il incite l'État à réhabiliter l’aéroport international de Saint-Louis.

 

 

Vers un tourisme culturel

 

De Saint-Louis à Podor, en passant par Rosso, Richard-Toll et Dagana, les populations sont restées profondément ancrées dans leurs traditions. Malgré toutes ces potentialités, Saint-Louis est appelée à faire face à de nombreux défis. Surtout avec l’émergence d’une clientèle avide de découvertes et de plus en plus exigeante. La culture est devenue la principale motivation de millions de personnes qui voyagent et dépensent. Elle représente un levier important pour le développement du tourisme durable. De ce point de vue, Saint-Louis a les moyens de développer un tourisme culturel.

 

Le Directeur du Syndicat d’Initiative et du tourisme, Ahmadou Cissé, insiste sur l’importance du tourisme culturel qui est aujourd’hui en vogue. ''Les temps ont changé, dit-il. Lorsqu’on va visiter un pays, on veut aller jusqu’au fond, comprendre les réalités socio-économiques, les forces traditionnelle et culturelles''. Il précise que pour développer un secteur, il faut d’abord se positionner. ''Saint-Louis a inventorié ses potentialités ; et l’ensemble des acteurs et décideurs du secteur, après discussion, ont pensé que Saint-Louis pouvait développer un tourisme de découvertes qui s’appuie sur les différents patrimoines de Saint-Louis et de sa région'', souligne-t-il, en rappelant que le patrimoine architectural est lié au patrimoine culturel.

 

 

L'avancée inexorable de la mer

 

Du fait des agressions subies par l’environnement, les secteurs de la pêche et du tourisme sont en danger. La lutte contre l’érosion marine est devenue un sacerdoce pour tous les Saint-Louisiens. La ville est sérieusement menacée par l’avancée inexorable de la mer. Chaque année, celle-ci pousse les populations à quitter leurs habitations. C'est le cas à Doune Baba Dièye, dans le Gandiole. A cela s’ajoutent les méfaits de la brèche édifiée, dans la précipitation, en 2003, pour sauver Saint-Louis. Elle continue à s’élargir et cause une perte importante de cette source de vie qu’est l’eau. Car canalisée, cette eau pourrait être dirigée vers le bas, le moyen et le haut delta où s’exercent les activités agricoles.

 

Saint-Louis a des avantages immenses et le fleuve constitue un atout majeur. C’est pourquoi son dragage constitue une demande pressante. L’assainissement est également un problème majeur. Les populations de la ville demeurent convaincues que ce premier Conseil des ministres décentralisé de l’histoire du Sénégal, ne sera pas une nouvelle opération de charme, mais l’expression d’une ferme volonté de changement et de plus de pragmatisme.

 

Fara SYLLA

 

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