Les misères du quotidien
Il y a quelque temps, EnQuête faisait état du désappointement des policiers par rapport à leur nouveau statut qui devait les sortir de la précarité. La situation des retraités de ce corps est beaucoup plus dramatique et interpelle tous les acteurs engagés dans la bataille des Législatives. Cheikhna Keïta, président du Mouvement national des policiers à la retraite du Sénégal revient sur leur misère, les promesses non tenues de Wade, celles de son successeur Macky Sall. Au passage, M. Keïta fait des révélations décapantes sur l'épisode douloureuse de la radiation des policiers sous Abdou Diouf.
''La promesse de Macky Sall''
''Nous sommes une association forte de 20 000 membres disséminés à travers tous les départements du Sénégal et organisée en 25 cellules''. Il s'agit des policiers à la retraite dont Cheikhna Keïta, ancien brigadier-chef des corps de la paix, est le président. Ces agents à la retraite n'en peuvent plus de tirer le diable par la queue. Et ils attendent du nouveau président de la République, Macky Sall qu'il tienne sa promesse : ''Régulariser notre situation, une fois élu'', selon Cheikhna Keïta. ''Le 11 octobre 2011, raconte-t-il, au moment où nous nous acheminions vers l'élection, Macky Sall, par le créneau d'un ami, m'a appelé. Il m'a reçu à son domicile. Nous avons partagé un même repas''. Il y avait, ce jour-là, Djabel Diop, un policier à la retraite et Mbaye Ndiaye, actuel ministre de l'Intérieur. ''Macky Sall nous a demandé de le soutenir. Ce que nous avons fait sans ambages. Aujourd'hui, ses vœux sont exaucés, qu'il nous l'applique''. Les policiers à la retraite demandent donc que leur soit appliqué le nouveau statut de la police. ''Nous ne pouvons plus continuer à attendre. Nous voulons que, dans l'immédiat, le président s'occupe de la situation de précarité des policiers retraités. Nos pensions ne valent rien par rapport aux autres corps''. Ils interpellent également le ministre Mbaye Ndiaye, témoin privilégié de cet entrevu et qui connaît le dossier. ''Ce jour-là, confie-t-il, Mbaye Ndiaye a dit à Macky Sall : ''Lorsque vous serez élu, le seul poste que je demande est celui de ministre de l'Intérieur''.
A en croire Cheikhna Keïta, ils sont 200 brigadiers-chefs à la retraite à vivre ''une véritable injustice''. Car, au moment de prendre leur retraite en 2002, ''une note circulaire du directeur général de la Sûreté urbaine, Cheikhou Cissé, a demandé à tous les chefs de service de la police de maintenir tous les éléments qui appartenaient au corps des gardiens de la paix devant aller à la retraite à 52 ans''. À l'époque, une loi votée et promulguée par le chef de l'État proroge l'âge de la retraite à 60 ans. Maintenus au sein de la police, les 200 gardiens de la paix doivent attendre de connaître le nombre d'années de rallonge, compte tenu de la spécificité de leur corps. Le nouveau statut de la police en gestation maintient le flou. Le 17 février 2006, un message du directeur de sécurité publique, le commissaire divisionnaire Pape Gorgui Faye fait état du décret 2005-1259 du 25 décembre 2005 qui limite à 55 ans l'âge de la retraite. ''On nous a notifié la retraite, suite à ce message, sans aucun arrêté de mise à la retraite'', renseigne-t-il.
Le ''travail forcé'' des policiers
Toutefois, lorsqu'entre en vigueur le nouveau statut, en mars 2009, son décret d'application indique que ''tous ceux qui sont retraités à 55 ans ne seront pas pris en compte, sauf ceux qui ont pris la retraite à 55 ans au moment de la signature de ce décret''. Une mesure qui exaspère les retraités de la police. ''C'est du n'importe quoi, du mépris. Nous avons fait 55 ans de service, comme le stipule le nouveau statut. On ne nous prend pas en compte, à cause d'un problème de budget''. Cette disposition, martèle-t-il, viole l'ancien et le nouveau statut. ''La loi est claire avec l'ancien statut, en son article 37. Elle dit que 'tous les gardiens de la paix à la retraite qui ont appartenu à ce corps doivent bénéficier de la pension militaire de retraite. La même recommandation a été reconduite dans le nouveau statut en son article 41''. Selon Cheikhna Keïta, le texte stipule que ''les membres de la Police nationale appartenant au corps des agents de Police bénéficient du régime des pensions militaires de retraite''. Mais, regrette-t-il, ''on ne nous l'applique pas. On est en train de nous aligner à la pension civile d'ancienneté qui n'existe pas''. N'ayant pas été demandeurs des années de service supplémentaires, les retraités de la police demandent ''à être dédommagés des trois ans, pour les uns, et 4 ans, pour les autres, de service de plus au-delà de l'âge de 52 ans, pour les usures corporelles subies'', à défaut de leur appliquer le nouveau statut. Sinon, ''c'est du travail forcé'', s'exclame l'ancien brigadier-chef des corps de la paix.
La situation est pire pour les policiers radiés partis à la retraite, à qui on défalque les 7 années de radiation. ''N'ayant même pas la pension proportionnelle, il se retrouve avec des pensions minables de 40 000, 50 000, voire 60 000 F Cfa, au plus, avec 70 000 F Cfa''. Cheikhna Keïta parle d'une ''véritable aberration''. Lui et ses anciens collègues interpellent le président de la République. ''À l'État de les prendre en charge, dès l'instant qu'il y a réintégration. Nous avons calculé, cela fait 1 milliard 350 mille F Cfa pour que ces retraités aient une pension complète''.
Syndicalisation de la police et avancement dans la carrière
Nous avons une police militarisée au Sénégal. Mais très peu de gens savent que la police sénégalaise était syndiquée de 1960 à 1966. ''En 1966, quand il y a eu clivage entre Mamadou Dia et Senghor, la police avait comme ministre de l'Intérieur Valdiodio Ndiaye, un proche de Mamadou Dia. Il a donné à la police instruction de suivre Mamadou Dia, ainsi que la garde républicaine'', raconte Cheikhna Keïta. Par la suite, poursuit-il, ''Senghor a dit que c'était trop, qu'il fallait la militariser. D'où le statut de 1966 qui nous a militarisés''. Entre temps, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts et les policiers estiment que le temps est venu pour eux d'avoir un syndicat qui puisse défendre leurs intérêts. ''Nous demandons à l'État sénégalais de nous traiter au même pied d'égalité que les autres corps sénégalais. Nous voulons une police républicaine qui sécurise les personnes et les biens. Nous ne voulons plus d'une police à la solde de la puissance étatique. Nous avons besoin d'un syndicat comme toutes les polices du monde''. En outre, Cheikhna Keïta et ses camarades réclament de l'avancement dans les carrières, à l'instar de ce qui s'est passé avec l'actuel chef de la police Codé Mbengue, anciennement commissaire divisionnaire de classe exceptionnelle, récemment promu au grade d’inspecteur général de police.
Wade et sa politique de mise en scène
On considérait l'ancien président Abdoulaye Wade comme le bienfaiteur des policiers radiés. Lui qui leur a permis de réintégrer les rangs de la police. Eh bien ! Il n'en est rien, si l'on en croit le représentant des policiers retraités du Sénégal. Il parle d'une ''politique de mise en scène''. ''En 1987, Wade disait que la radiation était anticonstitutionnelle. En tant qu'opposant, il se devait de le dire. Les radiés l'ont appuyé dans sa marche vers le palais''. Non content d'avoir attendu 12 ans pour permettre aux policiers radiés, devenus policiers municipaux, de retourner dans la police, Cheikhna Keïta renseigne que Wade ne les a pas réintégrés. ''Au Sénat et à l'Assemblée, on a parlé de réintégration. Mais, sur le papier, on a mis admission''. Selon lui, Wade a bluffé tout le monde.
Gaston COLY