Le Sénégal en force avec une vingtaine d’œuvres
Du 22 février au 1er mars prochains, à Ouagadougou, se tiendra la 29e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco). Un événement incontournable du 7e art africain. Cette année, le Sénégal s’impose comme un acteur majeur, en alignant pas moins de 18 œuvres, incluant films et projets divers.
Lors de la dernière édition du Fespaco, le Sénégal n’avait présenté que 12 œuvres, dont huit en compétition. Cette année, le pays y va avec 18 œuvres sélectionnées pour cette 29e édition. Une progression notable qui suscite l’enthousiasme et l’attention des acteurs du secteur cinématographique. La journaliste critique de cinéma, ancienne présidente de la Fédération africaine des critiques de cinéma (Facc), Fatou Kiné Sène, souligne les multiples efforts qui ont permis cet accroissement significatif.
¨On peut saluer ce nombre assez important. C'est une première, je crois, dans le cinéma sénégalais, de voir qu’on a autant de films et de projets sélectionnés pour une édition du Fespaco. Il faut surtout saluer l'arrivée des jeunes, parce que dans cette sélection, il y en a beaucoup qui sont présents¨, a-t-elle affirmé. Elle soutient que beaucoup d’entre eux ont pris l’initiative de présenter leurs films et ils ont été retenus. Dans ce sens, elle n’a pas caché sa satisfaction. ¨Il est heureux de voir cette vague de jeunes qui arrive et qui, peu à peu, prend en main le cinéma sénégalais’’.
En outre, pour Fatou Kiné Sène, c’est l’engagement des jeunes cinéastes sénégalais et leurs efforts qui sont à saluer.
Des propos appuyés par le directeur de la Cinématographie, Germain Coly joint par ‘’EnQuête’’. D’après lui, cette sélection témoigne du dynamisme de l'écosystème du cinéma sénégalais. ¨C’est la résultante des efforts qui sont faits de part et d'autre pour atteindre ces résultats", dit-il en mettant l’accent sur la participation de l’État du Sénégal qui a défini une politique cinématographique bien pensée. ¨Nous déroulons depuis un peu plus de dix ans cette politique avec des textes qui organisent le métier, mais également la mise en place de mécanismes de financement à travers le Fopica qui permet de prendre en charge les projets des professionnels¨.
Ainsi, il soutient que cela a permis de booster une production importante de projets, car à travers cette démarche, les professionnels qui ont des projets peuvent s'attendre à bénéficier du soutien de l'État du Sénégal qui, à la longue, leur permet de réaliser leurs films. ¨Le Fopica ne finance pas que la production. Nous finançons également la formation. Ce qui est très important pour avoir des ressources humaines de qualité. Le Fopica finance le rayonnement du cinéma à l'international et aujourd'hui, il contribue à faire de sorte que nous ayons un écosystème dynamique¨.
Par ailleurs, d’après Germain Coly, cette forte sélection des œuvres sénégalaises est en quelque sorte comprise comme un retour sur investissement. ¨Le Fopica finance le rayonnement du cinéma à l'international et à l'échelle mondiale. Et on nous voit aujourd’hui. Que ce soit au niveau du Festival de Cannes, au niveau des Oscars, au niveau de Berlin, etc., nous sommes toujours présents. Il contribue à faire en sorte que nous ayons un écosystème dynamique", conclut-il.
Une sélection appréciée également par les réalisateurs
À côté de cet accompagnement institutionnel, cette sélection reflète le fruit d’un engagement accru des cinéastes sénégalais. Le réalisateur Abdoulahad Wone, en course avec sa série ¨Debbo¨, souligne que cette nomination résulte de plusieurs efforts et se dit ravi qu’il y ait 17 œuvres à côté de la sienne. ¨C’est une sélection qu’on reçoit avec beaucoup de plaisir. C’est une reconnaissance¨, dit-il en rappelant que c’est son troisième Fespaco. Il a d’ailleurs remporté le Grand Prix de la catégorie séries en 2017.
‘’En 2019 aussi, j'ai participé et malheureusement, je n'ai pas gagné. Mais bon, j'espère que cette édition, on va la remporter¨, souhaite-t-il. Pour lui, l'essentiel est la participation, car ce festival met en avant les œuvres à l’international et permet de découvrir les œuvres d’autres réalisateurs.
Une absence dans la catégorie documentaire
Le Sénégal est présent dans les différentes catégories : court-métrage, long-métrage fiction, série télévision, film d’animation, section panorama, etc. Il brille par son absence dans la compétition documentaire. Ce qui entraîne des questions, surtout avec le triomphe du documentaire de Mati Diop ¨Dahomey¨, qui a remporté l'Ours d'or à la Berlinale en 2024. D’après la réalisatrice Mame Woury Thioubou, cela est lié à plusieurs facteurs. D’abord l’économie. Selon elle, ¨le documentaire a besoin d'un écosystème un peu différent de celui de la fiction. Ça demande qu'il y ait une certaine expertise, voire une spécialisation dans le cinéma. Cependant, poursuit-elle, si on regarde un peu, il n'y a pas beaucoup de producteurs qui sont uniquement dans le documentaire. C’est justement parce que l'économie est assez compliquée et que cela ne rapporte pas beaucoup’’.
Le réalisateur préfère donc aller vers la fiction où il peut y avoir des sorties en salle. Ce qui donne plus d'opportunités pour se faire de l'argent.
Mame Woury Thioubou souligne aussi le facteur temps. ¨Le développement d’un documentaire prend du temps. On peut même faire plus de deux ans uniquement pour écrire. Sans oublier le fait de collaborer, de travailler et d'évoluer ensemble. ¨En outre, c’est une production difficile, ce qui peut expliquer l’absence du long métrage documentaire du côté du Sénégal’’ où, selon lui, on n'a pas encore trouvé le moyen de mettre en place ce qu'on a.
Le point de vue de Fatou Kiné met en avant les critères établis par le jury. ¨Les membres du jury reçoivent des films et ils ont des critères qui leur sont propres. Je crois qu'il faut regarder de l'autre côté et voir si le Sénégal avait assez de documentaires¨, suggère-t-elle. Toutefois, elle propose : ¨Je crois qu'il faut booster ce genre cinématographique qui n'est pas assez soutenu, à mon avis, au Sénégal. Parce qu'il y a peu de documentaires qui sortent, qui sont faits et soutenus par nos cinéastes.¨
Pour élucider encore mieux cette absence, le critique cinématographique et réalisateur Baba Diop affirme : ¨S’il n'y en a pas, c'est dans doute parce que ceux qui ont choisi ont jugé peut-être supérieur à la qualité du documentaire. Je ne sais pas qui avait postulé pour le documentaire. Mais il y a aussi le fait que si les documentaires ont beaucoup circulé, peut-être qu'ils n'ont pas pu trouver nécessaire de les mettre sur la liste¨, éclaire-t-il.
Ainsi, selon lui, c’est le comité de gestion qui a ses propres critères et qui pourrait approfondir la question. ¨Ce n'est pas dit aussi que, dans toutes les sélections, il faut que le Sénégal puisse y figurer¨, tempère-t-il.
Ainsi, le Sénégal brillera par ses 18 sélections au Fespaco 2025. Surtout avec un joker. En effet, le seul film en lice du Sénégal, dans la compétition reine, le long-métrage fiction, est ¨Demba¨ de Mamadou Dia qui concourt pour l’Étalon d’or du Yennenga. Ce film est rentré au Sénégal avec le Tanit de bronze des Journées cinématographiques de Carthage (JCC). Une sélection qui apporte tout de même, un peu de calme et de sérénité face à l’absence d’un long métrage documentaire du côté du pays de la Téranga.
THECIA P. NYOMBA EKOMIE