Publié le 25 May 2021 - 11:55
SÉNÉGAL - ENTRE RÉFORMES AUDACIEUSES ET IMMOBILISME PÉRILLEUX

L’impératif du changement social et des ruptures

 

INTRODUCTION : ALERTE ET EXIGENCE DE CHANGEMENT : NE PAS SE TROMPER DE DIAGNOSTIC, ENCORE FAUT-IL EN AVOIR UN !

Le fossé de plus en plus grand entre les discours vaniteux sans aucun bénéfice d’inventaire des décideurs politiques et des élites qui gravitent autour d’eux et la réalité sociale fortement dégradée a entrainé une rentrée en scène brutale des acteurs sociaux. Par une communication magique, visions géniales, stratégies pertinentes et performances économiques et sociales jamais égalées, cette élite s’épanche dans une prédisposition quasiment génétique à l’optimisme, à une extraordinaire capacité à se réinventer, à fabriquer du rêve, à relever des défis sociaux et les multiples précarités. S’enfermant hermétiquement dans des contorsions redoutables, elles deviennent frappées d’un autisme absurde et d’un aveuglement total et paradoxal sur les questions sociales vitales (pauvreté, chômage, fortes inégalités et diverses autres précarités). En attente d’une nouvelle économie qui pourrait dessiner les prémices du changement et de l'avènement d'une modernité originale, la jeunesse, les femmes, les ruraux et tous les laisser pour compte des banlieues surchargées prennent du champ par rapport aux poncifs de la politique et de la société.

Ce mouvement social procède de multiples frustrations, exclusions, humiliations qui constituent le terreau fertile de tous les entrepreneurs de violence qui y trouvent toujours leur clientèle idéale. Cela commande des réformes politico-socio-économiques profondes.

I/ DES RÉFORMES STRUCTURELLES RADICALES, PROFONDES ET CONCERTÉES DE L’ARCHITECTURE DES POLITIQUES ÉCONOMIQUES : INÉVITABLES TRANSFORMATIONS STRUCTURELLES.

Cette réforme est une condition préalable de tout développement économique et social inclusif. La transformation structurelle doit opérer toutes les réaffectations des ressources financières des activités traditionnelles vers des secteurs à forte productivité (tels que l’industrialisation manufacture et les services modernes) et régler les problèmes institutionnels et ceux relatifs à la biologie sociale que j’appelle parfois le logiciel mental. Le rythme de croissance lent de la production du primaire, combiné à celui du secondaire relativement stagnant et celui du tertiaire plus soutenu et plus rapide, traduit la difficulté majeure pour le Sénégal d’asseoir une dynamique de croissance capable d’accroitre la richesse, de réduire la pauvreté et d’améliorer l’emploi.

J’avais développé ces idées partout au Club Nation et Développement, au Comité Central et au Bureau Politique du PS chaque fois les oreilles de la baronnie socialiste se bouchaient hermétiquement. Pourtant, Il est paradoxal pour un Parti social-démocrate d’ignorer les valeurs fondatrices de son modèle : la solidarité, la justice sociale et la répartition équitable des fruits du travail qui rattache le revenu au mérite, à la compétence et à l’efficacité. Comme l’observe J. DELORS « mieux le gâteau est réparti, plus il est gros ». Pour n’avoir jamais su concilier efficacité économique et équité, le Parti socialiste ne pouvait pas réaliser « une société plus douce pour les faibles et plus exigeante pour les forts » selon le mot d’Olof PALM. Cette ignorance a fait perdre le Parti aux élections de 2000 malgré7% de taux croissance.

Il importe d’analyser avec lucidité et sans œillères la crise sociale que traverse le pays. Sommairement, le couple pauvreté (précarités) et chômage s’approfondit. En milieu rural, 65,2% des individus et 57,5% des ménages vivent en dessous du seuil de pauvreté. Ce pourcentage est plus faible dans les centres urbains (globalement entre 50,1% et 43,3%) et nettement plus bas à Dakar (42,0% et 33,6%). De fait, le milieu rural contribue à hauteur de 65% à la pauvreté. La proportion de demandeurs d’emploi dépourvus de diplôme reste très élevée : elle est de l’ordre de 57% là où seul 1,6% sont titulaires d’un diplôme universitaire. De même les inégalités sociales se creusent dangereusement sans aucune politique claire de justice sociale ou même de répartition du revenu : moins de 10% de la population contrôlent plus de 80% de la richesse nationale en l’absence d’une politique correctrice de répartition des fruits du travail d’où le binaire infernal une minorité trop riche et une majorité trop pauvre.

La complexité de notre économie commande que la pratique de la politique économique soit éclairée par une capacité analytique et une expertise indépendante dans les domaines qui suivent : (i) Le Cadrage macroéconomique et l’étude de l’opérationnalité des instruments de la politique économique à savoir : la politique budgétaire, la politique monétaire, la soutenabilité de l’endettement ; (ii) L’Évaluation des politiques sectorielles : agriculture, industrie, services et secteur quaternaire dans l’optique de leur contribution au processus de croissance et (iii) L’Appréciation des politiques transversales concernant les infrastructures : hydrauliques, routières, énergétiques et les réformes structurelles devant les accompagnent. Une simple question de bon sens, un médecin sérieux ne peut sérieusement vous soigner sans un diagnostic exact.

Nos recherches ont abordé depuis les années 80 toutes ces composantes majeures de nos politiques sectorielles (agriculture, industrie, secteur tertiaire, systèmie bancaire et les diverses transverses contribuant à élever la productivité globale des facteurs) pour une économie soutenue d’offre productive. Ces politiques sectorielles sont analysées   au niveau des quatre ouvrages qui suivent : (i) L’État, le technicien et le banquier face aux défis du monde rural sénégalais, NEA ; (ii) L’économie du Sénégal, les défis demi-siècle de croissance atone l’Harmattan, (iii) L’industrialisation africaine est possible. Quel modèle pour le Sénégal, L’Harmattan et (iv) Le secteur privé sénégalais, jambe faible de l’Émergence entre entreprenants et entrepreneurs, L’Harmattan. De ces travaux, il découle que la vitalité d’une économie se mesure à la capacité de croissance de ses entreprises, au dynamisme de ses entrepreneurs, au développement de son tissu économique et aux mesures prises par les pouvoirs publics pour l’amélioration de cet écosystème.

Les voies et moyens d’accélérer la croissance ne découlent ni de slogans creux, ni de proclamations doctes, mais procèdent de 6 éléments sur lesquels s’accordent toutes les têtes bien pensantes : 1°) Avoir de bonnes politiques sectorielles avec la massification des investissements dans les secteurs productifs et élargir les gains de productivité pour rendre l’économie plus compétitive. 2°) Mettre les citoyens au travail avec une utilisation efficiente des ressources humaines et des compétences technologiques. Accroitre la croissance par transpiration (ateliers de sueur, aucun Président sénégalais ne l’a réussi), mais aussi par inspiration en se dotant de capacités techniques, deux phénomènes qui entrainent l’élévation et l’accélération de la productivité. Travailler plus, produire plus et gagner plus. 3°) Disposer de bonnes institutions en phase avec les objectifs du changement social c’est-à-dire des règles du jeu stables capables de valoriser les entreprises comme vecteurs du développement et de la croissance, capables de promouvoir l’égalité des chances. 4°) Réformer le marché financier et le système bancaire qui sont déficients avec l’accès au crédit limité pour les PME, PMI et autres éléments du secteur informel malgré la surbancarisation et les taux d’intérêt usuraires. Le système bancaire est une entrave majeure au développement. L’État commence à mobiliser des ressources financières substantielles par des émissions de titres publics qui constituent parfois plus de 30% des recettes fiscales. Malheureusement les emprunts sont dominés par des titres à court terme et leur utilisation pas toujours productive. Ici se pose aussi la question lancinante du taux de change qui limite la compétitivité des entreprises.

5°) Rompre avec le modèle de consommation extraverti fondé sur des produits importés qui creusent le déficit commercial et crée des effets multiplicateurs à l’extérieur et le chômage à l’intérieur. Les importations de biens concurrencent de manière déloyale les biens domestiques avec la constitution d’oligopoles d’importation appuyés par le système bancaire ; c’est la pire spéculation qui favorise les taux d’intérêt usuraires sans intervention de la BCEAO indifférente à ce problème. 6°) Développer le patriotisme économique que tous les pays même les plus libéraux pratiquent par divers mécanismes. J’avais détaillé toutes ces pratiques lors d’une conférence au MEDES et réactualisées avec Makhtar DIOUF à une rencontre avec la CNES et le patronat lors de la présentation de mon ouvrage sur le « secteur privé ».

Toutes les réformes de l’architecture économique et des politiques sectorielles imposent la formation d’un cadre institutionnel rigoureux avec des coûts de fonctionnement appropriés et une efficience relative inspirée de la gestion axée sur les résultats pour l’atteinte de leurs objectifs.  La vision institutionnelle des transformations structurelles pour des changements sociétaux en profondeur et des politiques de rupture appelle une mobilisation d’intelligence de toutes les capacités intellectuelles, techniques et académiques et celle des acteurs sociaux disposant d’un potentiel créatif et de savoir-faire. Cela nous sort des sempiternelles prétentions bureaucratiques tendant à imposer d’en haut les organisations. De tous nos décideurs politiques et leurs armadas d’experts, seul Mamadou DIA, avec sa vision de socialiste autogestionnaire, a compris le rôle des institutions dans une politique de changement populaire par des règles et des lois (Animation Rurale, SODEVA, ONCAD, BNDS, Crédit Agricole, SONEPI etc.)

Cette vision stratégique et institutionnelle robuste était la clé du destin du pays, la boussole de son avenir et le moteur de son développement. Elle était est conduite par un État fort dirigé par un leadership transformationnel qui, d’une part mettait en relation toutes les structures nationales d’intelligence (universitaires, politiques, cadres administratifs, entrepreneurs et militaires) dans un processus rigoureusement planifié de l’économie et d’autre part, prenait les bonnes décisions politiques qui sauvegardaient les intérêts vitaux de la nation.  Rappelons que toutes les réussites grandioses de ces dernières décennies sont le fait de pays qui ont pris des décisions politiques appropriées (OCDE, Rapport 2000). Ainsi, les miracles économiques de l’Asie ont été rendus possibles par des dirigeants qui ont pris de bonnes décisions politiques : Deng Xiaoping a fait évoluer la République populaire de Chine dans une direction qui, en définitive, a permis à 600 millions de personnes de sortir de la pauvreté, la Corée a fait des choix judicieux grâce auxquels elle est devenue l’un des pays les plus riches au monde alors qu’elle était l’un des plus pauvres dans les années 60.

Dans ce cadre, il était impérieux de faire de l’industrie un enjeu national majeur pour valoriser les dotations factorielles naturelles avec les innovations et les technologies offertes par la R&D, des dispositifs organisationnels innovants (clusters, districts industriels) et d’acteurs dynamiques (PME et PMI) pour porter la politique industrielle. Le Président Mamadou DIA par l’État volontariste et développeur avait construit un schéma industriel qui comportait 4 filières déterminantes : (i) les agro industries qui valorisent toutes les chaines de valeur et développent les interdépendances avec l’agriculture, la pêche (AFRICAMER) et l’élevage.

Quatre filières intégrées comme le textile (SOTIBA-SIMPAFRIC), l’huilerie (LESIEUR, la SEIB), la transformation des fruits et légumes et l’industrie cuir et peaux (BATA) ; (ii) les industries pétrochimiques et énergétiques avec deux grandes unités : les ICS, la SAR et la cimenterie (SOCICIM) ; (iii) les industries de valorisation de la façade maritime avec Dakar Marine et le développement du tourisme balnéaire avec la constitution des Zones d’expansion touristique et (iv) des institutions de financement et d’encadrement des PME et PMI : la BNDS, la SOFESEDIT, l’Union Sénégalaise des Banques, la Banque sénégalo-koweïtienne, la Banque Commerciale du Sénégal, la SONEPI.

Les politiques néo-libérales d’ajustement structurel fondées sur la trilogie libéralisation, privatisation et dérégulation qui prétendaient construire le capitalisme, sans les capitalistes locaux et sans État providence avaient arrêté tous les moteurs du système productif par démantèlement des politiques sectorielles et des entreprises appelées à les réaliser (plus d’une centaine). En détruisant toutes ces usines, comment va-t-on faire pour résorber le chômage et la pauvreté ?

De telles réformes vont bien au-delà des simples plans de relance qui, dans le monde développé, ont fait payer la note aux classes populaires qui ont dû se serrer la ceinture. Ces plans mobilisent dans les pays développés des ressources financières faramineuses équivalent plus de 25% de leur PIB alors que l’Afrique peine à mobiliser 2% de son PIB. Les coûts sociaux ont été simplement démentiels. En Afrique les Plans de Relance n’ont pas prospéré pour plusieurs raisons d’abord leur nature n’est pas le même (plan d’offre et non de demande), ensuite, les ressources de financement et d’arbitrage sont limitées et enfin, leurs coûts sociaux sont élevés.

Le Plan de Relance du 29 septembre pour réparer les désastres d’une pandémie que nos fragiles et précaires infrastructures sanitaires ne pouvaient soutenir est loin d’être une solution idoine. Si la démarche était politiquement compréhensible, l’analyse socio-économique est notoirement insuffisante; elle est truffée d’approximations injustifiées et d’erreurs d’évaluation. Plus grave, accouplée avec la loi d’habilitation, elle suspend légalement l’application des règles de la comptabilité publique aux nombreuses dépenses.

Un plan de relance de nature conjoncturelle soulève au moins quatre interrogations incontournables relatives: (i) au diagnostic de l’environnement économique infecté au double niveau du système productif et des acteurs sociaux; (ii) au volume des ressources financières indispensables partant des capacités budgétaires et autres ressources mobilisables et à l’évaluation des effets de levier ; (iii) aux structures et institutions de gestion des allocations des ressources? (iv) aux instruments d’intervention pour atteindre les bénéficiaires?

La leçon une fois encore nous vient du Maroc qui a su mobiliser toutes ses têtes pensantes et ses divers experts pour restructurer l’architecture économique en créant d’abord un Comité de Veille Economique, pour faire un diagnostic froid en vue de repenser toutes les priorités et nouveaux défis ((à caractère social, de relance des secteurs exposés et de réforme du secteur public), ensuite, divers Fonds dont le plus important est le Fond Muhamed VI pour  l’Investissement  doté d’une enveloppe financière équivalent à 11% du PIB, des Fonds sectoriels, des Fonds  thématiques qui démultiplient l’action de l’État (Fonds PME-PMI, Agriculture Infrastructures, Industrie, Recherche et Innovation) et enfin, une Agence Nationale de Participation Stratégique de l’État  pour consolider le rôle de l’État actionnaire. Ce nouvel arsenal institutionnel est mis en cohérence avec les structures d’intermédiation financière existante et une pleine utilisation à grande échelle des TIC.

C’est dans ce contexte que le mouvement social est intervenu avec une ampleur et une profondeur qui dépassaient trop largement l’étincelle qui a enflammé la plaine mettant face à face les pouvoirs publics et les oubliés du Plan de relance à savoir le secteur privé (PM-PMI), l’informel, les toutes petites entreprises (TPE) et la principale composante sociale jeunesse.

II/ NOUS DEVONS CESSER DE FAIRE CROIRE Á NOTRE JEUNESSE QU’IL Y’AURA UN PÈRE NOËL QUI VIENDRA TRANSFORMER LEUR DESTIN. CELA NE VIENDRA QUE D’ELLE-MEME DANS LE CADRE D’UNE PNE.  BIEN CONÇUE.

Je commencerai par ce constat : notre jeunesse doit comprendre qu’elle doit prendre son destin en mains : je peux citer des exemples Steeve Job, ce syrien de condition modeste devenu milliardaire, Jacques Mat dont l’embauche comme aide-cuisinier lui a été refusée par l’entreprise allemande KFC, le Patron de Samsung marchand de sous-vêtements. Je peux prendre au Sénégal le cas d’entrepreneurs prestigieux qui étaient au départ tailleur, colporteur, de simples tabliers, oiseleur, etc. qui ont nom El hadj Mamadou Sall, Alla Kane, Mamadou Dioum, Amadou Gaye, Baba Sy, Mamadou Kassé, Diallo Pithie, etc. On peut citer le cas des premiers milliardaires sénégalais au forceps Elhadji Ndiouga Kebe et Elhadji Djili Mbaye.  

Aujourd’hui, l’État a perdu pour l’essentiel son rôle d’employeur en dernière instance du fait des programmes d’ajustement structurel. Au demeurant, nos décideurs nous ont habitués, sur ces questions vitales de l’emploi, d’exprimer des intuitions sous forme d’effets d’annonce tonitruants: 100.000, 200.000, voire même 1.000.000 emplois sans préciser le comment ou même la politique qui les produit. Pourtant, tout le monde sait ou commence à savoir, comme l’observe LI Yong Directeur Général de l’ONUDI, que « Les emplois ne tombent pas du ciel comme une manne, aussi ardemment qu’on puisse le souhaiter. Ils naissent du processus du développement économique, de la création de nouvelles entreprises et de nouvelles activités par les entreprises privées et publiques ».  En conséquence, l’État doit élaborer des politiques rigoureuses d’emploi nécessitant des réformes en profondeur de l’architecture économiques et des politiques sectorielles en association avec un secteur public et privé qui ouvrant aux terroirs de véritables potentialités de développement.

Face à la montée des mouvements sociaux, la Banque mondiale, une fois n’est pas coutume, avait produit justement recommandé dans le Rapport mondial de 2007 intitulé «Le développement et la prochaine génération» une approche multisectorielle de la part des gouvernements et agences internationales pour faire face à ce problème en incluant l’expansion des alternatives d’emploi et d’éducation en zones rurales; la construction d’un environnement de soutien à l’ entrepreneuriat , l’expansion de l’accès  aux services publics, l’amélioration des opportunités de formation et la relève du défi démographique.

Sans être ni dans la polémique, ni dans la critique, il n’a jamais existé au Sénégal une politique publique de l’emploi seulement quelques éléments disparates et des filtrages de l’emploi dans les grands projets porteurs. De plus, la leçon n’a jamais été tirée comme quoi, une croissance sans transformations structurelles ne réduit pas substantiellement la pauvreté et comporte une faible création de l’emploi productif. Cette lacune procède en partie d’une analyse insuffisante du secteur privé et de sa mobilisation dans les politiques macroéconomiques. Cela faisait dire au Président de la CNES Mansour Kama que « Les gens vivent dans l’illusion que la politique doit être discutée uniquement par les politiques. C’est nous qui prenons des risques, qui créons la richesse et qui créons les emplois. Au nom de tout cela, nous ne pouvons pas rester indifférents d’autant plus qu’on a vu des fortunes se faire dans des conditions qui ne sont pas toujours claires ».

Cette attitude de nos décideurs prend racine dans leur adhésion incurable aux politiques néo-libérales qui ont toujours prétendu construire le capitalisme sans les capitalistes locaux et sans État providence. Les faiblesses et déficiences observées d’une classe d’entrepreneurs sénégalais modernes et dynamiques procèdent de l’inexistence d’un système institutionnel, fiscal et financier qui la favorise. Cette carence publique est perceptible au niveau de trois expériences malencontreuses financièrement désastreuses d’abord les 100 quotataires, ensuite l’opération du compte K2 et enfin, l’opération maitrisards-chômeurs. Paradoxalement, la classe politique n’a jamais accepté un partage de pouvoir avec la classe entrepreneuriale.

Dans mon travail de consultant au service d’États africains et d’institutions internationales, l’une des recommandations était de construire une politique publique de l’emploi (PNE) intégrale et efficace qui se définit comme l’ensemble des interventions publiques sur le marché du travail, visant notamment à en améliorer son fonctionnement et à réduire les déséquilibres qui peuvent y apparaître par les Indemnisations, les Actions de formation publique, la Réglementation des emplois précaires et autres et aides aux créateurs  d’entreprise par diverses incitations. La PNE par création d’emplois décents revient aux pouvoirs publics et aux différents acteurs sociaux qui mettent en œuvre les actions pour un nécessaire climat de sérénité des affaires et de sécurité des biens et des personnes, encourageant les acteurs du développement dans leurs initiatives.

Il est impératif d'appréhender avec plus d'envergure, plus de détermination et plus de cohésion le problème de l'emploi en formulant une politique globale et active de l'emploi qui réponde, au mieux des possibilités du pays, aux exigences d'occupation et de revenus auxquelles il est confronté, et qui s'inscrit dans une perspective de développement durable. Une PNE ne saurait se limiter uniquement à des programmes ponctuels et sectoriels d'action. L'emploi concernant de nombreux domaines, elle doit refléter cette globalité et gagnerait à enrichir la politique économique globale et le cadre macroéconomique, par des dispositions adéquates et volontaristes pour accroître la productivité des ressources nationales humaines et naturelles.

Ainsi comprise, la PNE comprendra l'ensemble des interventions publiques sur le marché du travail qui visent à en corriger les déséquilibres et les effets néfastes qui peuvent en résulter. Cette compréhension exclut a priori les politiques macroéconomiques de relance qui lutte contre le chômage conjoncturel, car elles ne concernent qu'indirectement le marché du travail. La politique de l'emploi est une politique structurelle. En revanche, la PNE comprend l'ensemble des interventions publiques sur les différents marchés (marché des biens et services, marché des capitaux, marché du travail) qui cherchent à agir sur le niveau de l'emploi et le niveau du chômage. Avec des mesures très diverses : réglementation du marché du travail (Salaire minimum, règles de licenciement, durée légale du travail) ; incitations à l'activité (prime pour l'emploi, impôt négatif) ; indemnisation du chômage ; incitation à l'inactivité (préretraite, salaire de la mère au foyer) ; mesures ciblées sur les chômeurs (formation, aide à la recherche d'un emploi ; stages ou emplois publics temporaires). Il faut alors entreprendre deux types de dépenses pour agir sur l'emploi : les dépenses actives de caractère économique et les dépenses passives de traitement social.

es dépenses actives ont pour objectif de remettre les chômeurs en emploi et d'augmenter le niveau d'emploi, soit de manière directe (création d'emplois publics temporaires, subventions à l'embauche), soit de manière indirecte (formation, service public à l'emploi). Nous parlons de traitement économique du chômage. Quant aux mesures passives, elles comprennent l'indemnisation du chômage et les dispositifs de cessation anticipée d'activité dont l'objectif est d'atténuer les conséquences du chômage.

EN CONCLUSION : AUX GRANDS MAUX, LES GRANDS REMÈDES : PRENDRE LE CHEMIN DES RÉFORMES ET DES RUPTURES POUR SORTIR DE LA CRISE.

Les bons choix à opérer concernent les deux volets qu’il faut articuler l’économique et le social. Aujourd’hui, les recherches économiques les plus huppées insistent sur le retour du social ce qui m’a emmené à terminer mon ouvrage longtemps mis en berne sur le thème : « L’Économique à l’épreuve du social ».  Au demeurant, les crises sont bien souvent des opportunités si nous savons faire preuve de discernement. Il serait terrifiant si on ne profite pas des incroyables mutations industrielles et technologiques pour infléchir nos systèmes économiques, politiques et sociaux qui ont failli sur les questions majeures comme la pauvreté, le chômage et les diverses précarités. Notre expertise nationale de très bon niveau est à même d’apporter de bonnes réponses. Je me rappelle des propos du Vice-Président de la Banque mondiale E.V.K. Jaycox « Nous pouvons avoir une belle théorie bien au point, mais nous ne connaissons pas les réalités aussi bien que les économistes locaux et les professionnels, s’ils sont disponibles, s’ils sont autorisés à travailler en toute indépendance et si une confiance et une crédibilité est placée en eux par les gouvernements ».

Toutefois, lorsqu’une classe politique est fortement courbaturée, à la fois sénile et immobile, conséquemment longtemps coupée des réalités, elle ne peut avoir ni compréhension des mouvements sociaux encore moins leur trouver des solutions idoines. Cette baronnie égarée par l’excessive concentration des pouvoirs estime toujours devoir s’en sortir par l’autoritarisme en oubliant que cela ne fait plus tellement recette sauf s’il est incarné par des figures charismatiques patriotiques et progressistes, qui ont une claire vision de ce qui et de ce qu’il faut faire et qui défendent becs et ongles les aspirations populaires avec vigueur comme l’ont été Dr. Kwame Nkrumah, Gamal Abdel Nasser,  Modibo Keita, Julius Nyerere, Nelson Mandela, Sékou Touré que j’ai eu la chance inouïe de les avoir rencontrés.  Une frange de l’élite du pouvoir tente désespérément d’obstruer les voies de sortie de la crise et des chocs exogènes par un activisme politico-médiatique, la ruse et la force. Elle oublie cette observation de Laurent Gbagbo : « On ne peut gouverner ni par la force ni par la ruse, parce que la force s'use, et la ruse se découvre. »

Par Prof Moustapha KASSE,

Doyen Honoraire et membre des Académies,

Commandeur de l’Ordre National et du Mérite universitaire,

Officier des Palmes Académiques.

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