La nouvelle voix de Tivaouane
Le désormais porte-parole de la famille Sy, Serigne Pape Malick, n’est pas en terrain inconnu, mais aura la lourde tâche de combler le vide laissé par l’éternel porte-parole et éphémère khalife, Abdoul Aziz Sy Al Amine
Il faut souhaiter la longévité à l’éléphanteau, pas la robustesse. Cet adage bien de chez nous peut s’appliquer au nouveau porte-parole de la famille tidiane, Serigne Pape Malick Sy : avoir le temps de se forger l’expérience sociale de son défunt grand frère, pour arriver au même niveau de métronome qu’Abdoul Aziz Sy Al Amine. Dans les habits d’une fonction qui requiert tact, diplomatie, franchise, fermeté, culture, tolérance, disponibilité, ouverture d’esprit..., le nouveau porte-parole de Tivaouane ne souffre en réalité que de l’envergure qu’avait le précédent Khalife des Tidianes au poste de porte-parole.
‘‘Il n’y a pas d’inquiétudes à se faire à ce sujet. Tout le potentiel qu’avait Al-Amine à faire converger des points de vue divergents est en lui. Il y a forcément un legs de leur père et sa bénédiction qui font qu’il saura remplir cette tâche. La mission des anciens ne s’interrompt jamais, il y a toujours quelqu’un pour veiller sur la chaîne de continuité. En l’écoutant parler, on sent qu’il est prêt. La preuve : les deux derniers khalifes l’ont béni’’, avance le chroniqueur religieux sur Sud Fm, Oustaz Alioune Mbaye.
Coup de pouce du destin pour étaler ses capacités de médiation ? La nouvelle voix de la Tijaniya est déjà à l’épreuve sur un front scolaire presque toujours en ébullition. Si Al Amine avait réussi à concilier les exigences extrêmes des syndicats d’enseignants et les pouvoirs publics en 2015, évitant de justesse une année blanche, Pape Malick est d’emblée mis à l’épreuve avec l’épineux dossier Etat du Sénégal/Yavuz Selim sur lequel le précédent khalife avait été saisi par les propriétaires turcs aux abois. ‘‘Il a un esprit de dépassement hors du commun. C’est un homme de son temps. Il sait y faire devant n’importe quelle situation’’, rassure Oustaz Alioune Mbaye. Avantage de taille, l’entente cordiale avec son prédécesseur et nouveau khalife, Serigne Mbaye Sy Mansour, sera un atout de taille pour le long parcours qui les attend tous les deux à la tête de la Tijaniya.
Marabout décomplexé
Si les pesanteurs socioculturelles confinent généralement les marabouts dans un cloisonnement social qui les limite aux prières canoniques ou rituelles, il ne faudra surtout pas compter sur ce natif de Tivaouane. ‘‘C’est insensé de dire qu’un marabout ne doit pas parler de politique. Ceux qui le disent ont tort. Le marabout n’est-il pas un citoyen qui a son extrait de naissance et qui paie ses impôts comme tous les autres ?’’ déclarait-il lors de la ziarra générale de 2016, dans la lignée d’une pure tradition familiale. Une cérémonie durant laquelle il avait déclaré que son père Serigne Babacar Sy s’est plusieurs fois prêté à ce devoir citoyen.
‘‘Quand il partait voter, il portait des habits sobres pour que les gens sachent que c’est le citoyen simple qui votait’’, indiquait le religieux tout en rappelant qu’il a été plusieurs fois emprisonné à cause de ses activités politiques. Ses interventions dans les oraisons funèbres de personnalités (surtout artistiques) suffisent à démontrer une certaine liberté d’esprit. Sans verser dans la révolution, Pape Malick Sy brise les codes. Pratiquant de sport comme il le dit lui-même à la levée du corps de Aziz Ndiaye Bouna avec qui il s’est, en compagnie de Serigne Abdou Fatah, Serigne Abdou Rahmane, ‘‘entraîné pendant cinq ans dans la même salle de sport’’. Même sa situation matrimoniale montre que le nouveau porte-parole n’entre pas dans le moule conventionnel du marabout typique. Serigne Pape Malick Sy est monogame et père de deux filles (Fatima et Safiétou), renseigne le chroniqueur sur Sud FM, Oustaz Alioune Mbaye. C’est donc loin des sentiers battus qu’on emprunte pour qualifier les marabouts qu’il forge un discours respectueux mais loin des conventions.
‘‘Tout est question de responsabilité ; soit on est marabout et on choisit de rester dans son coin pour s’occuper de la spiritualité, soit on s’occupe également du temporel’’, soutenait le religieux tout en précisant que Tivaouane n’a jamais fait mystère de son point de vue sur cette question. ‘’Nous n’avons jamais caché notre position en politique’’, poursuivait Serigne Pape Malick Sy. Comme preuve de cet engagement politique, le frère de Serigne Cheikh, inspirateur du mouvement Moustarchidine wal Moustarchidati, a payé de sa personne ses options politiques. ‘‘Nous avons fait toutes les prisons du pays car j’appartiens au front du refus qui consiste à savoir dire non quand il le faut’’, avait-il déclaré lors de la ziarra précitée.
‘‘C’est la copie conforme de Serigne Cheikh’’
A l’entendre sans le voir, on pourrait croire que c’est la voix clonée de Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy, appelé familièrement Serigne Cheikh. Même intonation caverneuse, même temps d’arrêts dans les discours pour segmenter son message et captiver encore plus son audience, même faciès grave, même gestuelle. Son grand frère et tuteur n’est pas étranger à son modelage idéologique et à son évolution personnelle. Le cinquième khalife, Al Maktoum, a tellement été un personnage central dans la vie du nouveau porte-parole qu’Oustaz Alioune Mbaye y va sans ambages. ‘‘C’est la copie conforme de Serigne Cheikh. Tout ce qu’on peut regretter avec la disparition de Serigne Cheikh s’incarne en Pape Malick. Il ne se bagarre jamais. Il était exclusivement aux ordres de ce dernier.
Il a toujours été l’interface entre le khalife Serigne Cheikh et les différentes administrations, personnalités, ambassadeurs, et chefs religieux. Le porte-parole d’alors, Al-Amine, gérait les affaires officielles de la famille Sy, mais tout ce qui se rapportait personnellement à Serigne Cheikh était démarché par le nouveau porte-parole. Même à son épouse et ses fils, il leur a demandé de tenir Pape Malick en haute estime car il est leur tuteur’’, avance le chroniqueur.
D’après lui, c’est Serigne Cheikh qui lui a pratiquement inculqué tout le savoir ; il a fait ses humanités coraniques ainsi que l’école occidentale. ‘‘Il a fait beaucoup de pays étrangers sans jamais se déconnecter de Serigne Cheikh qui l’a vraiment initié aux connaissances ésotériques et de la vie. Serigne Cheikh était son grand frère mais il était tellement plus âgé et expérimenté qu’il faisait office d’oncle, à la disparition de Serigne Babacar Sy, leur père’’, conclut-il.
OUSMANE LAYE DIOP