‘’Les jeunes et les enfants constituent une cible de l’industrie du tabac’’
La lutte contre le tabac constitue un véritable problème en Afrique. Le secrétaire exécutif de l’Alliance pour le contrôle du tabac en Afrique (ACTA), Sessou Léonce, parle des deux grands défis auxquels ils font face. Dans cet entretien, il déclare également que beaucoup de pays peinent à mettre en œuvre la Convention cadre qu’ils ont signée.
Où en êtes-vous dans la lutte contre le tabac en Afrique ?
Nous avons noté que plusieurs pays ont adhéré à la Convention cadre de lutte anti-tabac. C’est une convention de promotion de la santé publique et spécifiquement de lutte contre le tabagisme. Aujourd’hui, ils sont plus de 180 pays à travers le monde à l’avoir signée. En Afrique, il y a 47 pays qui font partie de la collaboration avec l’Organisation mondiale de la santé. Sur les 47 pays, il y a déjà 44 qui ont signé cette convention. C’est pour vous dire qu’il y a des avancées en matière de mise en œuvre de cette convention. Parce qu’une fois que les Etats la signent, ils doivent aussi traduire dans leurs pays ce que la convention dit en prenant des lois, des décrets ou des arrêtés. Plusieurs pays ont aussi amorcé beaucoup de démarches. Seulement, il reste des efforts à faire.
Au moment où plusieurs (44) ont signé la convention, nous voyons que la mise en œuvre peine encore. Le tabagisme en tant que fléau persiste encore dans nos Etats. Les gouvernements sont appelés à mettre le nécessaire à l’œuvre pour que cela puisse être géré de manière convenable, à ce que la santé de la population soit le premier objectif de tous et principalement des autorités. Nous de la société civile, nous sommes à côté des Etats pour les soutenir. L’alliance, dont le siège se trouve à Lomé, couvre 39 pays africains pour accompagner les gouvernants à ce que la Convention cadre de lutte anti-tabac qu’ils ont ratifiée soit transcrite dans la réalité des pays.
L’ACTA est présente dans 39 pays pour accompagner les Etats. Quels sont les plus grands défis ?
Le plus grand défi, c’est l’ingérence des industries du tabac. Quand nous parlons des industries du tabac, ce n’est pas que les multinationales qui produisent le tabac. Il y a aussi les importateurs. Il y a, dans certains pays, des producteurs qui cultivent le tabac, ceux qui vendent les intrants. Il y en a plusieurs donc dans la chaine de production de tabac ou de cigarettes qui sont là pour s’ingérer dans la politique que les gouvernements doivent mettre en œuvre. C’est un gros défi mondial, mais l’Afrique est plus concernée par ce défi. L’autre défi, c’est que les jeunes et les enfants constituent une cible de consommation du tabac.
C’est un produit qui tue et ceux qui le fabriquent, savent que ce n’est pas l’œuf ou l’eau qu’on consomme pour être en bonne santé. Ils savent que le consommateur doit mourir, parce que leurs produits, quand il est consommé tel qu’ils le veulent, peuvent tuer un consommateur sur deux. Cela veut dire que si vous prenez deux personnes qui commencent par consommer le tabac aujourd’hui, l’un d’entre eux va mourir. Alors, ils cherchent des fumeurs pour les remplacer. Ce qui fait qu’ils ciblent les petits enfants au niveau des écoles. Ils font la promotion pour les jeunes, la vente gratuite, distribue des sacs pour intéresser les gens à acheter les cigarettes. Par exemple, ils vendront trois à cent francs juste pour réduire les prix ou la cigarette en tige. Et le plus malheureux, ça se vend dans nos villes, nos communautés. Ils veulent amener les jeunes à la dépendance, parce que quand ils sont initiés, ils ne vont plus arrêter. Quand ils n’arrêtent pas, ils vont finir par mourir. Maintenant, quand ils meurent, il faut que d’autres jeunes viennent les remplacer. La deuxième génération est vraiment ciblée. C’est un deuxième challenge que nous voyons. Les gouvernements ont la force. Ils sont là pour la promotion de la santé de la population. C’est eux qui sont d’accord pour signer la convention.
Donc, même si les industries viennent pour contribuer à l’économie du pays, cela doit être cadré, mais pas au détriment de la vie de la population. C’est à ce niveau que nous interpelons nos gouvernements à prendre les mesures nécessaires à ce que ceci soit contrôlé correctement à ce que l’économie au développement et la santé de la population soient au cœur du débat et soient promus effectivement.
Que faites-vous pour élargir la sensibilisation ?
Nous avons invité un grand groupe de journalistes de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale à se retrouver. Ce que nous attendons d’eux, c’est surtout qu’ils aient la vérité autour de ce produit, qui ne doit pas être consommé comme les autres. Parce qu’il n’apporte rien à la santé. Au contraire, il détruit la santé. Les professionnels des médias sont appelés à communiquer, sensibiliser nos populations, à leur faire comprendre cela.
De l’autre côté, nous attendons d’eux qu’ils soutiennent le plaidoyer auprès des gouvernements, afin qu’ils puissent prendre les dispositions nécessaires pour protéger les populations. Voilà surtout les deux objectifs qui nous ramènent à regrouper les professionnels des médias.
L’industrie du tabac soutient que la consommation de la cigarette électronique est moins risquée. Qu’est-ce que vous en dites ?
Il n’y a pas de niveau de consommation moins risqué de tabac. Quand on parle de cigarette électronique, il y en a de plusieurs formes. C’est inadmissible de dire que tel produit est moins nocif. Parce qu’il n’y a pas eu de recherches avancées qui prouvent que ces nouveaux produits de tabac permettent réellement d’arrêter de fumer la cigarette traditionnelle ou qu’ils sont moins nocifs. Les recherches ont encore prouvé que ceux qui semblent quitter la consommation de la cigarette traditionnelle et s’adonnent à la cigarette électronique, reviennent encore à la cigarette traditionnelle. Parce qu’à un moment donné, s’ils n’ont pas les moyens pour continuer, ils reviennent toujours parce qu’ils sont déjà dépendants.
Il a été aussi démontré que ces produits de cigarette électronique et autres, sont remplis de produits chimiques, de substances nocifs à l’organisme. Même si on disait que le tabac chauffé contient des produits chimiques cancérigènes, cela ne manque pas dans les cigarettes électroniques. Les chichas et autres produits que les jeunes consomment sont vraiment nocifs pour la santé. De plus, dans la chicha, on ne met pas seulement du tabac, on met d’autres substances qu’on ne peut même pas contrôler, la même chose que pour la cigarette électronique. Pire encore, la cigarette électronique constitue un danger de santé publique, parce que parfois les bactéries qui sont dedans explosent. Au-delà des substances chimiques, voilà des risques que le consommateur court. Nous ne pouvons pas dire que c’est des produits moins nocifs. Au contraire, nous les voyons toujours comme un danger.
Au-delà de la santé, c’est l’environnement et l’économie qui sont menacés ?
Bien sûr ! Le tabac cause énormément de problèmes dans les pays. Nos Etats perdent, beaucoup pensant qu’ils ont des revenus sur les impôts et les taxes. Au contraire, ils perdent beaucoup en investissant dans les évacuations sanitaires, la prise en charge des problèmes de cancer, de tuberculose. Le tabac est un facteur aggravant de la Covid-19. Ceux qui consomment le tabac évitent la Covid-19 quelle que soit la forme, elle s’aggrave vite chez eux. Cela veut dire que nous sommes face à un grand danger qui est un facteur de risque non seulement pour les maladies non transmissibles, mais aussi pour la Covid-19. Il n’y a aucun niveau d’état de consommation du tabac qui ne soit pas un danger. Tout organe du corps peut être affecté par le tabac.
Quand on voit que les jeunes filles, les dames, les jeunes garçons consomment du tabac, c’est vraiment un problème de santé publique. Les mégots de cigarettes qui sont jetés un peu partout polluent l’air et l’eau. La fumée pollue aussi l’air. On ne peut pas continuer à accepter ce genre de chose. Pour produire le tabac, il faut détruire les forêts, mettre des produits chimiques dans le sol. Tout cela, c’est la destruction de notre patrimoine. C’est pour cette raison que je salue l’initiative des Nations Unies. Aujourd’hui, c’est traduit dans les objectifs de développement durable. L’objectif 3 qui concerne la santé souligne que si les Etats arrivent à régler la question liée au tabac, l’objectif de promotion de santé pour atteindre les objectifs de développement, ils peuvent l’atteindre.
Donc, la lutte contre le tabac est au cœur des débats de nos Etats pour qu’ils puissent atteindre les objectifs de développement durable.
VIVIANE DIATTA