Macky Sall de plus en plus pointé du doigt
Alors qu’il n’exclut pas de se représenter pour un troisième mandat à la tête du pays, le président de la République est désigné comme responsable de la tension politique qui habite le Sénégal, à un an de la Présidentielle.
De l’interview accordée par le président de la République au quotidien français ‘’L’Express’’, l’on ne sait toujours pas s’il va se représenter pour un troisième mandat à la tête du Sénégal, en 2024. Mais Macky Sall y donne déjà son interprétation de la position du Conseil constitutionnel dérivée de l’impossibilité de réduire son premier septennat en un quinquennat. Pour dire que sur le plan juridique, l’actuel chef de l’État estime qu’il a le droit d’avoir un autre mandat.
Lui et les membres de son camp politique (coalition Benno Bokk Yaakaar) semblent être les seuls à penser qu’il pourrait avoir l’occasion de rester au pouvoir au-delà de 2024. Admettant qu’il s’agit d’un débat politique, au-delà de la masse critique au Sénégal, Macky Sall n’en convainc pas plus son monde. Et de plus en plus de voix, à l’étranger et dans la société civile internationale, dénoncent les agissements de son régime face aux reculs répétés des libertés civiles et politiques notées ces dernières années.
Une situation de plus en plus dangereuse à mesure qu'approche la Présidentielle
C’est à l’Assemblée nationale française que se pose la situation politique sénégalaise. En effet, dans une lettre adressée, le 17 mars dernier, à Catherine Colonna, Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, deux députés demandent à la cheffe du Quai d’Orsay de ‘’prendre une part légitime et positive dans la résolution actuelle du conflit au Sénégal’’. André Chassaigne, député du Puy-de-Dôme, président du groupe GDR, et Jean-Paul Lecoq, député de Seine-Maritime, estiment que ‘’la situation politique au Sénégal est de plus en plus dangereuse à mesure que s'approche son élection présidentielle’’.
Cette lettre intervient un jour après les heurts violents qui ont accompagné l’interpellation musclée d’Ousmane Sonko, sur sa route vers le tribunal de Dakar où il devait faire face au ministre du Tourisme qui l’accuse de diffamation. Avec deux morts lors de cette journée de manifestations violentes, le Sénégal a vécu un nouveau mois de mars sous tensions, après les émeutes de 2021 qui ont fait au moins 14 morts, dans les mêmes circonstances que celles de ce jeudi 16 mars 2023.
‘’La menace d'un troisième mandat du président Macky Sall’’
Mais c’est la conjugaison de différents événements potentiellement explosifs qui interpellent les députés français. ‘’La menace d'un troisième mandat du président Macky Sall’’, ‘’les tentatives d'intimidation, les menaces et les actions judiciaires contre les opposants politiques du président Macky Sall’’, les ‘’12 millions d'euros’’ que ‘’le président Macky Sall aurait donnés à la députée Marine Le Pen lors de son entrevue privée avec lui le 18 janvier dernier’’. Trois préoccupations qui indexent un seul homme.
D’ailleurs, sur le dernier point, les députés français interpellent leur ministre de l’Europe et des Affaires étrangères et estiment que ‘’Paris doit impérativement vérifier que le président Macky Sall ne s'ingère pas dans la politique française en finançant un parti politique français’’.
Revenant sur les inquiétudes liées à un éventuel troisième mandat du président sortant, les parlementaires invitent l’Élysée à être ‘’attentive au respect de l'opposition’’ et à œuvrer, ‘’dans un cadre multilatéral incluant les instances africaines’’, à garantir des élections crédibles, ‘’c'est-à-dire sans la présence de l'actuel président’’.
Élection crédible
André Chassaigne et Jean-Paul Lecoq demandent aux autorités françaises, en toute diplomatie, d’inviter leurs homologues sénégalais à remplir leurs obligations ‘’du point de vue du droit international’’ et au ‘’pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifié par le Sénégal’’.
Ce recul des droits civils et politiques au Sénégal a été dénoncé, une nouvelle fois, par Amnesty International pour l'Afrique de l'Ouest et l'Afrique centrale, le même jour que la lettre des députés français. Dans un communiqué, l’organisme international assure que ‘’les autorités sénégalaises intensifient la répression à l'approche de l'élection présidentielle de 2024, en s'attaquant aux droits humains, en restreignant l'espace civique, en interdisant les manifestations et en plaçant en détention un journaliste et des personnalités de l'opposition’’.
Amnesty International dénonce également des arrestations arbitraires ciblant des membres de l’opposition et principalement ceux du parti Pastef, formation politique d’Ousmane Sonko, de journalistes, d’activistes, d’artistes critiques du pouvoir.
Les effets des modifications des dispositions du Code pénal et du Code de procédure pénale relatives au terrorisme
Tout ceci était prévisible depuis juin 2021, lorsque l’Assemblée nationale a adopté des modifications des dispositions du Code pénal et du Code de procédure pénale relatives au terrorisme qui ont gravement restreint les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique.
Selon le rapport 2021 d’Amnesty International, ‘’les actes terroristes, définis de façon trop large, comprenaient des faits liés au trouble à l’ordre public, l’association de malfaiteurs, des infractions liées aux technologies de l’information et de la communication, et le fait d’«inciter à la commission d’un acte terroriste». Cette définition pouvait s’appliquer aux manifestations dégénérant en violences et les personnes les ayant organisées risquaient de faire l’objet de poursuites pénales’’.
Si l’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale (IDEA) considère le Sénégal parmi les 18 démocraties que compte le continent africain, le regain de mesures restrictives des libertés d’opinion et des actes de répression des forces de l’ordre inquiètent de plus en plus d’observateurs avertis.
Lamine Diouf