SOUDAN
Les Européens quittent Khartoum sous la pression des combats
Alors que plusieurs Etats évacuent tous leurs ressortissants, Washington et Londres n’ont, pour l’heure, fait sortir du pays que leur personnel diplomatique
Outre la France, plusieurs pays européens ont commencé à évacuer, dimanche 23 avril, leurs ressortissants du Soudan, un pays en proie depuis plus d’une semaine à de violents combats entre armée régulière et paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR).
« Le premier Airbus A400M est sur le chemin de la Jordanie avec ses 101 évacués », a fait savoir, dimanche soir, l’armée allemande sur Twitter, précisant que deux autres avions avaient été dépêchés au Soudan pour participer aux évacuations.
« Dans la mesure du possible, nous emmènerons également des ressortissants de l’UE et d’autres pays », avaient précisé les ministères de la défense et des affaires étrangères allemands. Mercredi, Berlin avait abandonné une première tentative d’évacuation. Trois avions militaires, qui auraient pu transporter 150 personnes, s’étaient dirigés vers le pays mais avaient dû rebrousser chemin, selon Der Spiegel.
Le gouvernement espagnol a aussi expliqué avoir évacué dimanche une centaine de personnes par avion militaire, avec une trentaine d’Espagnols et quelque 70 ressortissants d’autres pays à bord.
L’Italie a évacué tous les ressortissants qui l’avaient demandé
« Tous nos concitoyens qui avaient demandé à partir ont été évacués », a annoncé, de son côté, la première ministre, Giorgia Meloni, dans un communiqué, dimanche soir. « Avec eux se trouvent aussi des citoyens étrangers », a-t-elle précisé.
Plus tôt dans la journée, son ministre des affaires étrangères, Antonio Tajani, avait évoqué l’évacuation par l’armée italienne « d’environ 200 personnes, y compris des ressortissants suisses et des membres de la nonciature apostolique », l’ambassade du Saint-Siège au Soudan. Dans un tweet, M. Tajani a précisé que les personnes évacuées étaient « en vol pour Djibouti ».
Le pape François a appelé au « dialogue » face à la « grave » situation dans le pays, où, depuis le 15 avril, les deux généraux au pouvoir depuis leur putsch de 2021 se sont lancés dans une guerre sans merci.
Le ministre des affaires étrangères néerlandais, Wopke Hoekstra, a annoncé l’évacuation de deux groupes de Néerlandais : le premier à bord d’un avion français et l’autre a quitté Khartoum par la route dans un convoi des Nations unies. Par ailleurs, la Suède a envoyé environ 150 soldats pour évacuer ses diplomates et ressortissants.
D’autres pays ont fait part de la même intention. Ankara va ainsi « assurer le retour » de ses quelque 600 ressortissants, ainsi que de « ressortissants de pays tiers ayant réclamé une aide », a annoncé samedi le ministère des affaires étrangères turc. Une opération prévue dimanche dans le nord de Khartoum a été reportée « jusqu’à nouvel ordre ». En cause : une explosion survenue le matin près d’une mosquée désignée comme le lieu de rassemblement, a annoncé sur Twitter l’ambassade de Turquie à Khartoum.
Le Canada a pour sa part annoncé dimanche qu’il suspendait temporairement ses opérations diplomatiques au Soudan, précisant que son personnel travaillerait d’un « endroit sécuritaire à l’extérieur du pays », selon un tweet de la ministre des affaires étrangères, Mélanie Joly.
Londres et Washigton évacuent le personnel diplomatique
Le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont, pour leur part, engagé l’évacuation de leur personnel diplomatique. « Les forces armées britanniques ont procédé à une évacuation complexe et rapide des diplomates britanniques et de leurs familles du Soudan », a tweeté le premier ministre britannique, Rishi Sunak, dimanche après-midi.
Samedi soir, le président des Etats-Unis, Joe Biden, avait annoncé l’évacuation du « personnel du gouvernement américain de Khartoum », ajoutant : « Cette violence tragique au Soudan a déjà coûté la vie à des centaines de civils innocents. C’est insensé et cela doit cesser. »
Le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, avait de son côté déclaré que cette décision avait été prise en raison du « risque inacceptable » posé au personnel de l’ambassade. L’opération a permis l’évacuation d’un « peu moins d’une centaine » de personnes, dont plusieurs diplomates étrangers, a précisé John Bass, un haut responsable du département d’Etat, à des journalistes.
Les paramilitaires des FSR ont affirmé avoir « coordonné » l’évacuation avec les Etats-Unis, des déclarations démenties par John Bass, qui évoque, lui, une opération « menée uniquement » par les forces spéciales américaines.
L’Egypte, grand voisin du Soudan au Nord, a annoncé l’évacuation « par voie terrestre de 436 ressortissants » alors que tirs et explosions ont encore secoué dimanche Khartoum, selon des témoins.
L’Arabie saoudite avait annoncé samedi la première grande opération d’évacuation depuis le début des combats. Plus de 150 personnes, dont des diplomates et des responsables étrangers, sont arrivées à Djedda, selon les affaires étrangères saoudiennes.
Le contrôle des aéroports soudanais en question
Les violences ont éclaté à Khartoum le 15 avril entre l’armée du général Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane, dirigeant de facto du Soudan depuis le putsch de 2021, et son adjoint devenu rival, le général Mohammed Hamdan Daglo, dit « Hemetti », qui commande les FSR. Vendredi, l’armée avait annoncé avoir « accepté un cessez-le-feu de trois jours » pour l’Aïd-el-Fitr, qui marque la fin du mois du jeûne musulman.
L’ONU, les Etats-Unis et d’autres pays avaient appelé à l’arrêt des combats. Mais, une nouvelle fois, l’armée et les FSR n’ont pas respecté leurs engagements.
Les FSR du général Daglo ont dit être « prêtes à ouvrir tous les aéroports du Soudan » pour évacuer les étrangers. Le général Bourhane a, lui, déclaré samedi que l’armée régulière « contrôl[ait] tous les aéroports à l’exception de ceux de Khartoum et de Nyala », le chef-lieu du Darfour du Sud. Alors que les deux camps se livrent aussi à une bataille de communication, il est impossible de savoir qui contrôle les aéroports du pays.
Les deux généraux qui avaient pris le pouvoir lors du coup d’Etat de 2021 sont désormais engagés dans une lutte sans merci. Ils ont été incapables de s’accorder sur l’intégration des paramilitaires du général Daglo aux troupes régulières du général Bourhane, après des semaines de négociations politiques sous égide internationale.
Au Soudan, troisième producteur d’or d’Afrique et pourtant l’un des pays les plus pauvres au monde, les services de santé sont exsangues, et un tiers des 45 millions d’habitants souffrent de la faim. L’arrêt des opérations de la plupart des humanitaires, après la mort d’au moins quatre d’entre eux depuis une semaine, va aggraver la situation. Et le conflit menace désormais de gagner du terrain au-delà des frontières du Soudan, selon des experts.
Le Monde
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