Quand la solidarité financière devient un rempart économique

Au cours de la semaine du 28 avril au 2 mai 2025, les émetteurs souverains de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) ont fait preuve d’un dynamisme remarquable sur le marché régional des titres publics. Pas moins de cinq pays — la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger et le Sénégal — ont levé un montant cumulé de 569,4 milliards de francs CFA, à travers des émissions nouvelles et des opérations de réémission dans le cadre de rachats de titres arrivés à maturité.
Cette activité soutenue reflète non seulement la confiance renouvelée des investisseurs dans les économies de la région, mais aussi l’efficacité d’un mécanisme financier régional unique en son genre. En effet, le marché financier de l’UEMOA est l’un des rares au monde à regrouper huit États partageant une même monnaie, le franc CFA, émis par la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Ce dispositif confère aux pays membres un accès mutualisé au financement, renforçant leur capacité à mobiliser des ressources à des conditions plus favorables.
Au-delà de sa fonction purement financière, ce marché incarne une solidarité monétaire qui constitue le socle d’une solidarité financière régionale. Ensemble, ces mécanismes jouent un rôle de catalyseur dans le processus plus large de l’intégration économique de la sous-région. C’est là l’un des fondements de l’UEMOA : transformer une union monétaire en une véritable communauté économique, intégrée et interdépendante.
Dans un contexte marqué par les défis multiformes — insécurité, inflation, pression budgétaire —, cette intégration financière s’est révélée déterminante, en particulier pour les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES), à savoir le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Grâce à leur appartenance à cette union monétaire, ces pays ont pu continuer à accéder aux marchés financiers régionaux malgré les incertitudes politiques et les tensions sécuritaires. Cela leur a permis de financer leurs besoins urgents sans recourir massivement à des solutions de financement plus coûteuses ou plus incertaines.
Le cas de la semaine du 28 avril au 2 mai est à cet égard emblématique. Il illustre comment la stabilité monétaire offerte par la BCEAO, combinée à la mutualisation des risques sur un marché régional bien organisé, permet une résilience collective face aux chocs. Les États membres, en se finançant solidairement, renforcent mutuellement leur souveraineté budgétaire.
Envisager de créer une monnaie nationale dans ce contexte serait une perte et un recul dans le processus d’intégration économique que l’Afrique a engagé à travers la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) et l’Agenda 2063 de l’Union africaine pour l’intégration économique et politique du continent. En effet, compte tenu des défis structurels du continent et des enjeux géopolitiques et économiques mondiaux, l’Afrique ne peut plus se permettre le luxe de la fragmentation. Ses petits États, isolément, ne seront plus viables dans le monde multipolaire actuel. C’est une unité économique et monétaire renforcée qu’il faut poursuivre, et non une dislocation hasardeuse des acquis collectifs.
À l’heure où certaines voix s’élèvent pour interroger la pertinence du franc CFA ou pour promouvoir des politiques de repli national, cette réalité économique doit être mise en lumière : la monnaie commune, loin d’être un frein, est un levier d’intégration, de stabilité et de croissance partagée. Elle permet d’amortir les chocs, d’améliorer la prévisibilité macroéconomique, et d'attirer des investisseurs régionaux et internationaux confiants dans la gouvernance commune du système.
La forte mobilisation sur le marché régional des titres publics au cours de cette semaine confirme donc une vérité économique essentielle : la solidarité monétaire bien pensée peut être un outil puissant de développement collectif, surtout dans un environnement international incertain. Ce modèle mérite d’être consolidé, approfondi et valorisé, au moment même où l’Afrique de l’Ouest réfléchit à l’avenir de son intégration monétaire et à l’éventuelle transition vers une monnaie commune plus largement adoptée, l’ECO.
Par Pr Amath NDiaye