L’Afrique unit ses forces
Au cœur d’une nouvelle vague de contaminations, l’Afrique plaide pour un accès équitable aux vaccins anti-Covid-19. En conférence de presse virtuelle hier, l’Organisation mondiale de la santé demande aux populations de combiner le respect des gestes barrières et l’acceptation du vaccin, si elles veulent reprendre une vie normale.
La lassitude des populations africaines quant au respect des mesures barrières risque de se solder par une explosion de cas sur le continent. Partant de ce constat, la directrice régionale de l’OMS pour l’Afrique se dit très préoccupée. ‘’Nous n’arrêtons pas de le signaler : il est très important de garder ces mesures de prévention dont les gens se lassent. Il faut re-souligner l’importance de ces gestes barrières, refaire le plaidoyer et travailler avec les sources de communication. C’est ce qui nous permettra de reprendre une vie normale. On doit chercher à comprendre ce que pensent les populations de ces mesures barrières’’, a déclaré hier Matshidiso Moeti.
Si l’Afrique demeure le continent le moins affecté par la Covid-19 (environ 3,5 millions de cas et 90 000 décès), pour l’Organisation mondiale de la santé, il faut toutefois relativiser. Cela en raison de la sous-estimation des cas dans les pays ayant difficilement accès au kit de dépistage.
En effet, plus de 20 pays en Afrique ont effectué des dépistages plus faibles que la recommandation de l’OMS. Ces derniers dépendent de l’aide et de l’assistance extérieure. En Zambie (pays en défaut de paiement) par exemple, ce sont des tests post-mortem qui ont permis récemment de déceler l’infection chez plusieurs patients. Matshidiso Moeti en est convaincue : en Afrique, le nombre de cas rapportés ne représente pas la réalité du terrain. L’OMS, à cet effet travaille en partenariat avec l’Unicef à rendre plus accessibles les tests de dépistage.
Le Sénégal choisi comme ‘’hub médical’’
Au Sénégal, l’Institut de recherche en santé de surveillance épidémiologique et de formation (Iressef) du professeur Mboup a découvert le variant britannique du coronavirus. Une information confirmée hier par le directeur de l’Institut Pasteur de Dakar (IPD). Malgré une gestion de la Covid-19 bien souvent critiquée, le Sénégal a été choisi comme ‘’hub médical’’ pour effectuer en Afrique le séquençage. Un outil scientifique permettant de surveiller les modifications du coronavirus, susceptibles d'aggraver la pandémie ou de rendre les vaccins moins efficaces.
Il s’agit donc, pour les scientifiques, de séquencer son génome. Ces trois derniers mois, 200 souches ont été séquencées à Dakar. En raison de la complexité de ce travail, désormais sur initiative de l’OMS, neuf des dix Instituts Pasteur africains vont apporter leurs souches à l’IPD. ‘’On va traiter 500 génomes par semaine. On souhaite augmenter ce chiffre en passant à 1 500 génomes. Il faut aussi qu’on ait une capacité à échanger les données. L’objectif, ici, est d’apporter une assistance dans le traitement des séquences et l’analyse. Donc, il y a une dynamique installée en Afrique pour le séquençage et les variants font l’objet d’une étude sérieuse afin de mieux se préparer’’, détaille Amadou Sall.
Grâce à ses 14 laboratoires, en plus des tests de diagnostic rapide, le Sénégal compte poursuivre sa stratégie : ‘’Isoler et traiter les personnes infectées dans une démarche intégrée.’’
Au cœur de cette nouvelle vague d’infections en Afrique, les scientifiques s’accordent sur la nécessité du démarrage de la vaccination en Afrique. D’ici la fin de l’année, l’Initiative Covax dont les premières doses sont attendues en mi-février, permettra de couvrir au moins 20 % de la population africaine. Un total de 600 millions de doses. La stratégie, selon l’OMS, est de donner la priorité aux personnes vulnérables, celles jouant un rôle clé dans la société, les personnels de santé et les patients présentant des comorbidités.
Par ailleurs, une autre initiative de l’Union africaine devrait compléter ce nombre avec 1 250 000 doses. L’organisation a passé un accord avec Pfizer et le laboratoire chinois Johnson & Johnson. Plusieurs pays africains ont déjà eu gain de cause dans cette course au vaccin : Les Seychelles (25 000 doses du vaccin chinois Sinopharm), l’ile Maurice (450 doses d’Astrazeneca), le Maroc et l’Afrique du Sud ont chacun obtenu 1,5 million de doses d’Astrazeneca.
Par ailleurs, grâce à un accord de partenariat, le vaccin Johnson & Johnson va être produit en Afrique du Sud pendant que des négociations sont engagées pour la production du vaccin Sinopharm au Maroc.
‘’C’est choquant que les pays nantis paient moins cher...’’
Selon le docteur Mihgo Richard du Département de l’immunisation de l’OMS, l’Initiative Covax garantira une certaine équité dans l’accès au vaccin. ‘’C’est choquant, soutient-il, que les pays nantis paient moins cher le vaccin par rapport au pays en voie de développement. Ils disent avoir préfinancé la production du produit. Certes, c’est la dynamique du marché, mais nous demandons une solidarité mondiale et une distribution équitable du vaccin. Il doit être vendu à des prix justes, équitables, sans mettre en péril l’économie de ces pays qui ont financé la recherche’’. A l’en croire, l’OMS compte privilégier en Afrique les vaccins conservables à des températures normales et à une dose. Même si ‘’l’important, c’est de vacciner les populations avec les vaccins qui sont déjà disponibles’’.
L’autre défi majeur de ce plan d’immunisation est la lutte contre la désinformation. De l’avis du docteur Mihgo, ‘’il faut dissocier ce que nous regardons sur les réseaux sociaux et la réalité. Une étude a été réalisée dans 15 pays africains pour connaître la perception du vaccin et les résultats sont largement positifs. De manière générale, les populations africaines n’ont aucun problème avec la vaccination’’.
Toutefois, il insiste sur le fait que la vaccination ne doit pas être imposée aux pays et aux individus, mais qu’il faut plutôt montrer l’importance de se faire vacciner. ‘’Nous ne savons pas jusqu’à quand, ni comment la protection va durer. Donc, il va falloir vacciner les personnes qui ont déjà fait la maladie. Seule la combinaison des gestes barrières et du vaccin vont permettre de limiter la contamination et de stopper l’apparition de nouveaux variants’’, conclut le scientifique.
Il a également été question, pour la directrice régionale, d’inviter la Tanzanie à coopérer, en acceptant la vaccination. Son président se dit méfiant quant aux vaccins anti-Covid et préconise l’utilisation des plantes locales. Matshidiso Moeti abonde dans le même sens, en matière de plaidoyer : ‘’Afin de casser la chaîne de transmission, j’insiste sur les gestes de prévention. Il faut diffuser de bonnes infos sur les variants et les vaccins. Tout le monde doit être prêt à l’accepter. Si une partie du monde n’est pas protégée, compte tenu de l’interdépendance économique de nos pays, cela risque d’affecter le reste du monde. Nous devons affronter cela ensemble et faire preuve d’une solidarité mondiale.’’
Du côté de l’Afrique du Sud et du Mozambique, de nouveaux variants plus difficiles à neutraliser sont apparus. Et selon les chercheurs, le vaccin Moderna ne serait pas approprié pour l’Afrique. ‘’La surveillance génomique est très importante, de même que les essais en laboratoire pour voir comment le vaccin interagit avec le nouveau variant. On rêve d’avoir un vaccin à l’image de ceux contre la rougeole ou la poliomyélite, mais seule l’expérience nous dira si on aura un ou plusieurs vaccins. Il faut attendre pour voir l’efficacité des vaccins. Aujourd’hui, plus que jamais, aucun continent ne doit être marginalisé en matière de vaccin et de riposte. La planète doit faire un effort. Il y a une population ici qui a besoin d’être vaccinée’’, pense pour sa part le directeur de la Plateforme de recherche de l’université Kwazulu-Natal (Afrique du Sud) Tulio de Oliveira.
EMMANUELLA MARAME FAYE