Publié le 23 Apr 2013 - 22:05
EXCLUSIF - ROBERT BRAZZA (CANAL+)

 «+d’Afrique est un talk-show qui n’est pas dans une logique de clash»

Venu filmer quelques séquences d’une future édition de son talk-show, +d’Afrique, dédiée au Sénégal, Robert Brazza, considéré comme une des figures montantes de la chaîne Canal+, s’est mis à la disposition d'EnQuête pour un entretien sans langue de bois.

 

 

On connaît l’émission, on connaît le présentateur, mais on connaît mal Robert Brazza…

 

Pour faire court : je suis Robert Brazza, natif de Brazzaville. Après mes études, j’ai décidé de faire de la radio et, d’Africa n°1, l’expérience de +d’Afrique a été proposée en 2010. L’émission, par l’image, prend une autre dimension même si je continue à faire de la radio. Mais au niveau de la sphère des médias africains, avec des aînés comme Claudy (NDLR : Claudy Siar, RFI) ou Amobé Mévégué (NDLR : France24), +d’Afrique était … est toujours un bébé. C’est pourquoi il y a beaucoup d’artistes quand on arrive qui nous voient, qui nous accueillent… Bon voilà. Mais sinon, que dire ?

 

D’habitude, vous restiez à Paris en laissant les autres chroniqueurs voyager…

 

Au départ, c’est Sandra (NDLR : Sandra Nkaké) qui devait venir. Mais elle a, en même temps, une carrière d’artiste. Comme elle est actuellement prise dans une tournée qui n’en finit pas, comme Bibi d’ailleurs... Maryse, quant à elle, porte aussi une casquette de journaliste radio (NDLR : à RMC), elle avait plein de choses en cours, la finale de la Coupe de la Ligue et tout ça. Elle devait rester en France. Il se trouve que j’étais libre, donc j’ai dit «Ok, on y va»…

 

Qu’êtes vous concrètement venu faire au Sénégal ?

 

C’est assez simple : +d’Afrique a décidé de faire une «spéciale Sénégal», dans le cadre du Tandem Dakar-Paris, qui sera diffusée en mai. On a alors eu envie, comme d’habitude, de faire le voyage, de conduire des interviews sur place, afin de pouvoir vraiment imager l’émission, en l’encrant sur le continent. Le mieux, c’était vraiment d’être ici au lieu de commander des reportages à d’autres personnes. Ce choix de venir au Sénégal, donc, c’est surtout pour que se sente l’énergie du pays… L’énergie de sa jeunesse, surtout. Parce que c’est cette jeunesse qui provoque tout, à chaque fois. Même politiquement.

 

Justement, que vous inspire alors cette jeunesse sénégalaise ?

 

Ce n’est pas mon seul ni mon premier voyage, donc je ne pourrais pas me baser que sur lui pour répondre à cette question : j’étais à Dakar en octobre et, avant cela, en juillet dernier. En tout je suis déjà venu 4 à 5 fois l’année dernière. En ce qui concerne la jeunesse du Sénégal, ou du peuple sénégalais dans son ensemble, n’oublions pas qu’il est, certes, dans les frontières mais également en dehors. Quand même, le «Grand Bégué» se tient même au Grand Zénith. Au moment où vous êtes avec Pape Diouf, vous n’avez pas l’impression d’être à Paris car vous êtes à Dakar. Le Sénégal a cela de formidable… Il y a des pays comme ça, qui arrivent à se téléporter à travers leurs populations. Et ça, vraiment, c’est quelque chose de très fort avec sa langue, sa musique… C'est très, très fort.

 

Revenons à cette «spéciale». Allez-vous enregistrer l’émission chez nous ? Avec un plateau délocalisé, peut-être ?

 

Non, on ne fera pas de plateau ici, malheureusement. Il sera tenu à Paris, par Maryse (NDLR : Maryse Éwanjé-Épée) comme Bibi (NDLR : Bibi Tanga) et moi, nous sommes sur le terrain. En fait, on va faire une sorte de jeu de montage, à travers le génie des réalisateurs, grâce auquel on sera un peu à la biscuiterie, dans le studio d’Awadi et à différents endroits de la ville. Au bout d’une heure et demi d’émission, il nous faut arriver à quelque chose qui ressemble à une sorte de carte postale, ou d’arrêt sur image, du Sénégal. C’est le but du jeu.

 

Plus généralement et par rapport au concept de l’émission, comment vous débrouillez-vous pour être au courant de ce qui se passe tout en étant à Paris ?

 

Parler de l’Afrique, sans vivre pour autant en Afrique à plein temps, je crois qu’aujourd’hui, les moyens techniques des médias nous le permettent parfaitement. Nos chroniqueurs se tiennent simplement au courant, par divers moyens, en plus de l’apport de nos «ambassadeurs», qui sont des gens qui font des va-et-vient en permanence. Boubacar Boris Diop vit à Saint-Louis mais bon, il vient sur le plateau. Fada Freddy ne vit pas en Europe, pareillement. Mais ils viennent, le temps d’un passage en Europe… Le fait qu’ils soient là nous pousse à aller à la source et, donc, à venir en Afrique pour fouiller, les filmer dans leur environnement...

 

Cela étant, est-ce que vous ne craignez pas de toujours faire parler ou parler des mêmes personnes ?

 

En 89 émissions ? Non. C’est impossible. Chaque émission n’est jamais la même, au niveau des chroniques, ça change. On parle même d’artistes africains qui n’ont pas Canal, par exemple. (Rires). Nos invités, on les décroche en travaillant avec leurs attachés de presse et c’est notamment ce que fait notre rédactrice en chef. Mais des fois, de nous même, nous les contactons. Chacun de nous bouge, on s’intéresse à tout... Là encore, il y énormément d’opportunités : des artistes qui sont de passage ou qui annoncent des tournées, des écrivains, des responsables politiques… C’est cela, aussi, le rôle d’un journaliste, fouiller, encore et encore.

 

La rentrée prochaine, ça se prépare ?

 

Il est vrai que le rendu de +d’Afrique, c’est 01h20 mais nous, en terme de planification, on travaille déjà sur des émissions de la rentrée, afin d’avoir une idée de qui sera là… Par exemple, le nouvel album d’Ismaël Lo sera terminé en septembre, c’est à nous donc de l’appeler pour voir quand est-ce qu’il y aura possibilité de l’avoir sur le plateau… Et prévoir en conséquence. Tout cela fait +d’Afrique : il y a plusieurs pays et chacun d’entre eux regarde en rapport avec son actualité. Lors de la dernière émission, c’était Sénégal était content parce qu’il y avait Absatou Sy et Fada Freddy. Lors de la prochaine, ce sera avec les Nubians. Celle d'après, ce sera avec Kassav... Chaque fois, on voyage et on part dans un univers différent.

 

Est-ce que, étant à Canal+, vous vous sentez investi d’une mission par rapport aux autres journalistes africains ? Pensez-vous devoir donner l’exemple ?

 

Je suis d’avis qu’il n’y a pas de mission. Le plus souvent, on me dit que puisque je suis à Africa n°1, ou à RFI, j’ai forcément plus de moyens pour travailler. C’est faux. Les logiciels de radio sont les mêmes. Que ce soit Nadia de Nostalgie Dakar ou n’importe quel autre animateur d’Afrique, j’estime qu’on a la même mission, le même cheval de bataille. Cela dit, dire que +d’Afrique est le 1er Talk-show africain de ce type, avec une image assez «glamour»… Ce n’est pas le problème. Je suis désolé mais Aboubackry Ba et compagnie, au moment de faire leur matinale Kinkéliba, ils sont aussi autour d’un plateau et ils ont la même dynamique. On peut toujours arguer que les moyens de la RTS ne sont pas ceux de Canal+, mais que répondre à cela, si ce n’est «Dieu fasse qu’ils les aient» ! Aujourd’hui, Canal+ a déjà une histoire, dans laquelle nous sommes entrés, certes, mais il n’a jamais été question, et c’est là toute l’honnêteté du producteur et de l’équipe, de nous demander de parler de l’Afrique de manière différente en essayant d’enjoliver ou de vernir les choses.

 

Le producteur et son équipe, ils vous disent quoi ?

 

Ils nous ont juste dit : «vous allez parler d’une Afrique que vous, vous connaissez et que nous, nous ne connaissons pas». C’est une marque de confiance qu’on nous a donnée et j’espère que, dans nos chaînes nationales, les responsables vont faire pareil et donner la chance aux animateurs et aux journalistes de pouvoir, eux aussi, donner leur vision des choses.

 

En regardant +d’Afrique, on a pourtant parfois l’impression d’une certaine complaisance, que tout va bien dans le meilleur des mondes, pour ainsi dire… Pourquoi ne pas, de temps en temps, inviter des gens plus controversés ?

 

Pourquoi faudrait-il qu’il y ait un clash systématique ? Non. À partir du moment où on le fait, cela devient un débat et les émissions qui ont vocation à être des espaces de débat sont celles qui portent sur des thèmes de société, politiques ou sociopolitiques spécifiques. Il faut bien que l’on soit d’accord : +d’Afrique est un talk-show qui, depuis le départ, n’a pas cherché à faire autrement. Là où les gens nous disent «oui, mais regardez sur le Grand Journal, ça clash», il faut comprendre que le «Grand Journal» ne parle que de l’actualité d’un seul pays. Nous, nous avons tout le continent.

 

?

 

Je vous mets au défi d’avoir par exemple des gens qui sont, aujourd’hui, contre l’incarcération de Karim Wade et d’autres, dans la mouvance du Président Macky Sall, sur un même plateau sans que cela ne déborde… Le débat politique, tout le monde sait qu’il prend toute une surface. Cela ne veut pas dire que l’on ne s’intéresse pas à ce qui est important… Avoir Jacques Diouf, l’ancien directeur général de la FAO, sur le plateau et lui dire en face, qu’au bout de 18 ans de mission, il n’a pas été assez efficace parce qu’il y a toujours des gens qui ne mangent pas à leur faim… Ou encore avoir Jean-Louis Billon, grand chef d’entreprise devenu ministre, et lui demander comment il explique qu’étant lui-même à la tête du plus grand groupe privé de Côte d’Ivoire, il y ait aujourd’hui un tel chômage chez les jeunes… Ce sont de vraies questions. Mais après, comme je dis souvent, une émission dans un angle pique et polémique, si elle ne va pas vers des solutions à la fin, elle est vaine.

 

Donc, votre approche, c’est de parler du positif ?

 

Oui. Et c’est pour cela que +d’Afrique promeut les énergies, en termes de «ceux qui font», parce que pendant très longtemps et ça se fait encore, d’ailleurs, les journalistes ont trop joué à l’auto flagellation au niveau du continent. Des gens sont venus sur des plateaux de télévision pour dresser un tableau du continent qui fait qu’aujourd’hui, on dit encore que la Centrafrique n’est qu’un terrain de jeu pour les vendeurs d’armes, à feu et à sang… Ou encore que, pendant des années, la République du Congo n’a été qu’un pays où un barbu chassait l’autre. Et il n’y avait que des endroits idéaux comme le Sénégal, terreau de culture par excellence, ou le Mali, terre d’esthétique, etc. +d’Afrique réussit peut-être à rééquilibrer cela.

 

Vous n'enjolivez rien alors ?

 

Le fait qu’on soit des chroniqueurs ayant mis une certaine complicité en avant, qui ont ce sourire, peut donner à croire que nous enjolivons les choses mais ce n’est absolument pas vrai. Ça ne s’enflamme pas parce que c’est un talk-show donc, justement, un divertissement. Ruquier (NDLR : Laurent Ruquier, France 2) a une actualité politique franco-française, Denisot (NDLR : Michel Denisot, Canal+) idem… Si nous étions «+deSénégal» ou «+deCameroun», on pourrait envisager de se figer sur une actualité, avec ses débats contradictoires, mais ce n’est pas possible dans la thématique actuelle de l’émission. C’est une idée, peut-être, pour l’avenir.

 

SOPHIANE BENGELOUN ET AÏCHA FALL

 

 

 

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