Oser une ruralité simple et développante !
Les initiateurs de la loi n° 96-06 du 22 mars 1996 portant Code des Collectivités locales avaient sans doute bien noté les limites du centralisme étatique incapable d’assurer un développement intégral. Aujourd’hui, dix-sept ans après l’option initiale, les collectivités locales n’ont pas véritablement joué leur rôle du fait certes d’un problème de profil des acteurs conseillers élus décideurs, mais aussi en raison du code qui porte en lui-même les germes d’une ambition bloquée par la question fondamentale de l’autonomie financière.
Il est vrai que l’Etat central, dans un souci de préservation de l’unité nationale, a toujours son représentant (ministère de tutelle, sous-préfet, préfet ou gouverneur) pour garantir le respect des règles. Il n’en demeure pas moins vrai que le résultat est là accablant : le développement n’a pas été au rendez-vous depuis dix-sept ans.
Des compétences ont été transférées aux collectivités locales avec une assiette de ressources maigres. Le fonctionnement des structures décentralisées a plutôt vampirisé ces ressources au détriment d’un investissement sur l’homme et l’infrastructure. Il y a eu aussi la déconnexion entre les enjeux et le profil de beaucoup de maires et autres présidents de collectivités locales qui ont fait de leur structure le deuxième bureau de la coordination locale de leur parti.
Cette présente réflexion ne reviendra pas sur les causes connues de tous. Mon propos vise une simplification des compétences dans le cadre d’une sorte de contrat plan clair pouvant permettre de juger au finish l’action de la collectivité locale. Le flou des compétences transférées ajouté au chevauchement avec l’action de l’Etat central ne permettent pas et ne permettront jamais de faire de la collectivité locale un centre du développement qui part de la base d’abord.
Je fais fi dans cette réflexion présente (à dessein) de la région et de la commune pour m’appesantir sur le cas de la communauté rurale. Ce choix s’appuie sur ma conviction (reprise dans mon livre Un autre Sénégal est possible paru en décembre 2011) qu’on ne développera pas ce Sénégal si nous n’élevons pas la ruralité aux cimes de nos préoccupations.
«Limites textuelles»
Partons des compétences de la communauté rurale telles que définies dans l’actuelle loi 96-06. Les articles 194 à 201 fixent les compétences de la communauté rurale qui peut délibérer entre autres sur les questions comme : l’exercice de tout droit d'usage sous réserve des exceptions prévues par la loi, le plan général d'occupation des sols du domaine national, les foires et marchés voies et places publiques, pistes et chemins non classés et autres cimetières, la protection de la faune et de la flore et des récoltes, l’accès et d'utilisation des points d'eau de toute nature, les chemins de bétail à l'exception des voies à grande circulation, les produits végétaux de cueillette et des coupes de bois, les projets locaux et d'investissement humain.
À coté des domaines clairement définis dans lesquels un conseil rural peut délibérer, l’article 196 précise que «le conseil rural veille au développement et à la promotion des activités et services qui concourent à la satisfaction des besoins de la collectivité. Il aide les familles à élever et à éduquer les enfants dans les meilleures conditions. Il apporte sa contribution à l'amélioration de la situation dans le domaine de l'habitat. Il veille à la propreté et à l'aménagement des villages constituant la communauté rurale et prend toutes dispositions en vue d'assurer l'exécution des mesures de salubrité et de tranquillité publique». Combien de communautés rurales sont dotées d’un PLD (Plan local de développement) au vrai sens du terme ? L’article 198 exige que "Le Conseil rural élabore le plan local de développement et donne son avis sur tous les projets de développement concernant tout ou partie de la communauté rurale.»
Sur les autres questions comme les allocations, secours et subventions ainsi que l'organisation du service de l'état-civil, les audiences foraines, le conseil rural donne un simple avis suivant les dispositions de l’article 199. On voit bien les limites textuelles de l’action de la communauté rurale avec un représentant de l’État qui peut prononcer par arrêté motivé l’annulation de tout acte ayant fait l’objet de délibéré en dehors des compétences (article 201). Où est la prime à l’initiative développante ?
A coté de ces limites textuelles, il y a celle des hommes et femmes en place qui n’ont pas su tirer à fond une interprétation dans l’esprit de l’article 194 qui dispose : «Le conseil rural règle par ses délibérations les affaires de la communauté rurale.». Le terme «les affaires de la communauté rurale» ne signifie pas celles de simple routine. Certes faibles sont les ressources qui proviennent en général du «produit des recettes fiscales, de l'exploitation du domaine et des services locaux, des ristournes accordées par l'Etat ou d'autres collectivités publiques sur le montant des impôts et taxes recouvrés à leur profit, et de la répartition annuelle du fonds de dotation des collectivités locales». (Article 248)
Au niveau des dépenses des collectivités locales, seules sont obligatoires aux yeux du Code celles de fonctionnement ainsi que celles induites par les transferts de compétences dans les conditions précisées par la loi. Sont donc facultatives toutes les dépenses n'entrant pas dans les catégories obligatoires.
En clair un conseil rural qui ne fait qu’expédier les affaires courantes en total manque d’ambition et en respect des règles définies sera «jugée» conforme aux préoccupations de l’Etat. L’est-elle au regard des besoins des populations qui en réalité sont les seuls clients ? Où est alors le développement qui nécessite audace dans l’interprétation de la possibilité générique de la lettre et l’esprit de la décentralisation.
Ma conviction est que l’acte 3 de la décentralisation doit viser plus de simplicité dans les compétences transférées pour aller vers une sorte de contrat plan tripartite entre : les populations organisées en association et autres groupements, le conseil rural élu, et l’Etat à travers son représentant dont le rôle doit être moins policier et plus développant.
Ce contrat doit clairement définir des projets répondant aux questions rurales génériques ci-dessous : 1. Quelle administration locale compétente pour la communauté rurale ? 2. Quel cadre consultatif dynamique d’implication des groupements, associations et personnes ressources techniques de la localité? 3. Quelle passerelle pour impliquer les entreprises locales dans une démarche de Responsabilité Sociétale et Environnementale (RSE) ? 4. Quelles décisions majeures de sécurisation foncière à court moyen et long terme garantissant une pérennité des services sociaux de base (éducation, santé, sport, loisirs, marchés) et des lieux d’habitation et de travail ? 5. Quelle politique de maitrise de l’eau, de l’énergie (notamment renouvelable) et les routes de la localité ? 6. Quelle vocation principale basée sur les atouts locaux pour absorber l’emploi de masse avec un clair projet de financement ? 7. Quelle politique sanitaire locale à articuler à l’option centrale de couverture universelle ? 8. Quelle politique locale en matière d’éducation et de formation prenant en compte les besoins du marché de l’emploi ? 9. Quelle cadre de solidarité locale intergénérationnelle ? 10. Quelle politique de coopération nationale et internationale pour la localité ?
Des projets clairs ficelés autour de ces dix questions doivent faire l’objet d’étude et d’une planification à court moyen et long terme pour servir de tableau de bord socle d’une démocratie certes représentative mais tendant vers une vision plus participative par association des populations qui seront à la fois bénéficiaires et acteurs. Cette conception nouvelle demandera sans doute une implication citoyenne nouvelle avec des acteurs à la fois politiques et civils qui auront intérêt à conjuguer leurs efforts dans l’intérêt local et national.
En allant vers la communalisation intégrale comme souhaitée par le Président Macky Sall, nous devons alléger la monture de la décentralisation pour aller plus vite et plus loin. Nous devons sortir du flou artistique de ce Code gigantesque pour aller vers des contrats communaux ruraux socle d’un développement irréversible. La démocratie et le développement sont à ce prix que malheureusement beaucoup d’acteurs se bousculant aux portes des leviers de la décision locale ne connaissent hélas pas.
Vivement l’acte 3 de la décentralisation avec en plus de la communalisation intégrale, une option simple développante ! Vivement des hommes et femmes politiques ayant, au-delà de la volonté de simple représentation une claire vision du développement locale qui ne se fera qu’en association avec les populations bénéficiaires et acteurs d’abord.
Mamadou NDIONE
Cadre APR, Economiste, Ecrivain,