Publié le 14 Aug 2013 - 14:00
LIBRE PAROLE

Démocratie citoyenne ou démocratie insurrectionnelle ?

 

Les changements politiques intempestifs qui se déroulent dans les pays arabes ne sont représentatifs ni d’une démocratie républicaine, ni d’une démocratie citoyenne encore moins directe comme le prétendent M. Ibrahima Sène (dont je salue les contributions qui participent à la formation des esprits politiques jeunes à défaut d’écoles de parti) et les autres. La démocratie consiste à favoriser l’émergence et la mise au service du peuple de talents, de compétences, de savoir et de savoir-faire portés par des individus que les régimes élitistes monarchiques et féodaux excluaient de la gestion publique des affaires par leur naissance ou leur classe sociale. Cet objectif fondamental de la démocratie est aujourd’hui détourné dans des alternances aussi hasardeuses les unes que les autres qui peuvent aboutir à l’élection d’hommes téléguidés par des lobbies dirigés par des narcotrafiquants, des homosexuels, des religieux et autres pour servir des intérêts bassement particuliers au détriment de l’intérêt général ou dans des soulèvements populaires irrationnels où le peuple est manipulé par des dirigeants nationaux ou étrangers dont la seule motivation est fondée sur des appétits pouvoiristes inavoués ou des calculs politiciens. Les mouvements politiques violents qui se produisent dans ces pays arabes ne caractérisent qu’une démocratie insurrectionnelle, aveugle, impulsive et émotionnelle qui ne mérite d’être ni la norme ni la version moderne de la démocratie. Sa prolifération est dangereuse pour la démocratie qui doit être rationnelle et rationalisée pour atteindre ses objectifs de stabilité politique, de paix civile et de développement. Le président Morsi a été autant bénéficiaire que victime de cette démocratie impulsive et tatillonne qui d’ailleurs n’a pas encore tenu ses promesses dans les pays où elle s’est manifestée sous la forme cosmétisée en printemps arabe. Ils sont encore plongés dans une instabilité politique et civile dont la fin n’est pas prévisible de si tôt. Sans l’intervention de l’armée, l’Égypte serait plongée dans une guerre civile. L’UA ne pouvait mieux faire en condamnant fermement cette forme dangereuse et tragique de la démocratie par son cortège de morts qu’elle entraîne. Toute insurrection ou tout soulèvement populaire dans un Etat est un échec de la démocratie. La démocratie est pacifique, humaine, tolérante et réfléchie.

Le Sénégal est en principe dirigé présentement par la coalition Benno Bokk Yakaar qui assure la stabilité politique et civile du pays. Cette coalition est attaquée selon que l’on se trouve du côté de Macky 2012 ou de l’autre sur des bases matériellement intéressées semble-t-il ? En régime parlementaire avec scrutin proportionnel à un tour (comme celui en vigueur en Allemagne), les chiffres des résultats du premier tour de l’élection présidentielle de 2012 seraient convertis directement en nombre de députés et naturellement le président de la république se retrouverait minoritaire à l’hémicycle avec 26% contre 74% des députés. Donc, en se projetant en régime parlementaire, on est tenté de donner raison aux défenseurs du maintien de la coalition. Mais la réalité n’étant pas fictive, il faut se mettre à l’évidence que l’on est en régime présidentiel où seul le président de la république doit répondre de sa gestion après cinq ans de mandat. Une fois élu, tout s’efface devant lui. Il est le seul maître à bord. Ni son parti, ni ses partenaires politiques encore moins  des lobbies de quelque nature que ce soit ne doivent influencer ses prises de décisions qui sont orientées vers l’efficacité et l’efficience. Toute sa volonté et tout son esprit sont tendus vers la production de résultats pour la satisfaction des besoins des populations. C’est ainsi qu’il fait appel souvent de manière surprenante à des personnages dont il est le seul capable de justifier leur présence dans le gouvernement,  même s’il doit se prévenir toutefois de ne pas confondre la résonance du nom et les compétences de l’individu.

Du bilan d'une gestion collective

Quel est le bilan de la gestion collective de la coalition après un an et demi de compagnonnage ? Quel est l’apport de la coalition ? Nous laissons au président Macky Sall la latitude de répondre à ces questions. Mais le commun des sénégalais, s’il apprécie l’environnement politique apaisé, n’hésite pas à manifester son insatisfaction quant aux solutions apportées  à la demande sociale. Les leaders politiques affirment tous à cor et à cri qu’aucun parti ne peut seul diriger le Sénégal. Mais quand on les associe à la gestion du pouvoir, comme c’est le cas maintenant et dans le passé, le pays ne s’en trouve pas mieux en bon état. Faut-il les associer pour apaiser le climat social et politique en leur mettant du chocolat dans la bouche ou faut-il les associer pour apporter des réponses réelles et pertinentes á la demande sociale ? La réponse donnée à cette question va justifier la nécessité du maintien ou non de la coalition. Toutefois, dans la situation de maintien de la coalition, l’échec du président Sall sera l’échec des partis politiques les plus significatifs du landernau politique, donc un échec retentissant de la classe politique.

Enfin, la commission chargée des reformes institutionnelles dirigée par le président MBow n’est pas une commission issue des Assises Nationales. C’est une commission, comme celle de la gouvernance foncière dirigée par Maitre Doudou NDoye et la CNAES dirigée par le Pr Souleymane Bachir Diagne, qui est crée et financée par le président de la république sur la base de termes de référence bien déterminés. Les résultats du travail de ces commissions seront appréciés par le président de la république qui pourrait les adopter sans changer de virgule, ou les amender ou les rejeter purement ou simplement. Le Ministre Mahmoud Saleh a bien raison quand il affirme, avec d’autres mots et un excès de tempérament qui n’était pas nécessaire, que c’est le président qui décide en dernier ressort.

En résumé, la disparition éventuelle de Benno Bokk Yakaar ou l’amendement des propositions de la commission des reformes institutionnelles dans des aspects contraires aux conclusions des assises nationales ne peuvent et ne doivent en aucun cas servir de prétexte à une crise politique. La manière dissimulée ou voilée de menacer ou d’avertir le président de la république Macky Sall par cette démocratie dite citoyenne est de mauvais goût. Le niveau actuel du développement de la qualité de notre système démocratique requiert que les acteurs politiques respectent le verdict populaire des urnes et le calendrier républicain qui l’encadre et le valorise. Une démocratie républicaine et citoyenne est une démocratie qui respecte la constitution et le choix électoral du peuple, ce qui garantit la stabilité politique et la paix civile dans le pays. Exhorter ou inaugurer d’autres formes aventureuses de démocratie peut nous plonger dans une nuit sans fin avec un recul démocratique et des conséquences regrettables incalculables et imprévisibles. Arrêtons l’éloge de la démocratie insurrectionnelle dite citoyenne.

Dr Abdoulaye TAYE

Enseignant-Chercheur à l’Université Alioune Diop de Bambey

Email : layetaye@yahoo.fr

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