Publié le 25 Jan 2014 - 12:02
PORTRAIT - AÏDA NDIONGUE

Les histoires compliquées d'une Walo-Walo...

 

La dame du Walo est une femme atypique, au parcours comme on en voit rarement sous le ciel politique sénégalais. Hier mise dans la nécessité de devoir se battre dans un milieu où le mâle dominant ne laisse de place qu'à celles qui ont les moyens d'arracher ce qu'elles visent. Aujourd'hui soumise aux affres de la reddition des comptes dans un système dit de rupture. Entre deux époques, l'itinéraire d'un «ange» pour certains que d'autres assimilent à une femme fatale au service d'hommes politiques impitoyables et sans vergogne qui assistent à sa mise à mort politique et sociale.

 

Dans les liens de la détention depuis le 12 décembre dernier, Aida Ndiongue est sous les projecteurs. Après la publication de son patrimoine estimé à 47 milliards par le Procureur de la République, les commentaires sont allés bon train. Certains soupçonnent carrément une entreprise mafieuse de blanchiment d'argent sale, d'autres dénoncent un «captage indécent» de deniers publics, alors que ses partisans se contentent de faire passer la thèse de l'«acharnement contre un adversaire politique»...

Pourtant, au quartier des Hlm, près du marché, où l'ex-sénatrice libérale a vécu pendant plusieurs années avant de déménager vers des cieux plus résidentiels, on est surpris de l'ampleur prise par la publication de ses biens. «Elle a bien pu acquérir tous ces milliards qu'on lui prête à la sueur de son front dans la mesure où c'est une combattante, une femme d'affaire qui a toujours cru en elle», indique la dame Fatou Sène Diagne.

Mère Térésa des Hlm

Emmitouflée dans un grand boubou de couleur verte, le visage rajeuni par un teint assez clair, elle éprouve un vrai plaisir à témoigner sur l'ancienne édile durant le magistère d'Abdou Diouf. «Je jure qu'elle ne m'a jamais donné un seul franc, mais je témoigne que Aida Ndiongue a acquis sa richesse bien avant l'avènement du régime d'Abdoulaye Wade», soutient-elle.

«Vous ferez le tour des Hlm, personne ne vous dira du mal d'elle car elle a beaucoup aidé les populations, elle a trouvé du travail aux jeunes du quartier, elle a amené à la Mecque un bon nombre de pères de famille, et à chaque fête de Tabaski, elle distribuait des enveloppes de 50 000 à 100 000 FCFA aux familles les plus démunies.

C'était déjà sous le régime socialiste et donc bien avant l'alternance», ajoute-t-elle. La dame aux bijoux aura laissé ses empreintes dans ce quartier populeux de Dakar où l'oisiveté des jeunes est palpable. «Elle nous a trouvé du travail le temps qu'elle a passé à la tête de la mairie. Nous avons tous bénéficié de ses largesses», rappelle le jeune Assane Ndao, la trentaine.

L'histoire de son «premier milliard»

En ce début des années 1990, explique une de ses proches, Aida Ndiongue est déjà une notable du Parti socialiste et assez riche pour distribuer de l'argent aux militants et habitants des Hlm. «En fait, elle disposait d'une somme d'environ 580 millions de francs Cfa

dans un compte d'une banque française à Paris. C'est quand la dévaluation est survenue en 1993 que, automatiquement, elle devient milliardaire en toute logique.» Ce sont donc les lois objectives de l'économie monétaire qui ont transformé la Walo-Walo en milliardaire du jour au lendemain, comme d'ailleurs beaucoup d'autres personnes à l'époque dont les comptes bancaires étaient assez fournis.

Ex-femme de l'ex directeur général du Soleil, Alioune Dramé

Institutrice de formation, ex-femme de l'ex-directeur général du Soleil, Alioune Dramé aujourd'hui directeur de la communication avec qui elle a eu son fils unique, Aida Ndiongue signe sa descente dans l'arène politique sénégalaise dans les années 70, quelques années seulement avant que le président Senghor passe le témoin à son successeur désigné, Abdou Diouf.

«Elle est venue au Ps aux environs des années 69-70», renseigne son ancien camarade de parti, le député Doudou Issa Niasse, avec qui elle a milité dans la même coordination. Selon ce dernier, avant d'embrasser le milieu de la politique, il lui a fallu faire ses premières armes dans le syndicalisme. «C'est nous qui le le lui avions demandé. Après qu'elle a démarré au Synels (syndicat national de l'enseignement laïc du Sénégal), elle a très vite pris goût à l'action politique. (Alors) elle est venue à l'Ups», informe le maire de la commune d'arrondissement de Biscuiterie.

Aux côtés de Mbaye Ndiaye et Riche Niang

Devenue militante du Parti socialiste, «Aïda a commencé à travailler avec Mbaye Ndiaye (actuel ministre d'Etat à la Présidence de la République) au niveau de la quatrième coordination de Dakar au niveau des Hlm. Mais c'était dans un contexte où il n'y avait pas beaucoup de moyens». N'empêche, la détermination de la dame à se frayer un chemin dans le landernau  est un atout pour elle. «Elle était très volontaire pour les populations. Tout ce qu'elle avait, ce n'était pas grand chose, elle le distribuait aux femmes et aux enfants'', confie le responsable socialiste.

Colin, sa rampe de lancement

Malgré cet environnement de précarité, financière notamment, Aïda Ndiongue multiplie les initiatives. Avec ses camarades de parti Mbaye Ndiaye, Ameth Diène et le célèbre lutteur Riche Niang, elle met en place le mouvement «Les amis de Jean Colin». Jean Colin, grand chef blanc du Sénégal de l'époque, homme surpuissant du régime socialiste, celui qui fait et défait les carrières, z-yeux et z-oreilles du régime grâce aux services de renseignements, celui par qui passe, trépasse et/ou transite tout ce qui se faisait au Sénégal, disait-on.

C'est avec cet homme redoutable et craint que Aida Ndiongue s'est offerte en soutien politique. «Nous avons préféré au niveau de l'association qu'elle soit la dirigeante nationale», explique Doudou Issa Niasse. Le député-maire de Biscuiterie indique même avoir servi, «dans un premier temps, de trait d'union entre Aida Ndiongue et Jean Colin.»

Femme d'affaires au service du Parti socialiste

Active à la tête des «amis de Jean Colin», la dame du Walo n'en mène pas moins sa carrière à l'intérieur du Parti socialiste où des appuis importants lui sont accordés dans le cadre de ses affaires. C'est avec l'arrivée de Robert Sagna à la tête du ministère des Travaux publics que celle-ci aurait d'ailleurs pris son envol dans le business. En tant que femme d'affaires, c'est à ce moment qu'elle «commence à avoir des contrats avec l'administration avec Robert Sagna à la tête dudit département ministériel», affirme Doudou Issa Niasse.

«Faux», réplique l'ancien maire de Ziguinchor contacté par EnQuête à cet effet. «Je n'ai pas travaillé avec Aïda Ndiongue, c'est avec mon successeur Landing Sané qu'elle a travaillé», précise-t-il non sans ajouter avoir «côtoyé (Aida Ndiongue) comme il a  côtoyé les autres militants socialistes à cette époque». Cependant, pour un autre dirigeant socialiste très présent à l'époque et interrogé par nos soins, «c'est bien avec Robert Sagna que Aida Ndiongue a commencé.»

Mais dans tous les cas, une constante se dégage de l'avis de tous nos interlocuteurs. «C'est bien Landing Sané qui a lancé Aida Ndiongue avec les marchés, Il faut savoir que Landing Sané était un très proche de Colin dont il était une des connexions» avec «l'extérieur». L'influence et la main du tout-puissant Colin ont ainsi été un sésame pour cette femme «ambitieuse et déterminée à aller toujours plus haut». Pour cela, «le machin» dit les amis de Jean Colin» était une voie royale.

Landing Sané, son point focal

Sa montée en puissance, elle la doit autant à sa débrouillardise, à son dynamisme, qu'à l'appui de Colin via ses obligés dans le parti. Une source crédible explique le stratagème. «Comme elle devait aider les femmes et le parti, il fallait qu'elle fasse son trou dans le milieu des affaires pour avoir des retombées qui lui permettent de faire efficacement la politique.» Des affaires, Aida Ndiongue en a fait : beaucoup avec le ministre Landing Sané, une sorte de point focal pour elle. «C'était vraiment une très proche amie de Jean Colin», indique un socialiste de l'époque.

Tellement proche que les marchés arrivaient de partout pour la dame Ndiongue. «C'est Colin qui était son mentor et c'est lui qui lui ouvre les marchés de la Senelec avec Ibrahima Ndao comme directeur général, ceux de la Lonase dirigée alors par Bassirou Ndao.» Et même «quand elle était attachée de cabinet de Clédor Sall, alors président du conseil municipal de Dakar», renseigne notre interlocuteur. Selon un autre interlocuteur, elle a aussi gagné «beaucoup d'argent» dans le secteur du marché du papier journal avec le Soleil.

Derrière Adja Arame Diène

Aida Ndiongue gravit les échelons en rapport avec les «services» qu'elle rend au Parti socialiste. Une sorte de système donnant-donnant où tout le monde trouve son compte. De simple militante, elle passe responsable départementale de la coordination du Ps de Dakar. Et à en croire Doudou Issa Niasse, au plan régional, elle avait une audience qui égalait celle de Arame Diène», celle qui a été surnommée «la mère du Ps».

A ce niveau, nous éclaire un responsable socialiste, «Aida Ndiongue n'a jamais été portée à la tête du Ps régional face à Adja Arame Diène pour la bonne et simple raison que les renouvellements n'ont jamais eu lieu», et qu'il n'y a donc pas eu bataille entre les deux femmes. Après la disparition de «la mère du Ps», c'est Aida Sow Diawara, député-maire de Golf Sud qui a pris la tête du Parti socialiste dans la région de Dakar.

Le chien en parabole

La chute du Parti socialiste a été lourdement vécue par les «Verts», mais surtout par ceux qui n'ont pu résister au «chantage» d'Abdoulaye Wade qui vient de terrasser un pouvoir vieux et fatigué de 40 ans. Diouf parti se «réfugier» en France, la maison socialiste vacille mais ne s'écroule pas. «Les maillons faibles» sont vite happés par le vieil opposant devenu chef de la République.

«Aida Ndiongue est dans le collimateur de Wade, mais par l'entremise de Landing Sané», rapporte un cacique socialiste. Selon Doudou Issa Niasse, «c'est sur la base de concertations avec ses amis du parti (que) conseil lui est donné d'aller rejoindre Abdoulaye Wade.» Ce qu'elle fait. Mais avant de franchir le Rubicond, il s'est passé un événement important, raconte un socialiste approché par EnQuête.

«Quinze jours après le départ de Diouf, un meeting s'est tenu devant chez Adja Arame Diène, à la Médina. Devant les militants, Aida Ndiongue y fait le serment de rester socialiste en dépit de tout. ''Si je quitte le Parti socialiste, que quiconque possède un chien lui donne le nom de Aida Ndiongue'', lâche-t-elle devant la foule.»

Un engagement qui ne tiendra pas face au rouleau compresseur du nouveau régime. «Un haut responsable socialiste avec qui elle a travaillé est venu la supplier de rallier le Pds car Wade avait des dossiers brûlants sur lui et sur elle», signale une source aujourd'hui indépendante. Qui ajoute même que sa sœur, la syndicaliste Bakhaw Diongue, avait été meurtrie de la voir partir.

Macky, Farba, Landing, Chamseddine Aïdara, les sergents-recruteurs

Pour «convaincre» la dame du Walo, informent des sources dignes de foi, Abdoulaye Wade dépêche une équipe de choc composée de Farba Senghor, Landing Sané, Chamseddine Aïdara et... Macky Sall. Aida Ndiongue cède aux pressions et rejoint les prairies bleues. Débute alors une idylle de douze ans avec le régime libéral. Le pouvoir a changé de camp, mais Aida Ndiongue est restée fidèle au Parti démocratique sénégalais qui, au vu de sa réaction avant et après la sortie du procureur de la République, se montre solidaire des épreuves qu'elle affronte.

Code d'honneur

«Malgré tout, c'est une grande dame, dit d'elle une connaissance. Elle a ses défauts, ses insuffisances, et elle a même peut-être trempé dans des magouilles. Mais il y a une chose que personne ne peut lui enlever : l'honneur. Si vous lui confiez un franc, elle vous le rend au moment voulu. Il ne faut pas oublier que c'est une Walo-Walo, c'est important.»

Perfide ou réaliste, un observateur fait remarquer ceci : «en réalité, Aida Ndiongue agit comme le font les membres de certaines organisations plus ou moins fréquentables en respectant scrupuleusement un code d'honneur». Serait-ce alors ce code d'honneur connu en elle qui aurait poussé des pontes de l'ancien régime à en faire un prête-nom potentiel afin de se protéger eux-mêmes ?

MOMAR DIENG & ASSANE MBAYE

 

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