‘’Si Macky Sall ne prend garde, il ne fera pas de deuxième mandat’’
Textes engagés, musique révolutionnaire, franc-parler sans frontières. Ousmane Diallo dit Ouza est une sorte de révolté professionnel contre un certain système, mais aussi contre les entourages nuisibles. Après avoir combattu Me Wade qu’il définit comme un visionnaire, il sonne l’alerte contre son ‘’ami’’ Macky Sall, chef de l’Etat, coupable entre autres d’avoir assimilé la culture au mouvement Fekké ma ci boolé de Youssou Ndour. Dans cet entretien, Ouza explique également ses liens avec Yaya Jammeh, chef de l’Etat gambien.
Cela fait un moment que vous êtes absent de la scène, vous êtes dans quoi ?
J’observais ce qui se passe dans le pays. Actuellement je ne reflechis que sur cela. Il n’y a que la marche du pays qui m’importe en ce moment.
Auriez-vous pris votre retraite musicale ?
Non, pas du tout ! Je n’ai pas encore pris ma retraite. Je me suis retiré pour encadrer Adji (ndlr : sa fille Adiouza). Elle est jeune et il me fallait l’épauler. Elle a de belles et bonnes idées, mais ne veut pas de textes révolutionnaires comme moi. Ce qui fait que je ne peux pas encore me retirer définitivement.
Vous pensez revenir sur la scène quand ?
Là je suis en train de préparer une lettre ouverte à mon ami Macky Sall. Je travaille sur cela depuis un mois.
Pour lui dire quoi ?
C’est avec tristesse que j’écris cette lettre à l’endroit de Macky Sall, parce que je le connais très bien. Je le connais depuis qu’il est ministre de l’Intérieur. Cette lettre sera une chanson et elle sortira très bientôt.
Qu’est-ce qui vous a poussé à reprendre le micro pour parler à Macky Sall ?
On a touché mon domaine, la culture. Je ne peux pas ne pas réagir. On fait du n’importe quoi avec la culture. J’ai décidé d’écrire cette lettre malgré le fait que la grande dame, la plus grande Première dame du Sénégal, Marième Sall, soit mon amie. Ce que je veux faire là me pèse, mais il faut que le fasse. Je ne peux rester les bras croisés !
Qu’est-ce qui vous frustre dans la politique culturelle menée ?
Actuellement, mon ami intime le Président Macky Sall pense que toute la culture se résume à Fekké ma ci boolé (ndlr : le mouvement créé par Youssou Ndour) ! Depuis l’aube des indépendances, à mon avis, la politique culturelle menée par le Président Sall est la plus nulle de toutes. Mon ami le Président ne prend en compte que Fekké ma ci boolé. Tant que ce mouvement est à l’aise, la culture l’est aussi ! Qu’on me reçoive ou pas ne me dérange pas, mais qu’on prenne tout le monde en compte. Je n’accepterais jamais que la culture soit gérée par un lobby qui en fait ce qu’il veut. C’est pour cela que j’ai déterré mon micro de combat.
Vous pensez donc que la politique culturelle se résume à Youssou Ndour ?
C’est ça le problème et on ne doit pas avoir honte de le dire. Quand on est parti pour l’élection du bureau de la nouvelle société de gestion collective, j’ai dit que je n’y participais pas. Les artistes de Thiès ont eu le courroux contre lui. Après, j’ai lu un article de Pape Alé Niang (ndlr : journaliste à la 2S TV et au magazine ‘Vision Mag‘) qui parlait d’un lobby au sein de ce secteur. Ensuite, j’ai vu une subvention de 50 millions de francs Cfa. Aujourd’hui, Fekké ma ci boolé gère la Place du Souvenir africain et le Monument de la Renaissance africaine. Notez bien ceci : je n’ai pas de problèmes personnels avec ceux qui gèrent ces espaces-là. Ce sont mes amis. Je n’ai pas non plus de problèmes avec Youssou Ndour.
Je tiens à le préciser. Je ne combats pas des hommes mais des idées et des principes. Youssou Ndour a fait du bon boulot pour l’élection du Président Macky Sall, je le lui reconnais. Mais ce n’est pas pour autant que la politique culturelle devrait se résumer à lui. J’ai entendu dire que le Président Macky est l’otage d’un lobby. Vu comment la culture est gérée, moi je suis en phase avec ceux qui l’ont dit. Il faut qu’il rectifie son tir. Je suis en train de voir avec d’autres artistes qui se retrouvent dans mon idée comment terminer la chanson. Il faut qu’on combatte cela, et si ça ne change pas, on combat le régime apériste.
Si votre ami comme vous l’appelez, à la lecture de cette interview, vous reçoit au Palais pour arrondir les angles, pensez-vous malgré tout sortir ce titre ?
Je ne veux pas que ce qui m’est arrivé avec Abdoulaye Wade se répète avec Macky Sall. C’est aux dernières heures du régime wadiste que j’ai commencé à sortir des chansons. Je voulais le voir pour qu’on discute. Pape Samba Mboup, Iba Der Thiam et même Macky Sall peuvent en témoigner. Je fais partie de ceux qui ont élu Macky Sall. C’est un ami. Maintenant, quand on ne peut pas lui parler directement, on ne peut que prendre son micro.
Au-delà de la politique culturelle, comment appréciez-vous de manière générale la gestion du pays ?
Macky a réussi certaines choses, il faut lui reconnaître cela. La baisse du loyer est une bonne chose, il est en train de construire un pont à Foundiougne, c’est bien. Je l’ai entendu remercier Abdoulaye Wade lors de l’inauguration de l’autoroute à péage. C’est très important. Il privilégie la science. C’est très important, parce que c’est la littérature qui retarde le Sénégal et l’Afrique. Donc, on peut dire qu’il a des idées. A mon avis, il fait des efforts.
Vous n’êtes donc pas de ceux qui pensent que le pays ne marche pas ?
Tout n’est pas rose, il faut le dire. L’exemple du problème des étudiants le démontre. On ne peut pas ne pas payer les bourses. Je n’ai jamais pensé qu’il y aurait un mort sous le magistrature de Macky Sall. Il y a des problèmes à soulever. Peut-être qu’avant la fin de son mandat, il rectifiera le tir. Les gens m’interpellent dans la rue pour me dire qu’ils n’ont plus rien. Un père de famille ne peut pas demander à ses enfants de se serrer la ceinture au moment où lui-même ne le fait pas.
Que pensez-vous de la réduction annoncée du mandat présidentiel ?
Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’il devrait s’en tenir au septennat. Il l’a dit au début peut-être parce qu’il était euphorique. Maintenant se pose un problème éthique : il avait donné sa parole, il doit la respecter. Moi, je ne suis pas contre qu’il fasse sept ans, mais quand même, il doit respecter la parole donnée. Tous ces problèmes auxquels il fait face sont dus à son entourage. Il est mal entouré. Macky Sall, tel que je le connais, si cela ne dépendait que de lui, le débat sur la durée de son mandat ne se serait pas posé.
Que reprochez-vous à l’entourage du Président ?
Il ne lui prodigue pas de bons conseils. Le Président est entouré de gens rancuniers.
Vous faites allusion à qui ?
Je ne peux pas le dire, ce ne serait pas gentil. Je les connais tous et je sais qu’il y en a qui ont des idées obsolètes. Ils sont là depuis l’aube des indépendances. Vous savez, la force d’Abdoulaye Wade c’est qu’il est un visionnaire. Je fais partie de ceux qui l’ont combattu, mais il faut reconnaître que sa force est qu’il n’a pas fait l’Ecole nationale d’administration (ENA). Ce qui lui a permis d’être ouvert. Il est venu avec des idées. Alors que ceux qui entourent Macky Sall pensent que seule la vision occidentale peut développer le pays. Ils sont zélés aussi.
Vous pensez à ses alliés de Benno Bokk Yaakaar ?
Je pense à tout le monde ! Car ceux qui l’entourent sont des cartésiens, des hellénistes. Ils pensent que ce qui était valable chez les Grecs l’est chez nous. Si j’ai un conseil à donner à Macky Sall, c’est qu’il devrait être prêt de Wade. Me Wade, on lui connait sa boulimie financière, foncière et autres défauts, mais il a su tout de même faire dans ce pays en douze ans ce qu’aucun Président n’a su réaliser ! Or, aujourd’hui et dans cet entourage de Macky Sall, on est en train de répéter les mêmes erreurs que celles commises par l’entourage de Wade. Il y en a qui n’avaient même de vélo avant mais qui roulent maintenant dans des voitures de luxe. Si Macky Sall ne prend garde, il ne fera pas de deuxième mandat.
L’actualité, c’est également le procès Karim Wade. Pensez-vous que la manière dont il est mené est équitable ?
C’est un problème de justice. Tout ce que je sais, c’est qu’il est martyrisé. Je suis contre Karim Wade parce que je le connais bien. Il est arrogant et il faisait n’importe quoi dans ce pays. C’est pour cela que j’ai combattu son père. Mais là, je suis d’avis qu’il est en train d’être martyrisé. Dans les journaux, on parlait de 4000 milliards qu’il aurait pris. Ensuite, on a dit 100 milliards puis 90, ce n’est pas fondé. On permet à quelqu’un qui ne devrait pas avoir du succès d’en avoir.
Aussi, je suis en phase avec Amath Dansokho quand il récuse la CREI. Les biens de Karim sont supposés mal acquis. On l’a arrêté avant d’avoir des preuves. Et si la CREI devait juger tous les gouvernants du Sénégal, de 1960 à ce jour, ce serait difficile pour beaucoup. Pour moi, le mieux aujourd’hui serait une réconciliation nationale. On est dans une situation délétère avec toutes ces disputes. Quand ce n’est pas Karim, c’est Baldé ou un autre. Cela ne mène à rien tant qu’on n’a pas des preuves. Je ne suis certes pas juriste, mais j’aspire à ce qu’on ait un pays stable et paisible.
Parlez-nous maintenant de vos relations avec le Président Jammeh.
C’est une longue histoire. J’ai vécu en Gambie quand on m’a fait sortir de mon pays. En 1972, je jouais en Gambie dans un groupe qui s’appelait ‘’Afro Dunya’’. Yaya Jammeh faisait partie des enfants qui nous regardaient prester. La Gambie m’a accueilli et m’a soutenu de 1972 à 1976. Yaya Jammeh est après devenu Président. Dans mon Cd ‘’20 ans’’, j’ai chanté une Gambienne qui s’appelle Collé Sène. Elle m’a appelé un jour pour me dire : ‘’mon frère, tu as la même idéologie que Jammeh, il faut que tu le voies’’.
Il y a eu alors après un grand spectacle auquel il devait prendre part et Collé Sène m’y a invité. Quand il a su que j’étais là, il a demandé à me voir. Il m’a dit : si j’ai fait la révolution c’est à cause de toi, d’AIpha Blondy et du Bembeya Jazz. Il a demandé à tout le monde de se lever pour me rendre hommage. J’ai vécu en Gambie dans les années 1970, je connais ce pays et j’ai vu qu’il y a apporté beaucoup de changements. En plus on partage la même idéologie. Il croit aux Africains et au développement de l’Afrique par les Africains. On est devenu amis et proches. Je crois en sa politique de développement.
On le peint comme un dictateur.
C’est ce que beaucoup disent. Ils ignorent seulement que les Anglais sont différents des Français. Un pays, on se doit de le discipliner. Le capitaine Jerry Rawlings est arrivé à faire avec le Ghana qui est aujourd’hui le pays le plus discipliné d’Afrique de l’Ouest. Rawlings a quitté le pouvoir quand il le fallait. Jammeh fera autant. Quand j’entends les gens le critiquer, je ris sous cape. Moi qui ai vécu et vu les magistratures de Rawlings, Lumumba et autres, je sais.
Accepteriez-vous qu’un Sénégalais fasse ce que Jammeh fait en Gambie ?
Au Sénégal, on n’a qu’une démocratie alimentaire et à géométrie variable. Ici, on ne fait pas la différence entre démocratie et anarchie. L’indiscipline qu’on voit au Sénégal n’existe ni en Gambie ni au Ghana.
Les activistes gambiens vous en veulent beaucoup pour ce soutien.
Je sais. Ils m’appellent et discutent avec moi. Je les connais très bien. Un jour, ils m’ont appelé des USA. Je leur ai dit que dans leur groupe, il y en a qui jette aujourd’hui des pierres à Jammeh juste parce qu’il s’est disputé avec lui. C’est Fatou Sow. C’est elle qui dirigeait il n’y a pas longtemps. Je leur ai demandé de m’appeler pour qu’on discute. Certains m’ont taxé d’hypocrites mais je leur ai répondu. Ce n’est pas parce qu’ils ne sont pas d’accord avec Jammeh que tout le monde devrait faire pareil !
PAR BIGUE BOB