Quand les cahiers redonnent le ton !
«…Je suis parfois saisi de la brusque envie de me souvenir. » (R. Barthes)
BATIR UNE HISTOIRE COMMUNE ET OUVERTE
Toute histoire se construit sur la base de mythes, de subjectivités, voire de fantasmes. L’essentiel est de retenir que ces éléments finissent toujours par s’articuler entre eux pour produire une mémoire commune, partagée, magnifiée et entretenue. Aussi toutes les nations du monde, et depuis les temps reculés de l’histoire, ont produit une historicité qui leur est propre, et qui détermine leur insertion dans l’histoire globale de l’intelligence.
Nous sommes dans le monde depuis plusieurs millénaires déjà. Mais un monde tout « nouveau » par ses subtilités, ses intrigues et ses intelligences est apparu depuis longtemps, et pour y rester (résister !), il va bien falloir « fabriquer » un homme dont le profil répond parfaitement aux mécanismes organisationnels du monde dans lequel il vit. Il est impossible de construire une mentalité qui fonctionne avec son monde, si « l’individu quelconque » attendu n’est pas éduqué à partir des ressources philosophiques de sa propre nation. Pour rivaliser avec le monde, nous avons besoin de beaucoup d’inventivité pour renforcer l’apprentissage au civisme.
Et ce dernier ne s’acquiert que par le biais de la mise en place de mécanismes de transmission des constituants de la civilité que nous souhaitons voir régner partout. Dès lors, tout support s’avère important pour que le citoyen (ou tout autre individu) puisse – toujours - avoir en face de lui quelques éléments fondamentaux qui constituent le « vrai miroir » de la nation à laquelle il appartient. Ce miroir doit impérativement prendre en charge l’ensemble ou partie des symboles les plus significatifs de l’histoire de cette même nation. C’est-à-dire les fondements qui consolident la République.
Donc toute représentation (figures, hymne, équipe nationale, Ecole) ou tout objet (drapeau, armoiries…) pouvant incarner la nation, participent, à sa canonisation. Et toute canonisation a pour vocation de sanctifier une chose ; à la rendre non seulement mythique, mais mystique. Parce qu’il y a quelque chose de mystique qu’une République, qui se respecte, insuffle à son peuple. Car elle incarne, par ses symboles, le socle sur lequel le citoyen prend appui. C’est cette solidité de l’ancrage national qui permet de mieux appréhender le message de la couverture de ce cahier qui figure une carte de l’Afrique laissant apparaître le visage rayonnant de ce grand Homme du XXe siècle : Mandela.
BIEN TENIR SON CAHIER
Après ce grand détour, passons entre les rayons d’un magasin de la place ! La rentrée scolaire et universitaire est déjà dans les esprits. Les magasins, les libraires, les « libraires ambulants » et tous ceux qui participent à l’animation intellectuelle de Dakar ont refait leurs rayons. Les enfants du primaire au lycée sont à la page. Sacoches, stylos, crayons, gommes, gourdes, ardoises, craie et tous ces éléments hétéroclites qui entrent dans la composition des trousses de nos enfants. Mais un phénomène frappe, car il est haut de couleurs et trône en maître dans les rayons. En effet, les cahiers mis en vente pour la rentrée prochaine sont expressifs et rappellent à l’ordre. Pour preuves quelques couvertures.
Afrique, cahier [de 96 pages] avec une carte de l’Afrique figurant même les Îles du Cap Vert (Je relève une erreur : les îles s’appellent de manière officielle Cabo Verde et non plus Cap Vert, à corriger prochainement !). Mais, j’étais enchanté de constater que le continent intéresse et qu’il est indispensable que les générations qui arrivent sachent reconnaître sur une carte le Lesotho, pays « enclavé » dans l’Afrique du Sud.
Je passe et crois me tromper en lisant presque à haute voix (un dimanche !) : «Le Sénégal des royaumes. Les derniers souverains», cahier [de 192 pages]. Des figures importantes de l’histoire « globale » du Sénégal sont représentées sur la couverture. Je me dis que finalement toute diversité est porteuse d’unité ; si elle est bien canalisée et usée dans ce qui semble être son essence. Elle est le lieu qui permet de faire advenir cette relation communicationnelle indispensable qui s’établit entre les citoyens, dans leur ensemble, pour qu’ils se reconnaissent dans le particulier sans pour autant oublier que ce particulier n’a de sens qu’inséré dans cet ensemble anonyme que forment les autres particularités : la nation. L’histoire de nos terroirs doit être connue de tous pour que le civisme puisse s’articuler à l’esprit de tolérance et d’acceptation de l’autre.
Notre monde l’exige. Donc en utilisant cette carte du Sénégal qui figure les anciens royaumes, les concepteurs du cahier permettent une familiarisation avec l’histoire de nos terroirs. Seulement une erreur s’est glissée, en quatrième de couverture, car la Casamance n’a jamais formé un royaume allant de la basse à la haute Casamance. La quatrième de couverture ce cahier est un résumé historique intéressant. Donc c’est une page d’un livre d’histoire que les élèves vont glisser dans leurs sacoches dès l’ouverture des classes. Quoi de plus instructif et quel autre « talisman » pourrait-on donner à un enfant que l’histoire des terroirs constitutifs de la République dont il fréquente l’école ?
Un autre cahier [de 192 pages] : «Mon pays. Sénégal. Ma passion» présente une carte administrative du Sénégal, et en quatrième de couverture, un tableau «Découpage administratif des 14 régions du Sénégal» permet d’avoir le nombre de départements, de communes, d’arrondissements, de communautés rurales, leur superficie, leur nombre d’habitants et leur densité. Quelle aubaine pour tout le monde, car même la vendeuse de gerte caaf (NDLR : arachide grillée) va, certainement un jour, vous servir ses arachides dans l’une de ces couvertures. Il suffira donc d’être curieux pour avoir quelques informations « techniques » utiles sur son propre pays, et mieux prendre corps avec lui.
À propos de corps, un cahier [de 48 pages] présente un policier dans une belle tenue, au fond une voiture de police et plus bas des motards prêts à démarrer pour assurer «Protection, sécurité, assistance» «Dans l’honneur au service de la loi.» La messe est dite ! La police assure la protection des citoyens et veille sur l’ancrage du civisme dans leur esprit. La police est indispensable dans la cité. Sans elle aucune activité ne pourrait se dérouler sans incident. Elle limite, par son caractère réactif et discret, les dégâts causés par le débordement des foules.
Il faut bien que les enfants puissent reconnaître leurs uniformes, leurs insignes et leurs couleurs. Ils ne doivent pas seulement penser : arrestation ou coup de matraque. Mais intégrer la police dans leur dispositif mental comme un élément indispensable dans le bon fonctionnement de la cité. La quatrième de couverture du cahier présente les « missions », et fait le descriptif des « personnels » (les corps) et des « structures » (les directions).
Cahier [de 32 pages] «Armée nationale» avec les acronymes des écoles : E.N.O.A, E.M.S, P.M.S, E.N.S.O.A. Six jeunes citoyens honorent les couleurs nationales. En quatrième vous avez la chance de comprendre en trois paragraphes l’importance, et la centralité d’une armée forte dans l’histoire et l’avenir d’une nation. Elle protège «le citoyen, pour la préservation de l’unité nationale». Belle mission ! Nos élèves qui rêvent un jour devenir des soldats, des colonels ou des généraux peuvent déjà, avec cette image qu’ils auront toute l’année, se sentir dans une tenue de combat pour « perpétuer les valeurs et vertus de la société sénégalaise ».
(Je copie le cahier.). Donc, même nous adultes pouvons, nous procurer ces cahiers, voire les collectionner. Car ils recèlent des informations très utiles à tout citoyen. Un autre cahier [de 32 pages] présente «Les corps des métiers» : «La Douane». Une très belle devise est inscrite au bas de la page de couverture : «Devenir meilleur pour mieux servir.» Tout citoyen qui souhaite servir sa république doit, à défaut d’être le meilleur, utiliser ou user du meilleur de lui-même pour « mieux servir » l’ensemble de la nation dans sa diversité fondatrice de son unité.
L’intégrité « économique » de la nation est garantie par la douane. Les soldats de l’économie, comme on les appelle, ont une lourde tâche. Nos écoliers et tous les citoyens doivent accéder à quelques informations utiles les concernant pour mieux comprendre leurs missions et leur place au sein de la République. En quatrième de couverture du cahier, on lit : « Le Ministère de l’Economie et des Finances ». La page décline les missions du directeur de la douane et son affiliation au ministère de l’économie et des finances.
Bref, il me semble que cette initiative de remettre au goût du jour des cahiers plus instructifs est une excellente idée, car elle participe à la consolidation du sentiment national en l’ouvrant au reste du monde. Ancrage et ouverture avait dit l’auteur de l’hymne national qui figure à la seconde page de tous les cahiers !
Admettons que les images de lutteurs, des basketteurs américains ou des rappeurs (je n’ai rien contre ces talentueux artistes, mais je préfère des cahiers plus expressifs !) qui barraient les cahiers de nos élèves sont à jamais bannies ! Parce tout support, dont la vocation est de transmettre une information, doit puiser dans le stock de modèles devenus indépassables pour montrer leurs vertus et leurs différents engagements dans la restructuration de la pensée du monde.
Pour « modéliser » et « orienter » les citoyens de demain vers l’essentiel et l’indispensable, leur véritable émancipation, il est impératif d’user de tous les moyens pour porter vers eux l’information utile à travers tous les supports possibles. Le cahier de l’écolier peut donc être vecteur pour une vulgarisation large et intelligente des éléments structurants de la citoyenneté. Dès lors, il faut bien tenir son cahier.
Abdarahmane Ngaïdé
Enseignant-chercheur département histoire FLSH/Ucad
15/09/2014