Publié le 3 Dec 2014 - 23:46
LIBRE PAROLE

 Il   faut «  décoloniser la francophonie » !

 

La francophonie semble souffrir d’un handicap congénital qui résulte de sa date de naissance et de l’identité de ses pères fondateurs.   Née vers le milieu des années 70, soit  dès le lendemain des indépendances africaines, la francophonie  a été portée sur les fonts baptismaux  par un groupe de Chefs d’Etats d’anciennes colonies françaises    (les présidents Senghor du Sénégal, Tsiranana de Madagascar, Diori du Niger     et Bourguiba  de Tunisie, un ancien protectorat).

D’emblée elle fut  perçue par les élites africaines auxquelles elle s’adressait prioritairement  avec un sentiment mêlé d’acceptation institutionnelle et de suspicion intérieure, voyant en elle comme un prolongement masqué de la volonté assimilationniste  de l’ancien pouvoir colonial. Ainsi, tandis que  certains comme  Senghor  qualifiait la langue française de  « trésor »  de l’héritage colonial, d’autres tel l’écrivain algérien Kateb Yacine  en parlait comme « d’un butin de guerre » !

Cette double perception radicalement opposée résume  toute l’ambivalence du projet francophone qui dès son origine se  voulait porteur  et continuateur des valeurs humanistes et démocratiques  véhiculées à travers  le temps  par la langue française de la révolution de 1789, tandis que ses destinataires lui contestaient cette prétention au regard du passé colonial de la France.

Aujourd’hui, bien loin des années 70, la francophonie reste encore prisonnière de cette image  conservatrice, « vieille France », et  désuète  notamment  auprès des jeunes francophones d’Afrique qui l’expriment soit par une indifférence affichée soit par des reproches qu’ils adressent  à la France  sous le couvert de la francophonie. Mais  on peut aussi  voir  derrière   ces discours critiques l’expression  d’attentes déçues  face aux défis  du monde actuel et de demain.

Car, s’il est incontestable que par sa stature et son action le Président Abdou Diouf a considérablement accru l’influence et l’autorité politique de l’institution francophone, le partage d’une même langue et le patriotisme linguistique  suffiront  t-  ils encore aujourd’hui à mobiliser et fédérer les énergies des jeunesses francophones, notamment celles des pays en développement, autour de l’idéal francophone ?

Face à une mondialisation devenue sans limites ni frontières, la francophonie  doit offrir une vision alternative non plus à partir du seul centre de décision que serait la patrie de la « mater linguae » mais en prenant en compte  toutes les multiples  visions portées par les nations qui la composent. Il ne s’agit pas d’un changement de posture mais d’un profond changement de paradigme ; bref, d’une véritable révolution des mentalités  francophones.

« Décoloniser »la francophonie  est avant tout œuvre intellectuelle et idéologique. C’est  accepter de renouveler  le concept même de francophonie  tel qu’il fut  élaboré à l’origine et  en faire une relecture et actualisation à la lumière du contexte  de mondialisation. Mais  cet  exercice de décolonisation   doit  s’opérer dans les deux sens : les francophones de l’hémisphère Sud devront   à leur tour renoncer à l’approche accusatrice fondée sur le passé et  accepter de se projeter vers l’avenir !

La francophonie a su jusqu’à présent  consolider les bases de systèmes démocratiques notamment en Afrique. Mais la grande majorité des  sociétés de la famille francophone sont encore en transition vers des Etats –Nations fondés sur  le droit, la citoyenneté, le pluralisme confessionnel. Aujourd’hui, ces sociétés constituent un espace –temps  de prédilection pour les valeurs  prônées par la francophonie. Pouvoir  prendre en compte les interrogations  et attentes de cette partie importante du monde francophone  requiert une approche  proactive, offensive et non plus défensive , et surtout porteuse  d’idées nouvelles issues  des différentes visions  africaine, caribéenne, asiatique et européenne  présentes  en francophonie . Les actions communes qui découleront d’une telle stratégie protéiforme  auront d’autant plus d’impact et de visibilité qu’elles  auront pour elles la légitimité de la convergence et de l’appropriation collective.

Il en est de même pour l’universalisme de la langue française qui devra  être posée en des termes radicalement nouveaux. L’avenir de cet universalisme  dépendra pour une large part de la reconnaissance  et la prise en compte des principales langues endogènes, notamment africaines, préexistant dans l’espace francophone.  Une approche décolonisée consisterait précisément non plus en leur simple acceptation aux côtés du français mais à les faire entrer en débat et en dialogue entre elles et avec le français. On pourrait imaginer une  initiative d’envergure visant à des traductions d’œuvres littéraires  et des productions culturelles  du français vers ces langues et inversement, ce qui réunirait en une même démarche innovante langues, patrimoines et  racines.

Mais le projet francophone n’aura de sens au regard de l’histoire de l’humanité  et des civilisations d’essence latine  que s’il contribue  à réduire l’incompréhension entre Nations ,en offrant une vision crédible et alternative face à l’inéluctabilité d’un modèle unique  capable de porter à la fois  les aspirations  des peuples appauvris et des pays riches .

C’est ce qu’ont voulu rappeler chacun en ce qui le concerne, le Président Diouf et la candidate canado-haïtienne, Mme Michaëlle Jean  en invoquant l’époque des Lumières  comme le référent historique par excellence des valeurs  de la francophonie. Certes,  aujourd’hui  les risques d’un ’obscurantisme  planétaire existent mais toute réponse  sérieuse devra s’attacher à la recherche des causes  profondes et ne  pas s’en tenir aux seuls symptômes. 

A cet égard la brillante idée de M Jacques Attali  d’une Union Francophone  constitue une perspective  d’avenir  mais  surtout  un défi puisqu’il s’agit d’une association de pays de niveaux économiques inégaux  autour d’un objectif commun  et de frontières  à définir . Encore une fois, une langue commune ne fait  pas une économie commune, encore moins un marché commun !  Face aux lois implacables  du marché  mondial,  les pays francophones sauront ils trouver une manière propre et autonome de « faire de l’argent entre eux », de produire des richesses et des biens ? C’est souhaitable  et mérite d’être entrepris avec foi et clairvoyance  surtout  quand l’on sait les forces et les  faiblesses du monde francophone.

Et c’est précisément  ce qui milite en faveur d’une telle entreprise  qui pourrait ,si elle aboutissait, sortir le monde de la désorientation actuelle , notamment les jeunesses en leur proposant des engagement ambitieux mais concrets .Ce futur ensemble  consacrerait  ce dépassement tant attendu  d’une francophonie culturelle  vers une francophonie du développement solidaire , c'est-à-dire véritablement décolonisée et  retrouver enfin  cet esprit des Lumières.

 

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