Ce que l’on cache aux populations
Lors de la 41ème session ordinaire du Conseil des ministres des pays membres de l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Gambie (OMVG), Mansour Faye, ministre de l’Hydraulique et de l’Assainissement du Sénégal, a annoncé que ladite Organisation a lancé deux projets énergétiques d’une valeur de près de 520 milliards F CFA. Il s’agit du barrage de Sambagalou, à Kédougou au Sénégal, qui va fournir une production énergétique de près de 128 Mw et un réseau d’interconnexion de près de 1 700 km dont les 700 seront réalisés à l’intérieur du territoire sénégalais. Le second projet, déjà en cours, concerne le barrage de Kaléta (en Guinée Conakry) qui fournira une capacité de 240 Mw. EnQuête qui a jeté un regard sur l’étude d’impact environnemental revient sur quelques problèmes saillants sur le tracé du réseau d’interconnexion du projet de Sambangalou au Sénégal.
La non-maîtrise de l’énergie constitue l’une des causes principales du sous-développement en Afrique. C’est dans ce sens que l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Gambie (Omvg) a lancé deux projets énergétiques d’une valeur de près de 520 milliards F CFA. EnQuête qui s'appuie sur certains éléments des résultats d'une étude d’impact environnemental et social (EIES) commanditée par l'OMVG auprès des experts de COTECO en 2008 puis ceux d’Oréade - Brèche en 2014, est en mesure de révéler que l’étude est plutôt centrée sur la réglementation et les exigences des bailleurs de fonds.
Il est cependant intéressant de constater que le rapport met en exergue des conséquences inquiétantes sur la population, l'équilibre genre, la santé et la sécurité des populations, leur qualité et leur niveau de vie, l'activité économique, l'utilisation des ressources naturelles, des sols et du patrimoine culturel. ‘’Le manque d’information et de communication au cours des différentes étapes de pré-construction et de construction de la ligne de transport d’électricité pourrait causer des tensions sociales entre les différentes parties prenantes, dont les autorités locales et les firmes responsables de l’exécution’’, renseigne le document.
Mais en même temps, l’étude indique qu’en fin de compte, aucun impact majeur n’a été identifié après les investigations sur l’interconnexion. Tout au moins, observent les experts, ‘’des mesures d’atténuation et de suivi ont été intégrées dans le plan de gestion environnementale et sociale (PGES) de cette composante du projet Énergie de l'OMVS’’. De plus, disent-ils, il y a un cadre de politique de réinstallation qui précise les modalités de compensation des personnes affectées par la construction et la présence de la ligne d’interconnexion. Pourtant, les trouvailles de l’IEIES doivent inviter à plus de concertations entre les parties prenantes, les collectivités locales et la société civile afin de mieux partager les implications du projet et éviter des heurts. Autant de choses qui poussent à partager les trouvailles intéressantes de l’étude qui vont affecter directement les populations et peut-être impacter sur la vie de familles entières toute leur vie.
Les conséquences directes sur les populations
L'étude montre que l’expropriation de terres et la réinstallation de populations ‘’peuvent accentuer les inégalités entre hommes et femmes, puisque ces dernières ne possèdent généralement pas de titres fonciers officiels ou coutumiers. Ce sont plus souvent les maris ou les communautés qui sont les détenteurs des terres, même lorsque ce sont les femmes qui en sont les principales utilisatrices. La non-reconnaissance de ces ‘droits d’utilisation’ pendant le processus de compensation pourrait affecter très négativement les femmes’’. C'est pourquoi, entre autres mesures, l'étude recommande de ‘’remettre les compensations aux femmes lorsque celles-ci sont directement affectées par le projet, même si elles ne détiennent pas de titre officiel de propriété’’.
La présence des lignes et postes électriques sont des sources d’impact pouvant affecter la sécurité des travailleurs et des populations environnantes. L'étude qui fait référence à l’expertise d'Hydro-Québec parle de résultats qui demeurent équivoques et ne permettent pas de conclure qu’une exposition aux champs de 60 Hz constitue un risque pour la santé humaine. À ce jour, selon l'étude, "aucun lien de cause à effet n’a encore été démontré, mais des incertitudes subsistent toujours, notamment au niveau des effets sur la santé". Mais le document avertit que ‘’les postes électriques peuvent constituer une source de danger potentiel pour les populations environnantes. Puisque ces postes sont généralement localisés dans des zones habitées, les risques d’accidents (électrocution) sont accrus si l’accès aux postes n’est pas rigoureusement contrôlé’’.
Entre autres alertes soulevées par l’étude, ‘’Toutes les activités de construction (sauf l’arpentage) de cette phase conduiront à modifier le paysage environnant (présence de machinerie, zones déboisées, travaux, etc.). Autre préoccupation, toutes les activités de construction (sauf l’arpentage) généreront des nuisances et une détérioration du milieu de vie pour la population environnante à cause des poussières, de la pollution et du niveau de bruit, l’accumulation de déchets dans les environs du chantier et du camp de travailleurs. Le rapport renseigne que si la planification des chantiers ne se fait pas adéquatement, il se peut que les installations pour les travailleurs n’offrent pas des conditions de vie acceptables ou appropriées’’. Mieux, la présence de travailleurs non-résidents pourrait causer des conflits sociaux dans les zones environnantes des chantiers, surtout si les travailleurs et les populations environnantes n’ont pas d’affinité ethnique.
Le Parc de Niokolo-Koba, des aires protégées et des sites mégalithiques concernés au Sénégal
Au Sénégal, il y a un premier tronçon entre Tambacounda et Kaolack. L'étude note que la partie Est du tronçon se trouve dans la plus grande zone de mégalithes de Tambacounda. Des sites mégalithiques isolés sont aussi mentionnés sur les cartes topographiques, notamment à Malem Hodar, dont l'étude demande qu'ils soient pris en compte. Considérant que des éléments sensibles existent sur le tronçon, le document recommande principalement d’éviter les villages et leurs cultures vivrières et de rente afin de limiter le plus possible le déboisement, en particulier dans les forêts classées. Car, selon l'étude, ‘’la prédominance de zones cultivées devra faire l’objet d’une attention particulière lors de la localisation précise des pylônes et nécessitera des mesures de compensation pour les pertes encourues pendant la construction et par la présence de pylônes’’.
Le second tronçon concerne l'axe entre Sambagalou et Tambacounda qui comprend d’importantes aires protégées, principalement le parc national de Niokolo Koba et la grande forêt classée de Diambour. La partie nord, de Tambacounda jusqu’à la limite du parc de Niokolo Koba, représente une zone de transition pour l’agriculture intensive. Les cultures vivrières et de rente (mil, maïs, arachide, coton) y sont dominantes. En progressant vers le sud-est, il y a la présence centrale du parc de Niokolo-Koba qui constitue une contrainte majeure au passage de la ligne.
Aussi, le passage dans la forêt classée de Diambour est également une préoccupation importante soulevée par l'étude. Et l’EIES de dire qu’il y a lieu de tenir compte de l’état des peuplements dans la forêt de Diambour afin de raffiner le tracé dans cette portion, ajoute le rapport qui indique que le déboisement et la traversée des cours d’eau seront des enjeux importants à cause de la présence de grandes zones boisées, de nombreuses forêts-galeries et de plantations de palmiers. La lutte contre les feux de brousse, des mesures de protection de la ligne devront être prévues. En plus, la faune, particulièrement abondante, devra faire l’objet d’une attention particulière tout comme le développement touristique qui est prévu (campements-relais).
L'autre section du tracé est dans la zone de savanes très boisées, bordée au sud (près de la frontière avec la Guinée-Bissau) par la forêt claire sèche. Après avoir traversé la forêt classée du Balmadou sur 10,5 km, le tracé évite la ville de Tanaf en la contournant par l’ouest mais le tracé se dirige vers le sud en circulant près des vallées. D’abord celle d’un affluent du fleuve Casamance dont il traverse deux branches (à l’ouest de Bissarou et près de Guidaje à la frontière avec la Guinée-Bissau), puis près de la vallée du Rio Sambuia qu’il traverse à l’ouest de Mansacunda. L'étude note que la traversée de plusieurs cours d’eau, dont les fleuves Gambie et Casamance et leurs affluents, la protection des forêts plus denses, des forêts galeries et des plantations de palmiers constituent les principaux enjeux de ce tronçon.
Autre aspect important, l'étude révèle que la présence des équipements (lignes et postes) générera du bruit qui pourrait déranger les populations établies à proximité. D'autre part, la présence de la ligne de transport, des pylônes et des postes de transformation aura un impact certain sur la qualité du paysage. De même, la présence des lignes de transmission sans que les populations n’aient accès à l’électricité pourrait causer des frustrations au sein des populations concernées.
L'étude indique aussi que la ligne de transmission électrique affectera majoritairement des terres consacrées actuellement à l’agriculture. Les parcelles de terrain réservées à la mise en place des pylônes ou des postes seront irrémédiablement perdues. L'on apprend que certaines activités ne pourront cependant avoir lieu à proximité ou dans l’emprise telles les cultures sur brûlis et les plantations ne respectant pas le dégagement minimum sous la ligne de transport. Autre chose, les populations récupéreront les terres agricoles et pastorales dans l’emprise de ligne de transport sauf celles localisées sous les pylônes et les postes. Mieux, le corridor déboisé pour la mise en place de la ligne de transport rendra dorénavant accessibles des territoires qui ne l’étaient pas jusqu’alors. Conséquence : le désenclavement de certaines zones pourrait entraîner l’installation de populations qui pourraient y pratiquer de nouvelles activités agricoles et pastorales ou entraîner une augmentation des activités de braconnage.
A la lumière de ces quelques points saillants extraits de l’étude d’impact environnemental et social (EIES), il urge d’engager et d’approfondir les concertations avec les collectivités locales, les populations directement concernées et la société civile afin de minimiser tout rejet de ce projet qui est pourtant un moyen inespéré de combler le déficit énergétique que traînent tous les pays membres de l’OMVG.
MAME TALLA DIAW