Macky Sall, pere ‘’des enfants victimes d’abandon ou d’homicide’’
Au Sénégal, on a l’habitude de dire que le Président de la République est le Père de la Nation. Ceci est basé à juste titre sur une disposition constitutionnelle selon laquelle, il est le gardien de la constitution (article 42). Cette disposition trouve son fondement dans le principe de la continuité des services publics. Au nom de ce principe donc, le Président élu hérite des actions, programmes, activités…, laissés par son prédécesseur. Autrement dit, il hérite en même temps des « enfants » du prédécesseur.
La philosophie qui sous-tend ce principe, c’est la continuité de l’Etat. C'est un principe hérité de l'Ancien Régime français qui reconnaissait la continuité de la monarchie. Toutefois, malgré la fin de la monarchie, on continua à l’appliquer, il est aujourd’hui reconnu, au bénéfice des personnes morales. Ainsi, les occupants des positions de responsabilité peuvent être remplacés, mais la personne morale (ici le Président de la République) reste. C'est un principe inspiré par les préoccupations de sécurité juridique, il est consacré par la jurisprudence et par la loi. Son but est d’éviter que les œuvres, actions, processus dont l’utilité est justifiée par des raisons d’intérêt général, soient remis en cause selon le bon vouloir des nouveaux responsables à qui l’on a passé le témoin.
Cependant, la portée de ce principe est atténuée par un certain nombre de règles telles que la théorie des circonstances exceptionnelles, la survenance de difficultés imprévues, les cas de force majeure, la compétence reconnue à une autorité d’apprécier l’opportunité, la rationalité, le bien-fondé de ce qui se faisait avant lui. Par exemple, la jurisprudence reconnait que l'autorité administrative est compétente pour ériger telle ou telle activité en service public ou pour supprimer tel ou tel service public. Ainsi, la continuité du service public n'implique pas la pérennité du service, un droit acquis définitivement ni un droit de regard des usagers. Dans un arrêt du 27 janvier 1961 Vannier, le conseil d'Etat a jugé que les usagers du service public ne bénéficient d'aucun droit au maintien de ce service, qui peut donc être supprimé à l'avenir par l'autorité administrative.
Mais avec Wade, ce n’est pas le cas, contrairement aux dérogations de la jurisprudence. En effet, le principe de la continuité du service public est quelque chose de tout à fait insignifiant chez lui. Quand il a accédé à la magistrature suprême, il s’était comporté comme si le Sénégal est né en 2000. Il avait fait table rase sur presque tout ce qui existait avant lui, en mettant de côté pratiquement tous les projets non encore terminés du régime précédent. Le seul cas, à ma connaissance, où ce principe a été quelque peu appliqué, c’est le Palais de justice de Dakar, entièrement construit sous le règne socialiste dont il avait eu à terminer les travaux. Mais cela, faut-il le préciser, c’était sous la pression de la famille judiciaire. Pourtant, rien ne justifiait cet abandon.
Imaginez ce qui adviendrait de l’autoroute à péage, l’aéroport de Ndiass, l’hôpital Dalal Diam, les hôpitaux régionaux, etc, j’en oublie, car la liste est loin d’être exhaustive, si le Président Macky SALL avait agi de la même manière que lui. L’abandon de ces infrastructures et divers autres ouvrages, que j’appellerai les « enfants abandonnés de Wade », aurait constitué une énorme perte pour notre pays. Si le Président Macky avait agi de la sorte, le Sénégal serait certainement le plus grand orphelinat pour chantiers inachevés.
Tous ces projets abandonnés ou inachevés avaient été initiés pour des raisons d’intérêt général. Leur abandon constitue une rupture au principe de la continuité du service public, avec comme conséquences des pertes parfois énormes pour la société, aussi bien de par leur utilité que du fait des ressources financières mises en œuvre et qui n’auraient servi à rien.
Prenons à titre d’exemple, l’ancienne école William Ponty située à Sébikotane. Le Président Wade avait entamé la réhabilitation de cette école, pour abriter ce qu’il appelait l’Université du Futur Africain. Mais ce projet a été abandonné par le Président Wade lui-même. Les ouvrages sont actuellement en état de délabrement. Le Président de la République Macky SALL, face à l’impératif que constitue le désengorgement de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, dont la gestion est devenue un véritable casse-tête du fait de la pléthore qui risque d’hypothéquer son avenir et flétrir sa réputation, a initié la construction d’un nouvel espace universitaire dans la zone de Diamniadio. Il y a eu des critiques selon lesquelles il aurait été préférable de réhabiliter cette école pour abriter la nouvelle université, plutôt que de construire une toute nouvelle, en raison de la proximité du site choisi qui se trouve effectivement à un jet de pierres de l’école William Ponty.
Cependant, la reprise des travaux de réhabilitation de l’école William Ponty pour abriter la nouvelle université pourrait accuser beaucoup de retards, en raison, entre autres, de la nécessité d’un audit qu’il faudra, dans ce cas, nécessairement mener pour expliquer les raisons de l’abandon des travaux qui avaient été entamés sous Wade et qui avaient coûté plusieurs milliards, paraît-il.
Toutefois, l’idée de créer quelque chose d’utile sur ce site n’était pas une mauvaise chose en soi. De ce point de vue, je pense que le Président Macky SALL devra reprendre les travaux de réhabilitation de l’ancienne école William Ponty afin de donner une nouvelle chance à ce lieu mythique qui fut le point de départ de la constitution d’un embryon d’une intelligentsia africaine En tout cas, beaucoup parmi les pensionnaires furent les premiers cadres de haut niveau qui contribuèrent à la mise en place des institutions modernes de leurs pays. La rénovation de ce site serait un hommage mérité rendu à ces illustres hommes qui ont fait la fierté de beaucoup de pays africains. Il s’agira alors de réfléchir sur la nouvelle vocation à assigner à l’institution qui pourrait être ainsi créée. Le projet de Wade ayant échoué, après avoir fait rêver les sénégalais.
Je ne pourrai terminer cette contribution sans mentionner ce que j’appellerai une tentative d’homicide volontaire perpétré sur le site prévu pour le Mémorial de Gorée situé sur la corniche ouest. Lors d’une cérémonie qu’il avait présidée au Théâtre Daniel Sorano, le Président Wade avait déclaré, à propos du Mémorial de Gorée « la jeune fille est belle, mais je ne l’aime pas ». Il faut vraiment manquer d’élégance pour dire à une jeune fille je ne vous aime. Mais çà, c’est du Wade tout cru. Toutefois, le fait le plus grave, c’est celui d’avoir voulu faire disparaître la jeune fille. Tout le monde se rappelle la tentative de construction du monument de la renaissance africaine sur le site destiné au Mémorial de Gorée. Il y avait même présidé, en grande pompe, la pause de la première pierre de ce monument de la renaissance africaine. Il y avait là une volonté manifeste de la part du Président Wade de tuer ce projet, pour le remplacer par le sien propre, alors qu’il reconnait lui-même que la jeune fille est belle. Je crois savoir que cette tentative d’accaparement du site destiné au Mémorial de Gorée a échoué, grâce à la perspicacité des défenseurs de ce mémorial.
Mais, ce que le Président Wade feint d’ignorer, c’est que le Mémorial de Gorée n’est pas seulement un projet du Sénégal, ni du parti socialiste ou d’Abdou DIOUF. Il s’agit d’une œuvre colossale parce qu’universelle, dédiée à toute l’humanité. C’est pourquoi elle a mobilisé toute la communauté internationale pour son élaboration. C’est pour cette raison que le Président de la République Macky SALL devra revisiter ce projet pour relancer le processus de réalisation. Il serait celui qui aura contribué à sa réalisation, remise en cause par la volonté d’un seul homme, le Président Wade. C’est un défi à relever car il s’agit d’un patrimoine commun à toute l’humanité. L’histoire retiendra. Ce sera comme l’obélisque, communément appelée monument de l’indépendance, symbole de liberté. L’espace où il est implanté est utilisé comme lieu d’expression de cette liberté par les citoyens qui, par ce fait, s’identifient à ce symbole et se l’approprient, parce qu’ils le perçoivent comme un bien public et impersonnel. Pour l’histoire, ce monument a joué un rôle important dans la carrière politique d’Abdoulaye Wade qui l’a utilisé comme espace d’opposition contre le régime du Président Abdou DIOUF. Hasard ? Coïncidence ? Calcul ? Ce que l’on sait, c’est que le premier et mythique siège du PDS se trouve en face de ce monument.
Le mémorial de Gorée ne sera pas l’œuvre d’un seul homme, le Président Macky SALL, comme l’a fait l’ancien Président Abdoulaye Wade avec le monument de la renaissance dite africaine. Abdoulaye Wade a construit ce monument qu’il voulait, dans ses déclarations, dédier à la jeunesse africaine. Mais sa propension à la personnalisation, à la patrimonialisation de la chose publique est telle qu’il est parfois difficile de s’identifier à des œuvres qu’il réalise dans l’exercice de ses fonctions officielles. C’est le cas de ce monument qu’il a qualifié de renaissance africaine, son monument.
Heureusement qu’Abdoulaye Baldé, le maire de Ziguinchor, en s’attaquant au Président Macky SALL, nous a rappelé que le Sénégal n’est pas né avec Wade, quand il a reconnu que l’hôpital de Ziguinchor est une œuvre du régime socialiste. Ce rappel de Mr Baldé conforte l’idée selon laquelle Wade ne respecte pas le principe de la continuité du service public. Vous vous imaginez, c’est le Président Macky SALL qui inaugure un hôpital construit sous le régime socialiste. Quinze ans après. Or le non-respect de ce principe est préjudiciable au fonctionnement de l’Administration qui est l’appareil de mise en œuvre de la politique de l’Etat. Les ruptures non justifiées, l’abandon des activités entamées, la discontinuité, peuvent être à l’origine des perturbations dans le fonctionnement de l’administration, de pertes ou de gaspillage des ressources publiques, mais aussi de désagréments pour les populations. Combien de malades auraient pu être soignés ? Combien de services auraient pu être rendus aux populations. A cela s’ajoutent les préjudices causés aux entreprises contractantes, dont certaines avaient probablement entamé ces travaux, parfois avec leurs propres ressources, quand on sait que la mise des fonds à leur disposition peut prendre parfois beaucoup de temps, en raison de la lourdeur des procédures administratives. Il y a sûrement des entreprises qui en ont fait les frais.
La construction des ouvrages, des infrastructures, etc, doit répondre à des besoins d’intérêt général. Ils sont généralement conçus sous la forme de projets, dans le cadre d’un processus qui peut être plus ou moins long, et leur réalisation nécessite toujours la mobilisation de ressources parfois très importantes. La conduite à terme des projets à l’origine de leur réalisation physique, matérielle, permet leur mise en œuvre qui les rend utiles à la société. Le Président Abdoulaye Wade a eu suffisamment de temps et de moyens (il a lui-même reconnu à maintes occasions avoir amené beaucoup d’argent pour développer le pays) pour réaliser pratiquement l’ensemble des projets qu’il avait initiés durant ses deux mandats. La non réalisation, l’abandon de ces projets pour des considérations subjectives est une faute politique qui, en démocratie est généralement sanctionnée politiquement. Le peuple sénégalais l’a démontré de for belle manière en 2012. Quand on abandonne les enfants, ceux qui les prennent en charge sont en droit d’en faire ses héritiers.
Doudou MANE
Agroéconomiste/Consultant