Alexandre le Grand, Dhul-Qarnayn : un Empereur qui ne dédaigne pas la sagesse des humbles
Alexandre est né prince, doublement, car son père était roi, sa mère princesse et reine. Il fut roi, conquérant et empereur. Mais, ce qui distingue surtout Alexandre, le plus grand conquérant que la terre ait porté, c’est que, parvenu au sommet de la gloire, il n’a pas dédaigné les plus humbles, qui lui ont révélé des vérités ignorées même de son maître, le docte Aristote. Mais ceci il le doit à une autre distinction, c’est qu’il était un amoureux du savoir, un conquérant de l’esprit, comme on dit. Ce que prouvent les récits plusieurs fois centenaires que me contait mon père, Ibrahima Gaye Abdoulaye, et que j’ai redécouvert, l’autre jour, en parcourant « L’Abrégé des Merveilles ».
Ces hommes qui préfèrent le poisson, l’herbe sauvage et l’eau des étangs à la nourriture des rois
Dans sa longue marche à la conquête du monde dit connu, Alexandre débarqua un jour avec ses troupes sur une île habitée par des hommes à la maigreur hallucinante, aux cheveux et aux barbes hirsutes et très pauvrement habillé. Partout où il tournait son regard sur cette île, il ne voyait que des herbes sauvages, des roches et des étangs. Parvenu à la hauteur des pauvres habitants de la pauvre île, il les salua avec déférence et s’enquit de leur nourriture en ce lieu hostile. « Nous mangeons les poissons que la mer rejette sur la plage et certaines herbes, et buvons l’eau des étangs », lui répondirent-ils. Alors compatissant, Alexandre leur proposa de les emmener sur une terre plus généreuse. « Qu’y ferions-nous ? Ce quartier de terre possède des richesses énormes, qui rendrez jaloux l’homme le plus riche au monde, et dont se suffirait quiconque les aurait possédées. – Et ou donc se trouve cette richesse ? » questionna Alexandre, en parcourant du regard les herbes sauvages, les roches et les étangs aux alentours.
Alors, les pauvres hères conduisirent l’Empereur et ses troupes dans une vallée tapissée de toutes sortes de perles et de pierres précieuses dont le scintillement éblouissaient les yeux et fascinaient l’imagination. Avant qu’ils ne fussent revenus de leur étonnement, ils les firent entrer dans une vaste plaine qui rappelait le paradis perdu, avec des fleurs de mille couleurs, des arbres fruitiers de mille espèces, des ruches dégoulinantes de miel sauvage, des rivières et des ruisseaux d’eau pure,… « Peux-tu nous conduire à un lieu plus riche que celui-ci ? – Par Dieu, répondit Alexandre, sortant de sa contemplation, j’ai parcouru le monde, mais je n’en connais pas qui le soit autant. – Tout cela est entre nos mains, mais nous n’en usons pas, nous lui préférons l’herbe et l’eau des étangs. » Alexandre, qui avait compris la leçon, prit alors congé des ascètes.
Les sages troglodytes inaccessibles à la générosité de l’Empereur
Lorsqu’Alexandre eut abordé à l’île de la mer Verte, où vivaient paisiblement des sages qui recouvraient leur nudité avec des feuilles d’arbres et habitaient les cavernes, il discuta longuement avec eux de questions d’ordres philosophiques, morales et spirituelles. Satisfait, de tout ce qu’il venait d’apprendre des troglodytes, il leur déclara sentencieusement, de sa voix d’Empereur : « Dites-moi ce que vous voulez, et je vous l’accorde ! » Très sensément, ils lui demandèrent l’immortalité. « Est-ce que je la possède, les interrogea-t-il, moi qui ne puis ajouter une seule seconde à ma vie ? – Fais-nous alors connaître combien de temps il nous reste à vivre. – Moi qui ne connais pas le temps de ma vie, comment connaîtrais-je le vôtre ? – Accorde nous tout au moins la grâce de vivre autant que nous avons déjà vécu, ou bien de vivre le temps qu’il nous reste de souffle sans connaître la maladie, ou bien alors une entrée assurée au paradis à notre trépas. – Comment saurais-je accorder à quiconque des grâces que je ne possède pas et que je ne saurais m’accorder à moi-même ? » dit-il d’une voix redevenue humble. « Laisse-nous donc adresser nos prières à celui-là seul qui sait y répondre » lui dirent, pour finir, les sages troglodytes.
Le pauvre potier qui méprise les rois
Alexandre, que tous les hommes de son époque admiraient et craignaient tout à la fois, et rêvaient de voir en chair et en os, même de loin, croisa, un jour, sur un rivage lointain, un potier qui ne daigna pas lever les yeux sur lui et le bruit de son armée. Le grand conquérant s’en étonna, et ainsi lui parla : « Qu’est-ce qui t’empêche de te lever à mon passage, de courir comme font tous les autres hommes et de respirer la poussière de mes troupes ? – C’est que ta puissance ne m’émerveille pas, lui répondit calmement l’homme. – Comment cela, demanda le conquérant de l’esprit ? »
Et l’homme lui raconta ce qui suit : « J’ai vu, avant de te voir, un roi, puissant autant que toi. Il vécut, tomba malade, souffrit, puis mourut. Ni ses guérisseurs, ni ses devins ne purent le sauver de sa maladie et de ses souffrances, ni ses trésors, ni ses esclaves ne purent racheter sa vie, ni ses armées le protéger contre la mort. Et il mourut, le roi, le même jour qu’un pauvre de mes connaissances, ne possédant absolument rien. Ils furent enterrés. Je visitai leurs tombes jusqu’au jour où leur chair et leur cercueil furent redevenus poussière et où les os, restés seuls, se mêlèrent, indistinctes. Depuis lors, je méprise les rois et leur faste, que rien, en verité, ne différencie des autres créatures vivantes face à la mort et dans la tombe. »
De l’étoile, à la lune et au soleil ou l’ascension spirituelle du prophète Abraham
Tous ces récits, les deux derniers surtout, rappellent, à bien des égards, l’ascension spirituelle du prophète Ibrahima, lorsque, amoureux de la lumière, il se tourna du coté de l’étoile la plus scintillante au ciel, puis de la pleine lune et enfin du soleil, avant de rencontrer son Seigneur, « la lumière des cieux et de la terre ». Ibrahima, grâce à Dieu, a su regarder humblement la nature et recueillir ses enseignements, tout comme le fit Alexandre vis-à-vis des humbles. Et les images offertes se ressemblent, à se confondre ; car les humbles, souvent, parlent le même langage que la nature.
L’épisode est ainsi contée par le Coran, sourate 6, « Al Anam » (Les bestiaux), du verset 75 au verset 79 : « Ainsi avons-Nous montré à Abraham le royaume des cieux et de la terre, afin qu'il fût de ceux qui croient avec conviction. Quand la nuit l'enveloppa, il observa une étoile, et dit : "Voilà mon Seigneur! " Puis, lorsqu'elle disparut, il dit : "Je n'aime pas les choses qui disparaissent". Lorsqu'ensuite il observa la lune se levant, il dit : "Voilà mon Seigneur! " Puis, lorsqu'elle disparut, il dit : "Si mon Seigneur ne me guide pas, je serai certes du nombre des gens égarés". Lorsqu'ensuite il observa le soleil levant, il dit : "Voilà mon Seigneur! Celui-ci est plus grand". Puis lorsque le soleil disparut, il dit : "Ô mon peuple, je désavoue tout ce que vous associez à Allah. Je tourne mon visage exclusivement vers Celui qui a créé (à partir du néant) les cieux et la terre; et je ne suis point de ceux qui Lui donnent des associés. »
Dhul-Qarnayn (le possesseur de deux cornes)
Certaines personnes pensent que le « Dhul-Qarnayn » dont parle le Coran à la sourate 18, « Al-Kahf » (La Caverne), du verset 83 au verset 98, assez ésotériques du reste, fait référence à Alexandre le Grand, à cause de son casque de guerre qui portait deux cornes sur ces deux cotés, ou bien parce qu’il alla avec son armée aux deux bouts du monde (l’orient et l’occident), qui sont aussi appelé « les deux cornes ». Mais une explication plus simple, affirme que les cornes dont il est question font référence à la puissance de l’Empereur ; et, en effet, on peut voir sur des pièces de monnaie de l’époque, le tetradrachme, frappé à son effigie, Alexandre avec les cornes de la puissance.
Voici les versets en question : « Et ils t'interrogent sur Dhul-Qarnayn. Dis : "Je vais vous en citer quelque fait mémorable". Vraiment, Nous avons affermi sa puissance sur terre, et Nous lui avons donné libre voie à toute chose. Il suivit donc une voie. Et quand il eut atteint le Couchant, il trouva que le soleil se couchait dans une source boueuse, et, auprès d'elle il trouva une peuplade [impie]. Nous dîmes : "Ô Dhul-Qarnayn! ou tu les châties, ou tu uses de bienveillance à leur égard". Il dit : "Quant à celui qui est injuste, nous le châtierons; ensuite il sera ramené vers son Seigneur qui le punira d'un châtiment terrible. Et quant à celui qui croit et fait bonne œuvre, il aura, en retour, la plus belle récompense. Et nous lui donnerons des ordres faciles à exécuter". Puis, il suivit (une autre) voie.
Et quand il eut atteint le Levant, il trouva que le soleil se levait sur une peuplade à laquelle Nous n'avions pas donné de voile pour s'en protéger. Il en fut ainsi et Nous embrassons de Notre Science ce qu'il détenait. Puis, il suivit (une autre) voie. Et quant il eut atteint un endroit situé entre les Deux Barrières (montagnes), il trouva derrière elles une peuplade qui ne comprenait presque aucun langage. Ils dirent : "Ô Dhul-Qarnayn, Yajuj (le peuple de Gog) et Majuj (le peuple de Magog) commettent du désordre sur terre. Est-ce que nous pourrons t'accorder un tribut pour construire une barrière entre eux et nous? " Il dit : "Ce que Mon Seigneur m'a conféré vaut mieux (que vos dons). Aidez-moi donc avec force et je construirai un remblai entre vous et eux. Apportez-moi des blocs de fer". Puis, lorsqu'il en eut comblé l'espace entre les deux montagnes, il dit : "Soufflez! " Puis, lorsqu'il l'eut rendu une fournaise, il dit : "Apportez-moi du cuivre fondu, que je le déverse dessus". Ainsi, ils ne purent guère l'escalader ni l'ébrécher non plus. Il dit : "C'est une miséricorde de la part de mon Seigneur. Mais, lorsque la promesse de mon Seigneur viendra, Il le nivellera. Et la promesse de mon Seigneur est vérité". »
Qui était Alexandre ?
Alexandre III de Macédoine, qui fut surnommé Alexandre le Grand, est né en 356 avant notre ère, à Pella, en Grèce, et est mort en 323 de la même période, à Babylone, en Irak, à l’âge de 33 ans. Le fils de Philippe II, roi de Macédoine, d’Olympias, princesse d’Epire, devint roi de Macédoine en 336 avant notre ère, à l’âge de vingt ans, en remplacement de son père décédé, et fut un grand conquérant et l’un des personnages les plus célèbres de l’Antiquité. Héritier d’un petit royaume, il devint, en très peu de temps, maître de l’immense empire perse achéménide, progressa jusqu’aux rives de l’Indus et fonda près de soixante-dix cités dont la majorité furent appelé Alexandrie. Sa volonté de conquête avait entraîné, pour un temps très court, une unité politique, jamais retrouvée par la suite, entre l’Occident et l’Orient. A sa mort, son héritage fut partagé entre ses généraux pour former les différents royaumes et dynasties de la période hellénistique.
ABDOU KHADRE GAYE
Ecrivain, Président de l’EMAD
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