''Les jeunes de la banlieue, des bombes ambulantes...''
Président de la 4ème Chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Dakar, André Bopp Sène a présidé la seconde session de la Cour d’assises de Dakar. Dans cet entretien accordé à ‘’EnQuête’’, le juge tire un bilan de la session, abordant la question de l’insécurité, tout en interpellant le gouvernement sur ces ‘’bombes ambulantes’’ que sont les jeunes délinquants de la banlieue.
En tant que juge, que pensez-vous de cette session ?
La particularité de cette session est qu’on n’a pas enrôlé d’histoires de drogue. On a enrôlé des cas de vols aggravés, ce qu’on appelle communément «agressions». Ces dits vols, compte tenu d’un certain nombre de circonstances, sont des affaires criminelles, allant de l’infanticide aux meurtres à proprement parler.
Y a-t-il une affaire qui vous a plus interpellé que les autres ?
Je ne dirais pas qu’il y a eu d’affaire en particulier… Ce qui m’a touché, par contre, c’est que dans nombre de dossiers jugés, il s’agissait d’accusés ayant eu une enfance difficile. Il y en a certains que j’ai même eu à connaître du temps où j’officiais au tribunal des mineurs. Ce qui me fait penser, quelque part, que le système éducatif a failli et explique la précarité dans laquelle vivent les enfants de la banlieue. En les entendant parler, on se rend compte qu’ils sont sans remords. C’est comme s’ils prenaient une revanche sur la société. Parce que, ne pouvant pas admettre que pour eux, la seule voie de sortie, à l’heure actuelle, soit le foot ou la lutte. S’ils ne sont ni lutteurs, ni footballeurs, parce que pas physiquement dotés pour l’être, que leur reste-t-il ? Ne pas aller à l’école, ne pas avoir de métier, se réveiller le matin sans avoir de quoi manger ? Comme disait un de vos confrères, ils se disent qu’ils ont un destin forclos. Ils se sont résignés et ont déserté complètement la société. Ils n’ont plus d’espoir et, en dehors de leurs activités délictuelles, ils ne savent rien faire. Parce que, c’est de l’argent facile. Il y a des gens qui ont été agressés sur la Corniche, qui ont été dépouillés. Et le discours qu’ils (les agresseurs) soutiennent, parfois : c'est incroyable ! Ils se disent que ''tous les gens qui habitent Sacré-Cœur, Sicap… sont des voleurs. Nous, on va venir un jour occuper leur quartier, par force, parce que tout l’argent qu’ils ont, ils l’ont volé. Ce n’est pas normal que nos parents trinquent dans les inondations et que nous ne puissions pas assurer les trois normaux''. C’est une révolte qu’ils sont en train d’exprimer, même si c’est de façon malheureuse, en attentant à la vie des gens qui sont quand même innocents. Les victimes ne sont pas responsables de leur sort, mais ils mettent tout le monde dans le même sac, en se disant que si leur monde est pourri, ce sont les autres qui leur ont imposé cet enfer. Même si la peine de mort est ré-instituée, on ne peut pas les empêcher de récidiver.
Qu'est-ce qui explique cette violence?
Tant qu'il n'y a pas de politiques d’emplois qui intéressent les jeunes à la base, au lieu de les laisser, les yeux rivés sur la lutte et le football ; même avec la lutte, seule une centaine de lutteurs obtient un combat sur des milliers. Pareil pour le football. Car, il y a 20 ou 30 qui émergent, le reste s'exprime dans les Navétanes. Et ce n’est pas grâce au sandwich ou au ‘’laax’’ (bouillie avec du lait caillé) qu’ils mangent qu’ils vont exploser sur le terrain. Il y a tout un tas de choses à faire dans la banlieue. La banlieue est un chantier pour le Gouvernement. Il faut le régler parce que ces jeunes-là, ce sont des bombes ambulantes. Ces jeunes-là n’ont pas d’état d’âme. Ils n’en ont que pour leur compagnon qu’ils ont tué lors d’une bagarre. Mais si c’est une personne avec qui ils n’ont aucun lien, ils n’ont aucun sentiment. En bons bandits, ils se mettent à sangloter à la barre. Comme ils ont le réflexe criminel, ils utilisent le couteau lors des bagarres. C’est pourquoi on a tendance à disqualifier les meurtres en coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Je pense que la pauvreté peut expliquer une certaine révolte. Peut-être qu'il y a la faillite de l’éducation aussi et un peu de tout.
Que faut-il faire, selon vous ?
Je pense qu’il est temps de repenser toute la structure de notre système éducatif… l’État a signé tout un nombre de conventions sur les droits de l’Enfant, mais je pense que ce qu’on fait, avec ces condamnations, c’est plus administrer un ''remède'' que d’endiguer le mal à la source. Il nous faut des politiques préventives, surtout pour les enfants en danger moral ou en conflit avec la loi. C’est seulement ainsi qu’on peut arrêter la saignée. Ce n’est pas en infligeant des peines de perpétuité… Peut-être à l’annonce, ça fait peur, mais c’est rejeter le problème que posent ces jeunes.
Et que faire contre la récidive ?
Tout le monde sait qu’il y a un juge d’aménagement des peines. Des années de prison peuvent donner le temps à un détenu, si on l’encadre bien, de méditer sur ses actions et d’apprendre un métier. À l’issue de cette période, le juge d’aménagement des peines peut estimer qu’il a donné des gages suffisants de réinsertion sociale et réaménager sa peine pour qu’il puisse un jour sortir de prison. Il n’y a pas de criminels nés. Une personne n’est jamais perdue. Chaque être humain a des capacités de réadaptation. Ce qu’il faut, c’est prendre la peine de chercher la voie qui les intéresse et les orienter dessus.
L’avenir n’est-il pas plombé, pour des jeunes condamnés à la perpétuité ou à de longues peines ? Est-ce qu’ils ont la possibilité d’apprendre un métier ?
Quelqu’un qui en a pour 20 ans de travaux forcés peut être docteur en Droit ou autre chose. C’est ce qui se passe en Europe. Il faut qu’on tende vers cela. Perpète est traumatisant sur l’instant. La personne qui entend cette sentence a l’impression qu’on l’envoie au bagne à Robben Island ou qu’il est exilé à l’Île des Madeleines. C’est fini cela. Il y a toute une administration derrière, comme le juge de l’aménagement des peines. On est en train de réfléchir. Il faut arriver à ce que les gens, une fois sortis de prison, puissent aller conscientiser les jeunes. Parce que de par leur parcours, ils connaissent les rigueurs de la prison, ce qui les avait emmenés là-bas. Ils pourront leur conseiller de chercher du travail. Il faut responsabiliser ces jeunes de la banlieue, les confier à des centres de sauvegarde pour qu’ils apprennent un métier.
Pourquoi l’agresseur est condamné aux travaux forcés à perpétuité, même s’il ne tue pas sa victime ? Alors qu’une personne qui ôte la vie d’une autre peut s’en tirer avec quelques années d’emprisonnement ?
Pour clarifier les choses, disons qu’un vol aggravé est commis avec un certain nombre de circonstances : la nuit, l'usage d’armes… Et ces circonstances, même s’il n’y a pas mort d’homme, à la suite de l’agression, sont punies par la perpétuité. Maintenant, s’il y a mort d’homme ou s’il y a interruption temporaire de travail, c’est-à-dire, si l’on a blessé la victime, c’est la peine de mort. Mais, comme il n’y a plus de peine de mort, on se rabat sur la perpétuité. L’article qui réprime ces genres de vols interdit aux juges de chercher des circonstances atténuantes à celui qui les commet. C’est une interdiction de par la loi. Le juge a les mains liées. Il ne peut que condamner à la perpétuité. On ne donne pas de gaîté de cœur ce genre de peine. Tout ce qu’il peut chercher pour aider l’accusé, ce sont les excuses absolutoires, comme la légitime défense.
C’est quoi les travaux forcés ?
Cela veut dire que le condamné va travailler pour l’État, mais il sera rémunéré. Ce sont des travaux que l’administration va lui donner, mais il s’agit de dette qu’il va payer à la société.
Parlons de la grâce, car il arrive que des prévenus qui en bénéficient récidivent. Est-ce-à dire que les conditions d’octroi ne sont pas respectées ?
Il faut tout un dossier avant d’arriver à l’octroi de la grâce. Il faut suivre la personne. Il faut que les assistants sociaux fassent leur part de la procédure… Généralement, ceux qui bénéficient de la grâce sont les coupables d’infanticide. C’est un crime tellement pathétique, une femme qui tue son enfant, parce qu’elle ne peut pas en assumer la charge, qu’on trouve habituellement assez de motifs pour la comprendre.
Parlant d’infanticide, certains de vos collègues du Parquet général estiment que le phénomène a tendance à être banalisé, à cause de la peine de 5 ans de travaux forcés infligée généralement aux accusées. Partagez-vous cet avis et quelle solution préconisez-vous ?
Pour l’infanticide, on a l’impression qu’il y a un tarif. C’est cinq ans automatiquement. Pourtant la loi dit qu'on peut même aller jusqu’aux travaux forcés à perpétuité. Ce qui en fait un meurtre particulier, c’est qu'on a tué un nouveau-né, mais on n’en a pas moins tué une personne humaine qui ne peut se défendre et dans des conditions parfois atroces. Seulement les auteurs de ce genre de crime ne sont pas des délinquants notoires. Ce sont les circonstances de la vie qui ont fait qu’elles ont attenté à la vie de leur enfant. Mais, on ne voit jamais une femme qui a commis un infanticide récidiver. D’ailleurs, même la personne qui a tué est victime. Il n’y a que les agresseurs qui reviennent.
Certains cas d’infanticide sont quand même assez barbares, comme l’accusée Khady Diouf qui a mis son enfant dans un cageot rempli de bris de verre avant de le poignarder …
J’en conviens parfaitement. Vous ne pouvez même pas imaginer ce qu’un individu est capable de faire. Il y a des gens qui font pire, et peut-être sans être, au moment du crime, dans un état de lucidité assez grand pour comprendre ce qu’ils sont en train de faire. La dame en question, je suis sûr que dans son for intérieur, elle a regretté ce qu’elle a fait, par la suite. Parce qu’on sait qu’elle a déjà eu des enfants, sans avoir éprouvé la nécessité d’attenter à leur vie. Pourquoi l’a-t-elle fait cette fois-ci ? Vous savez, la particularité des Assises, ce n’est pas l’acte en tant que tel, mais essayer de l’expliquer par rapport au parcours de la personne (éducation, métier, rapports avec son entourage, ses ressources... C’est pour cela qu’il y a l’enquête de personnalité. Personnellement, je pense que ce sont ces éléments objectifs qui expliquent mieux l’acte, que l’acte lui-même dans sa froideur ou sa monstruosité. On est tous des êtres humains, on peut comprendre ; mais chercher à justifier l’acte, c’est voir le mobile, parce que l’intention n’est pas le mobile. L’intention, c’est le fait de vouloir attenter à la vie d’autrui. Le mobile, c’est le pourquoi. Le pourquoi, ce n’est pas un problème.
FATOU SY &
SOPHIANE BENGELOUN