Le nouveau défi de l’intérieur
Les récentes arrestations et interpellations en chaîne des djihadistes présumés, démontrent qu’un combat souterrain sans merci se livre pour tuer dans l’œuf toute velléité d’extrémisme religieux.
En début novembre, deux faits ont remis la question djihadiste au centre des débats : les résultats, controversés de l’enquête du ‘‘Timbuktu Institute’’ qui confirmait l’exposition des jeunes Sénégalais à la radicalisation ; et la psychose née de l’irruption de quatre enturbannés armés de kalachnikov à Matam. On n’avait pas fini d’en parler qu’Abdou Aziz Dia, ‘‘Abou Zoubaib’’ de son nom de guerre, a fait les choux gras de la presse avant-hier après avoir été arrêté par la Police à Rufisque Gouye Mouride. Ce dernier est prétendument en contact avec les cellules dormantes ainsi que des branches actives du djihadisme dans la sous-région.
Rufisque justement où, en novembre 2015, l’arrestation de Mamadou Sall a donné le ton à une série d’autres interpellations. Un mois avant, c’est l’arrestation simultanée de l’imam Alioune Badara Ndao à Kaolack, de deux femmes dans la banlieue de Guédiawaye et d’un autre homme à Khar Yalla qui laisse peu de doutes sur le noyautage progressif de certaines couches de la population sénégalaise par un extrémiste religieux. Cette liste non exhaustive de personnes interpellées, dont certaines sont toujours en détention, démontre que le Sénégal est dans la mouvance de la vulnérabilité mondialisée.
Des jeunes en majorité
Le profil-type de l’extrémiste religieux est le jeune désœuvré, sous-éduqué, issu de la banlieue. Mais d’après les résultats du rapport de Timbuktu Institute ‘‘Facteurs de radicalisation, perception du terrorisme chez les jeunes dans la grande banlieue de Dakar’’, seuls 10% de jeunes Sénégalais interrogés par l’enquête, seraient prêts à rejoindre un groupe dit ‘‘radical’’ pour défendre l’Islam et 7% pensent qu’un imam qui a un prêche radical a raison. Presque la moitié des sondés (18 à 35 ans) interrogés estiment que ce sont la pauvreté et le chômage qui font le lit du terrorisme. Si on ajoute à cette donnée le manque d’éducation, y compris religieuse et le désespoir, l’on comprend pourquoi 68% des jeunes n’ont pas confiance en l’Etat et dans les services que ce dernier devrait assurer, selon l’enquête. Contrairement à une idée reçue qui veut que les sergents recruteurs des cellules terroristes aillent pêcher dans les eaux troubles des couches sociales défavorisées, certains jeunes issus de milieux aisés cèdent également aux sirènes djihadistes. En décembre 2009, l’attentat déjoué dans un vol en ligne américain reliant Amsterdam à Detroit était l’œuvre d’un jeune nigérian, Umar Farouk Almutalib, dont le père était ministre puis banquier au Nigeria.
En 2015, au Sénégal, Assane Kamara, fils d’un ancien diplomate et étudiant à l’université de Sherbrooke (Canada), a quant à lui atteint le stade terminal de la radicalisation puisqu’il projetait de se rendre en Syrie avec ses amis. Selon le journal Libération qui a fait la genèse de son arrestation par la Dic, en fin janvier dernier, l’étudiant s’est radicalisé après un séjour en Tunisie avant d’être dénoncé par sa mère. Il avait nourri le dessein de se rendre ‘‘au paradis des djihadistes’’ en compagnie de Samir Halilovic, Zakria Habibi et Yousef Sakhir, avant que les efforts combinés des services de sûreté sénégalo-canadiens ne ruinent ses plans.
Le défi de la com’ pour la sécurité
Les attentats au Burkina, en Côte d’Ivoire, et plus proche de nous au Mali ont obligé les autorités à redoubler de vigilance. Terroristes ou pas, les forces de défense et de sécurité, police et gendarmerie plus particulièrement, surveillent les moindres faits et gestes des personnes susceptibles d’appartenir à la mouvance djihadiste. Si les forces de l’ordre semblent miser sur l’anticipation et la prévention plutôt que de subir les événements, et que les interpellations, arrestations, et détentions sont loin d’être hasardeuses, il reste qu’elles sont confrontées à la sensible question du Droit, et surtout celle de la communication de crise. Pour ces services, le désir de ne pas susciter d’autres vocations extrémistes, l’omerta stratégique sur des informations sensibles, et la responsabilité de préserver la paix civile priment, à bien des égards, sur le droit du public à l’information.
Pour le chargé de communication de la Police joint par téléphone, ‘’les portes ne sont pas fermées’’. L’adjudant Henri Boumy Ciss en veut pour preuve les communications sur les affaires Assane Kamara et ‘‘Abou Zoubaib’’ relevant de la compétence de la Police nationale. ‘‘On ne se casse pas la tête ; on communique car nous ne voulons pas donner l’impression que c’est la presse étrangère qui secoue à chaque fois le cocotier dès qu’il s’agit de djihadisme. Si on arrête un Sénégalais lié à ce genre d’affaires, on en parle sans pour autant entrer dans les détails. On informe la population. Même pour les fausses alertes concernant les colis suspects, on est sorti pour rassurer les populations’’, poursuit-il. ‘‘Le terroriste n’est jamais seul, il y a toujours une vaste organisation derrière. Mais on ne peut pas tout dire. On en parle en attendant de voir ce que va donner l’enquête’’, défend l’adjudant Ciss.
Une approche communicationnelle tout à fait différente de celle de la gendarmerie. Pour le cas des quatre hommes enturbannés à Matam, c’est une effervescence médiatique que la communication de la maréchaussée aurait pu doucher avec un simple communiqué. L’option du silence l’a finalement remporté. ‘‘C’est un citoyen qui voulait alerter les forces de défense et de sécurité qui a propagé la nouvelle, en parlant de présence de quatre djihadistes au nord du Sénégal. Et c’est cette nouvelle qui est en train de créer une psychose au sein de beaucoup de nos populations’’, s’était désolé, l’adjudant Henri Boumy Ciss deux jours après les évènements, lors de la remise de drapeau à la 43e promotion de l’Ecole de police, la semaine passée. Apparemment, la confusion venait d’un citoyen consciencieux qui a appliqué les consignes de l’administration territoriale (gouvernorats, préfectures, sous-préfectures...), demandant aux résidents des zones frontalières surtout, de signaler tout comportement ou discours inhabituel. Quelques jours auparavant, après un long répit accordé par les ‘‘religieux’’ à la force publique, la Ligue des imams et prédicateurs du Sénégal, pas forcément radicale, a choisi de faire entendre la cause de leur congénère Imam Ndao, en détention depuis près d’un an, par une marche, après que la presse a fait écho des conditions de détention extrêmes dans lesquelles il était détenu. Le dossier entre les mains de la gendarmerie souffre également d'un manque de communication.
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MISE AU POINT
Différences et nuances entre concepts
De nombreux mots sont employés pour pointer du doigt certaines dérives autour de l'islam. Tour à tour, ces mots sont mélangés, confondus et parfois même dévoyés.
‘‘FONDAMENTALISME’’
‘‘Tendance de certains adeptes d’une religion à revenir à ce qu’ils considèrent comme fondamental, originel, et intangible dans les textes sacrés’’, selon le Larousse. Les fondements peuvent désigner les textes, mais aussi le mode de vie des premiers croyants. Ce qui n’implique pas forcément la violence. La grande question est la suivante : à quels fondements fait-on référence ? ‘‘Certains mettent l’accent sur les mœurs : le fidèle est donc dépolitisé, et le terrorisme refusé car il est trop moderne, impur. Ils peuvent être critiquables car ils entraînent une certaine rupture avec la société. Mais ils ne sont alors pas des menaces pour la sécurité’’, ajoute Raphaël Liogier, sociologue spécialiste des religions à l’Institut d’étude politique d’Aix en Provence, auteur du livre le Complexe de Suez, le vrai déclin français.
‘’RADICALISME’’
Le radicalisme est peut-être le mot le plus lourd de sens et en même temps celui qui en a le plus. ‘‘Dans les pays anglo-saxons, le radicalisme concerne n’importe quel mouvement qui passe à la violence. Mais en France, cela désigne aussi une rupture de la société, entraînée par une certaine vision de la religion’’, selon Bernard Godard, l’ancien conseiller du ministère de l’Intérieur. Le mot ‘‘radical’’ se dit aussi de quelqu’un qui va au fond des choses.
‘‘Le radicalisme suppose une étude poussée des textes religieux. Les ‘radicaux’ fréquentent le même imam, ils s’habillent souvent tout de blanc, couleur de la pureté’’, commente Raphaël Liogier. Qui insiste : ‘‘Le mot ‘radicalisation’ est donc dévoyé lorsqu’il est employé pour Daesh et ses recrues. Ils n’ont pas le temps de travailler le texte : ils prennent du temps pour préparer leurs voyages, leurs attentats....’’
‘‘ISLAMISME’’
L’analyse. Les islamistes sont des musulmans qui entrent dans un jeu politique. Ils ont un corpus, une construction idéologique et ils en font un projet politique. Ils peuvent jouer le jeu de la démocratie (les Frères musulmans en Egypte, par exemple, qui parviennent au pouvoir par les urnes en 2012), être utopiques, totalitaires lorsqu’ils sont déjà au pouvoir… ou guerriers lorsqu’ils veulent le conquérir par les armes. "Daesh est ainsi considéré par certains comme une mouvance islamiste violente. Mais ils portent davantage une utopie sanguinaire qu’un projet politique", commente Bernard Godard.
‘‘SALAFISME’’
D’après le Larousse, c’est le ‘‘courant fondamentaliste de l’Islam, qui prône aujourd’hui un retour à la religion pure des anciens en recourant à une lecture littérale des sources’’.
A l’origine du ‘‘salafisme’’, il y a le terme ‘‘Salafiya’’, qui désigne ‘‘un retour aux pieux croyants’’. Mais cette définition vaste s’est précisée avec le temps. Aujourd’hui, le salafisme désigne un littéralisme. En clair, une version de l’Islam qui respecte à la lettre ce qu’il y a dans les textes religieux. ‘‘S’il y a marqué Main de Dieu dans le Coran, un littéraliste va penser que Dieu a vraiment une main. Il n’y a pas d’interprétation, pas de métaphore’’, explique Raphaël Liogier.
Les mouvements salafistes sont aussi marqués par une volonté de constituer des micro-sociétés pour faire vivre ce mode de vie respectueux des textes. ‘‘Cela peut se faire dans la discrétion (ce sont les ‘quiétistes’)… ou en adoptant une position défensive, voire violente. D’où une porosité possible avec le terrorisme’’, décrypte Bernard Godard.
‘‘DJIHADISME’’
Dans l’Islam, il y a le grand Djihad, qui signifie ‘‘combat sur le chemin de Dieu’’, un effort sur soi-même pour combattre ses passions. Et le petit Djihad. Celui-ci, au Moyen-âge, désignait la défense de l’Islam lorsqu’il était attaqué. Mais le djihadisme qui en découle désigne, aujourd’hui, clairement le terrorisme pratiqué au nom de l’Islam. ‘‘Certains musulmans s’en insurgent d’ailleurs, car le Djihad ne peut être proclamé que par une Haute autorité musulmane. Le problème étant : qui est cette autorité ?’’, analyse Bernard Godard.
‘‘INTÉGRISME’’
‘‘Attitude de certains croyants qui, au nom d’un respect intransigeant de la tradition, se refusent à toute évolution ou interprétation des textes sacrés’’, selon le Larousse. Le terme a été popularisé grâce aux débats autour de Vatican II. Il désignait, à l’origine, ceux qui voulaient appliquer intégralement la tradition, comme la messe en latin par exemple. Aujourd’hui, il désigne encore ceux qui veulent revenir à l’Eglise catholique d’avant Vatican II. ‘‘Dans le monde musulman, on en a parlé à propos de l’Iran, après la Révolution islamique. Mais il y a plutôt un consensus entre chercheurs pour dire que ce mot est dépassé. Est-on intégré, pas intégré ? Ça ne veut pas dire grand-chose’’, conclut Bernard Godard.
O. L. DIOP AVEC EUROPE1.FR