‘’Il faut que les artistes proposent une autre manière de consommer de la musique’’
Digne ambassadeur du Sénégal à l’étranger, Hervé Samb est un guitariste hors pair. Il a joué avec de grands noms de la musique dont Marcus Miller, mais également Lisa Simone, héritière de la diva Nina Simone. D’ailleurs, c’est avec elle qu’il a presté à la 25e édition du festival international de jazz de Saint-Louis, en fin avril passé. Après un spectacle époustouflant, il a accordé une interview à EnQuête pour parler de sa collaboration avec Lisa Simone ainsi qu’Omar Pène. Il travaille avec le lead vocal du Super Diamono sur son prochain album. Hervé Samb parle également de la perception de la musique sénégalaise par le public et de son prochain album.
Comment est née votre collaboration avec Lisa Simone ?
J’ai été contacté en janvier 2014 par un membre de son staff. En novembre 2013 déjà, Lisa avait décidé de s’installer en France, dans la maison de sa mère. On m’a appelé alors qu’ils cherchaient quelqu’un qui sache faire de la soul, du RN’B, du blues et qui connaît la musique africaine. On leur avait alors dit qu’il ne trouverait pas mieux qu’Hervé Samb. Ils me l’ont fait savoir, quand ils m’ont appelé. Cela m’a fait très plaisir, surtout quand j’ai su qu’elle est la fille de Nina Simone, parce que je suis un très grand fan de Nina. C’est ainsi qu’est née notre collaboration. C’est venu naturellement. Depuis 2014, on travaille ensemble.
Pouvez-vous revenir sur vos débuts au Sénégal ?
J’ai été très chanceux. D’abord, parce que j’ai eu des parents qui m’ont vraiment soutenu. Ils m’ont beaucoup encouragé à poursuivre la voie que je m’étais choisie. Cela compte beaucoup dans la vie d’un enfant. J’ai commencé dans un orchestre qui s’appelait ‘’Force 5’’. Nous avons été deuxième lauréat d’un concours de musique. Ce qui nous a permis de réaliser notre premier album. Je n’avais alors que 13 ans. Après, j’ai monté mon propre groupe. A Saint-Louis, j’ai pu rencontrer Pierre Van Dormael (ndlr guitariste belge) qui m’a permis de découvrir le jazz. A 19 ans, j’ai eu les armes intellectuelles et harmoniques pour aller en Europe et y bâtir une carrière.
Vous avez été au ‘’Super Diamono’’. Parlez-nous de votre compagnonnage avec Omar Pène.
C’est pour ce genre de choses que je me dis que je suis quelqu’un de très, très chanceux. J’ai rencontré Omar Pène juste au moment où j’avais décidé d’être plus présent au Sénégal. Il y a de cela 5 ou 6 ans. J’étais arrivé à la fin d’un cycle. J’allais très souvent aux Usa, en Europe, etc. J’étais arrivé à un cycle où je m’étais assez nourri et que j’avais vraiment besoin de retourner chez moi. Et là, Omar Pène est vraiment tombé à pic. Cela m’a permis de renouer avec le Sénégal. Et je me demandais qui mieux qu’Omar Pène pour m’exprimer musicalement, sachant qu’il est un artiste très ouvert. Il a cette démarche d’aller vers l’autre, de s’intéresser au jazz, à la soul, au blues. Des musiques qu’il mélange au mbalax. A ce niveau-là, au Sénégal, il est le patron. J’avais non seulement cette opportunité de travailler avec lui, mais également de revenir plus souvent au Sénégal. Cela m’a permis aussi de toucher le public sénégalais. Il a ainsi su qu’il y a un certain Hervé Samb qui vit à l’extérieur qui est sénégalais et qui fait de la musique.
Que pensez-vous avoir apporté de plus à cette formation musicale ?
Pour moi, l’échange, c’est avec Omar Pène. C’est d’abord avec l’artiste. Le groupe, c’est autre chose. Avec Omar Pène, là, nous sommes en train de travailler sur son prochain album. Je suis très honoré et très chanceux qu’il me fasse confiance.
Vous allez assurer les compositions ou juste jouer de la guitare ?
Tout ce que je peux dire, pour le moment, c’est qu’il a une entière confiance en moi. Vous verrez ce qu’il en sera.
‘’Omar Pène me fait confiance pour son prochain album’’
Malgré votre incursion dans le Super Diamono, le grand public sénégalais ne vous connaît pas encore. En êtes-vous conscient ?
Cette situation est normale. Je ne vis pas ici. C’est donc normal que je sois moins connu ici. C’est tout à fait logique. Aujourd’hui, j’ai décidé de changer cela. C’est pour cela que la sortie de mon prochain album se fera ici au Sénégal. Il a d’ailleurs été enregistré ici et ce sont des musiciens sénégalais qui y jouent. Dans cet album, nous avons une approche du jazz vu par les Sénégalais. Je pense que cet album me permettra de me présenter au public sénégalais. Il y aura de belles surprises. Il y a plein d’invités et ce sera le jazz comme nous, nous aimerions le consommer. La sortie de cette production est prévue avant la fin de cette année.
Au Sénégal, la musique populaire est le mbalax. Beaucoup considèrent le jazz comme élitiste. Qu’est-ce qui vous a poussé à l’adopter ?
Je ne suis pas devenu musicien de jazz du jour au lendemain. Cela s’est fait au fur et à mesure. Au départ, je rêvais de devenir une ‘’rock star’’. C’est le rêve de tout jeune guitariste qui veut faire de la musique. Ma chance, c’est d’avoir rencontré quelqu’un qui m’a fait aimer le jazz. Aujourd’hui, le jazz n’appartient pas aux Américains. Cette musique est comme un vecteur de communication entre toutes les cultures. Aujourd’hui, par le jazz, j’ai pu mieux connaître ma culture. J’ai eu une approche plus poussée. Je comprends mieux maintenant le pourquoi du comment des choses. Je me suis rendu compte que c’est le cas également pour tous les musiciens de la planète entière qui se sont intéressés au jazz et qui ont envie en même temps d’explorer d’autres pistes. Pour moi, le jazz, on n’y vient pas comme ça d’un seul coup. C’est vrai qu’il faut une certaine éducation, comme toute autre chose. Mais cela reste quand même la musique qui permet d’exprimer toutes les cultures. Pour moi, c’est quelque chose qui nous permettra de promouvoir la culture sénégalaise. Je m’intéresse à cette musique, mais je ne suis pas un jazzman américain. C’est un outil finalement pour pouvoir exprimer la musique africaine, la musique sénégalaise.
En somme, comment définiriez-vous votre musique, puisque vous ne faites pas du jazz américain ?
La musique, c’est la vie. Moi, je pense que nous vivons dans un monde où on ne peut pas se cloisonner dans sa culture. Il est aujourd’hui absolument nécessaire d’aller vers l’autre et que l’autre vienne vers nous. Cela nous permet de connaître l’autre, de le découvrir. C’est ainsi que l’autre peut te respecter et venir vers toi. Quelque part, c’est cet échange-là qu’il faut créer. Cela est valable dans tous les domaines. Par exemple, il faut que les ingénieurs sénégalais aillent s’imposer à l’étranger pour que les gens s’intéressent à nous. Cela a commencé.
C’est un échange perpétuel. Cela aujourd’hui est l’image que j’essaie de véhiculer. Je veux leur faire comprendre qu’il est vrai que je viens de l’Afrique, ce continent qui a la réputation d’être pauvre et où il y a la guerre comme on dit, mais il y a des choses positives, ici. Quand je vais dans des festivals partout à travers le monde, je suis fier quand on me présente comme un guitariste sénégalais. Car je montre une autre image de ce continent. Une image d’une Afrique jeune et intelligente qui est engagée et qui est ouverte. Les gens ont tendance à nous voir comme des gens qui se cantonnent dans leurs cultures et qui ne s’ouvrent pas à l’extérieur. Ce qui est complètement faux. C’est un message assez important. Et c’est exactement ce que j’essaie de répercuter dans ma musique. Ma musique est une musique africaine, mais qui s’ouvre à l’extérieur.
Avec Alune Wade, vous aviez lancé le festival ‘’Jazz à Gorée’’. Il n’y a eu qu’une seule édition. Qu’est-ce qui s’est passé ?
Oui, c’est vrai qu’il n’y a eu qu’une seule édition, malheureusement. Nous sommes des musiciens, nous ne sommes pas des organisateurs de festival. Allier les deux n’est pas du tout évident. Mais, c’était une bonne initiative. On s’était dit qu’il était bon de multiplier les chances d’échanges entre les musiciens sénégalais et ceux de l’extérieur, sachant qu’Alune et moi connaissons la diaspora sénégalaise. Nous connaissons également beaucoup de gens de l’extérieur qui peuvent venir et permettre aux artistes sénégalais de découvrir une autre manière de faire de la musique. Mais surtout, on voulait faire la promotion de la culture sénégalaise à l’extérieur.
Nous n’avons pas abandonné. Entre-temps, j’ai sorti un album. Alune vient de sortir le sien. On va ensemble en discuter et voir comment faire pour reprendre l’organisation de ce festival. On va le relancer, d’une manière ou d’une autre. S’il faut déléguer, on le fera. Il faut, en plus du festival de Saint-Louis, un à Dakar. Et si on peut avoir une dizaine de festivals au Sénégal, ce serait génial. L’idée donc, c’est d’en avoir de plus en plus, afin d’avoir de plus en plus d’activités culturelles au Sénégal. Ainsi, les gens se rendraient plus compte de la beauté de notre culture et qu’on puisse la promouvoir.
Sur scène, vous semblez ne faire qu’un avec votre guitare. Votre relation avec cet instrument vous la définissez comment ?
La guitare, pour moi, est un instrument comme les autres. Je pense que le plus important, c’est l’artiste, le musicien. L’instrument est là et a ses caractéristiques. C’est au musicien de se demander ce qu’il peut avec ce dernier. Voir ce qu’il peut créer. C’est comme si vous disiez à un peintre, cette fois-ci, vous aurez comme support non pas une toile mais un bout de bois ou un mur. Le support reste le support. Il en est de même pour l’instrument. C’est à l’artiste de le travailler et essayer d’en faire quelque chose. J’ai choisi la guitare parce que c’est l’instrument qui me correspond le mieux. Il me permet de m’exprimer le mieux possible.
Qu’est-ce qui fait qu’au Sénégal, on n’arrive pas à avoir beaucoup d’instrumentistes leaders de groupe ?
Je pense que c’est lié à un concours de circonstances. La musique instrumentale avec la musique traditionnelle sont très respectées. Sauf qu’aujourd’hui, on a une musique qui s’appelle le mbalax, qui est la musique pop sénégalaise, qui a ses codes et sa manière d’être consommée. Les gens ont tendance à mélanger ça, c’est-à-dire penser que la musique sénégalaise ne s’arrête qu’au mbalax. C’est complètement faux. Il faut juste rééduquer les gens. Il faut que nous les artistes, nous leur proposions une autre manière de consommer la musique. C’est par des festivals comme celui de Saint-Louis que les gens ont la possibilité, ne serait-ce que de connaître la culture des instruments. Que les gens sachent que cela est de l’éducation. Donc, ce rôle d’éduquer ceux qui nous écoutent n’incombe pas seulement aux musiciens. Il faut qu’il y ait tout un cadre. Il faut qu’il y ait des festivals, que les artistes sortent des albums, etc.
BIGUE BOB