« On a davantage rendu hommage à Sembène à l’extérieur qu’ici »
Enseignant à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar et critique de cinéma, Pr Maguèye fait partie des rares amis proches d’Ousmane Sembène. Il connaît l’homme et maîtrise son œuvre également.
Si vous deviez confier à la jeune génération qui était Ousmane Sembène, que lui diriez-vous ?
Sembène Ousmane était un Africain-Sénégalais. Il a expérimenté la vie à travers un certain nombre d’épreuves notamment l’accès à la connaissance par l’école tout en gardant sa liberté, le respect de soi et le fait de cultiver son indépendance en tout lieu, en toute occasion et de ne dépendre de personne. Cela, il ne l’a appris de personne et cette jeune génération devrait prendre cet exemple et se dire qu’elle doit s’éduquer où se laisser éduquer. Il faut que la jeunesse ait à l’esprit que la vie n’est pas facile, c’est un combat permanent. Sembène a beaucoup aidé ses parents et il a vu que son père était quelqu’un de digne, et cette dignité lui permettait d’affronter les difficultés de la vie. Je dirais aussi à cette jeune génération qu’il n’y a pas de sot métier, l’essentiel, c’est un savoir-faire qui vient de l’expérience. Sembène s’est essayé à beaucoup de boulots. Il a fait l’armée, il a été maçon, docker, un peu comme les métiers que nos jeunes tentent de faire. Donc, il n’y a pas de boulot que pour ceux qui sont dans des bureaux climatisés ou dans des situations de confort.
Eu égard à la dimension de Sembène Ousmane, pensez-vous qu’on l’a assez célébré au Sénégal ?
Très honnêtement, je ne le pense pas. Je l’ai dit souvent dans mes interviews. Je l’ai aussi dit après que la promesse a été faite lors du premier anniversaire de la mort de Sembène à la Place du souvenir où le président de la République s’était engagé à faire en sorte qu’on crée les conditions d’une meilleure connaissance de Sembène. Son ministre de l’époque nous avait dit qu’il allait ériger une stèle à la mémoire de Sembène. Il avait décidé qu’une avenue allait porter son nom et que cette stèle allait être érigée à la place des cinéastes, l’endroit qui avait vu la première organisation du cinéaste sénégalais. Aussi à la même année, on était avec le ministre au Burkina Faso, on s’était rendu compte ensemble de ce que le Burkina avait fait pour Sembène et là, je leur ai dit qu’il devrait avoir honte pour le Sénégal. Je ne comprends toujours pas pourquoi rien n’est fait au tour de cette question d’autant plus qu’on nous avait promis à cette époque que la maison de Sembène serait un musée ; et on n’a rien fait dans ce sens jusqu’à présent.
Je ne sais pas quel est l’état actuel de la maison mais il y a eu beaucoup de controverses autour. ‘’Galle Ceddo’’ ne mérite pas un tel sort. On lui a davantage rendu hommage à l’extérieur que dans son propre pays. Rien ne s’opposait à ce qu’il soit reconnu comme un monument de la littérature et du cinéma africain ou qu’on lui dédie des symboles très forts pour marquer sa mémoire, comme ce que Ouagadougou a fait à sa mémoire ; avoir une grande salle de conférence qui porte son nom. La chambre numéro 1 de l’hôtel Azalaï, il ne voulait plus la louer parce que c’était la chambre de Sembène Ousmane. L’allée des cinéastes a été inaugurée allée Ousmane Sembène derrière laquelle se sont alignés d’autres monuments du cinéma africain. Ceci aurait dû nous édifier nous Sénégalais sur la nécessité de faire de Sembène un monument, une référence pour la jeunesse. C’est vrai qu’on étudie ses œuvres dans les établissements secondaires mais ce n’est pas suffisant, il mérite mieux que cela.
La maison d’Ousmane Sembène ‘’Galle Ceddo’’ est en train de mourir à petit feu, à votre avis, qu’est-ce qui devrait être fait par l’Etat ?
L’Etat devait discuter avec les héritiers, prendre des initiatives parce qu’il a un droit régalien. Ousmane Sembène est un monument national. L’Etat aurait pu prendre des dispositions nécessaires pour parler avec sa famille et trouver un terrain d’entente pour faire de la maison un musée digne de nom. Il y a eu beaucoup de controverses autour de la maison, des œuvres qu’il a laissées dans cette maison qui pourrit. Et là, je ne peux pas comprendre pourquoi l’Etat n’a pas usé de son droit régalien de convoquer ou de faire des démarches auprès des héritiers. Depuis le jour de l’enterrement de Sembène, j’ai refusé de mettre les pieds à ‘’Galle Ceddo’’.