Publié le 18 Apr 2018 - 15:06
FINANCEMENT, DEFAUT DE BUSINESS PLAN, D’ACCOMPAGNEMENT…

Les raisons de la chute libre des entreprises sénégalaises 

 

Créer une entreprise au Sénégal, en un temps record, ne sera certes plus un problème, si toutes les réformes envisagées par l’Etat sont mises en place. Cependant, selon les acteurs du secteur privé, la plupart des petites et moyennes entreprises (Pme) nationales existantes, notamment les privées et les start-up, ont du mal à supporter les charges qui pèsent sur elles, entrainant souvent leur faillite. Le débat a été soulevé avant-hier, lors d’un séminaire de l’Apix à Saly, à l’endroit de la presse économique et des bloggeurs sur le Doing Business. 

 

Démarche à ‘’revoir’’, stratégie à ‘’adopter’’, fiscalité à ‘’amoindrir’’, les solutions ne manquent pas, selon le directeur exécutif de la Confédération nationale des employeurs du Sénégal (Cnes), Mor Talla Kane, pour l’Etat du Sénégal de soutenir les entreprises nationales en difficulté. ‘’Ce que nous attendons de l’Etat, c’est qu’il aide non seulement les entrepreneurs, mais l’économie d’une manière générale, notamment dans les secteurs clés. Nous recensons, depuis quelques années, beaucoup d’entreprises en difficulté. Il doit avoir une démarche beaucoup plus constructive, en faisant en sorte que tous les dispositifs soient mis en place pour les sauver’’, a-t-il dit dans un entretien avec ‘’EnQuête’’, à l’occasion d’un séminaire de l’Apix sur le Doing Business à Saly, avec les journalistes économiques, la presse en ligne et les bloggeurs.

En effet, selon M. Kane, souvent dans la vie des entreprises, il y a des ‘’accidents’’ qui ‘’ne sont pas liés à la compétence’’ de l’entrepreneur. ‘’Il y a eu des incidents liés à des démarches. Tout ceci doit être pris en compte, si nous voulons soutenir notre système économique, accompagner la création d’emplois, le maintien des emplois créés’’, estime le directeur exécutif de la Cnes. Ce dernier invite l’Etat à sauvegarder ces entreprises, en faisant ‘’un effort temporaire’’ pour leur permettre d’avoir une meilleure situation de gestion et leur demander ensuite des remboursements d’impôts, entre autres. ‘’Dans tous les pays, on a ces dispositifs. Aujourd’hui, ces difficultés peuvent être passagères, mais on a le fisc derrière, la Caisse de sécurité sociale, l’Ipres, etc. Tout cela fait un effet cumulatif qui ne fait qu’enfoncer ces entreprises qui auraient pu être sauvées’’, dit-il.

‘’L’Etat n’a jamais essayé d’aider les entreprises du secteur privé’’

En réalité, d’après M. Kane, le constat est que, depuis très longtemps, quand on parle d’entreprises en difficulté, c’est ‘’malheureusement des entreprises d’Etat’’. ‘’Je ne sais pas pourquoi, on a un traitement qui permet de sauver et d’accompagner des entreprises du secteur public. On a eu les Ics, la compagnie d’aviation, etc. Mais on n’a jamais essayé d’aider celles du secteur privé. Ce qui est dommageable’’, déplore-t-il.

Aussi, le directeur exécutif de la Cnes estime-t-il qu’il est temps, après les conseils, les instructions du président de la République, les conseils interministériels, les décisions qui ont été prises ici et là, qu’on puisse mettre en œuvre ‘’effectivement’’ un dispositif d’accompagnement de ces entreprises. ‘’Elles ne sont pas vouées à mourir toutes seules. Il y en a qui peuvent être sauvées. Rien que sur le plan stratégique, il y a des entreprises qui, en disparaissant, emportent avec elles d’autres pans de l’économie. C’est soit des producteurs, des clients où même des banques qui vont avec’’, alerte-t-il.

Aujourd’hui, ces entreprises en difficulté sont enregistrées dans les secteurs tels que la pêche, le papier, la manufacture, les Btp, etc. ‘’Actuellement, presque tous les champions dans le secteur de l’industrie ont disparu. Il est important, aujourd’hui, même s’il y a un cahier des charges, on ne doit pas laisser ces entreprises tomber toutes seules. Là, les administrations ont un rôle à jouer, surtout les impôts. On a la Sécurité sociale et l’Ipres’’, insiste Mor Talla Kane.

‘’Laisser les start-up s’envoler’’

Les start-up sont considérées par les économistes ou acteurs du secteur comme étant, dans l’avenir, un levier indispensable pour la croissance économique de tout pays qui aspire à se développer. Cependant, au Sénégal, Mor Talla Kane fait savoir qu’il n’y a pas encore de dispositif particulier. ‘’Aujourd’hui, la mondialisation est portée par ces dernières. A l’intérieur de cette mondialisation, il y a de petites unités très innovantes, très agressives qui ont de nouvelles idées qui permettent à la fois de lever des fonds, des idées. Les économies gagnantes, actuellement, qui émergent sont celles qui ont en leur sein des start-up’’, soutient-il. Pour lui, beaucoup de dynamisme est porté par des jeunes qui ont une vision sur l’avenir et qui savent ‘’parfaitement’’ décrypter les contours de la croissance de demain. ‘’Il est important qu’on ne fasse pas peser sur elles toute la fiscalité. Il faut les laisser s’envoler. Ce sont des acteurs très fragiles, mais très innovants qui ont besoin d’être accompagnés. Leur taux de mortalité est très élevé. Ces gens sont dans des secteurs où il y a plus de valeur ajoutée’’, plaide ce responsable de la Cnes.

Lamine Ba :

Si Mor Talla Kane pense que l’Etat doit fournir des efforts pour éviter la chute libre des entreprises nationales, le directeur de l’Environnement des affaires de l’Apix, Lamine Ba, souligne qu’il y a un problème au Sénégal par rapport au statut d’entrepreneur et qu’il y a des prédispositions pour y arriver. Il s’en explique : ‘’Il faut, au moins, savoir le marché sur lequel on est, avoir un produit qu’on vend et un client qui l’achète. C’est vrai qu’il y a des défaillances dans les dispositifs d’accompagnement, mais tous les pays du monde, et particulièrement le Canada, le taux de survie après 3 ans est de 35 % d’une génération créée’’, renseigne M. Ba. D’après lui, au Sénégal, on a des entreprises qui ont grandi. ‘’Nous avons un indicatif qu’on suit, c’est le taux de passage d’entreprise moyenne à grande entreprise. Ce que nous voulons aujourd’hui, c’est d’avoir plus d’entreprises viables’’, dit-il.

Pour ce qui est de la question de l’impôt pour les start-up, le directeur de l’Environnement des affaires de l’Apix informe qu’elle est en train d’être discutée, de même que celle liée à la mobilisation des ressources. ‘’Peut-être qu’on peut les insérer dans les réformes institutionnelles de 2019’’, annonce-t-il.

Toutefois, il préconise des incubateurs professionnels. ‘’Quand une entreprise commence à grandir, il faut qu’elle accepte d’avoir du personnel qualifié. Il faut qu’on paie certains conseils. En le faisant, cela permet d’économiser certains coûts. Or, on a un problème de gradation des entreprises’’, dit-il. Pour lui, ce challenge n’est pas seulement une affaire d’Etat. C’est également celui de la société, de business model et d’environnement. ‘’Pour les structures d’accompagnement, on doit faire mieux.  Plus on aura d’espaces d’incubation, plus les petites entreprises seront dans des espaces partagés. Elles auront moins de charges. Et plus, dans les années à venir, on réglera ces problématiques’’, ajoute-t-il.

De son côté, la présidente du groupe 4 du Conseil présidentiel de l’investissement (Cpi), Soukeyna Ndiaye Ba, voit dans la mort prématurée des entreprises sénégalaises le fait que les Sénégalais, d’une manière générale, n’épargnent pas. ‘’Les institutions de financement décentrées vont emprunter aux banques qui leur prêtent à un taux de 9 %. Avec les charges que nous avons, nous ne pouvons pas prêter aux entreprises à moins de 12 ou 13 %. Ce qui ne va même pas régler le problème. Ce sont des réalités de notre économie nationale’’, constate-t-elle.

Dès lors, la responsable d’une institution de microfinance préconise de ‘’trouver globalement’’ les moyens de financer ces entreprises qui démarrent avec des filets de sécurité. ‘’Mais il faut que les gens acceptent de contribuer à tout cela’’, dit-elle.

MARIAMA DIEME

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