Publié le 18 Apr 2020 - 01:19
Niamatoss UNE CHRONIQUE MÉDIA

Quand le brouhaha de l’accessoire chasse l’essentiel

 

COCASSE COINCIDENCE : Calmes, mais déterminés à réaliser leur action, ils s'étaient passés un à un la Croix jusqu'à ce qu'elle se retrouve entre les mains de l'abbé Léon qui la tint ainsi pour le groupe. Alors, ils se dirigèrent vers le camion rempli de vivres et bardé d'une banderole en gros titres de la mention "Aide alimentaire". Farine, sucre, lait et mil se retrouvèrent étalés par terre, malgré les protestations du chauffeur et les appels à la raison du religieux. Derrière, suivait la troupe de parents et amis qui venaient de récupérer le corps de leur proche, Pierre Henri Thioune dit ‘’Guelwaar’’, exhumé quelques instants plus tôt, après moult péripéties causées par une confusion de cadavres.

Ainsi, les vivres promis par le député-maire aux villageois et sans doute vivement attendus, venaient de se retrouver non pas dans le ventre de leurs destinataires, mais sur le bitume. "Nous ne pouvons pas accepter de vivre et grandir dans la mendicité", avait rétorqué Etienne, le leader des jeunes, au sermon de l'abbé.

Cette scène ne s'est pas déroulée récemment quelque part dans les campagnes sénégalaises que beaucoup de camions sillonnent pour transporter des vivres, mais bien il y a près de trente ans. C'est l'un des derniers tableaux du célèbre film ‘’Guelwaar’’ de Sembène Ousmane, le plus célèbre des cinéastes sénégalais. Cocasse coïncidence, au moment où le président Sall lançait le démarrage de l'acheminement de l'aide alimentaire destinée à un million de ménages sénégalais pour faire face aux effets dévastateurs du coronavirus, la RTS repassait le film d'anthologie de Sembène. Assurément à aucune fin subversive, mais une simple concomitance. Inspirée - peut-être ? - par France2, la chaîne publique programme, depuis quelques jours, une trentaine de films parmi les grands classiques du cinéma sénégalais. Un régal ! Particulièrement pour ‘’Guelwaar’’ ! Ah Guelwaar, comme s'écria Nogaye Marie face au lit de mort vide de son défunt mari... Un must !

Scénario intelligent et instructif sur nos réalités sociales, les hypocrisies, avatars coloniaux comme les entourloupes des politiciens, mais surtout sur la cohabitation intelligente entre populations de cultes différents, mais se vouant un profond respect mutuel, mais soudainement mis à mal par des manipulateurs.

AUTHENTICITE - Une semaine avant la diffusion de ‘’Guelwaar’’, regarder "Atlantique" de Maty Diop sur la RTS un dimanche matin, me fit moins plaisir. Non pas que le film n'est pas bien pensé ou réalisé, mais simplement que les voix doublées des acteurs en font, dans ma modeste perception, une œuvre qui m'insupporta au bout d'un moment. Ce n'est pas un reproche fait à la fille du talentueux musicien Wasis Diop. Elle a beaucoup de mérite, pour avoir porté les couleurs de son pays à ce niveau de sacre cinématographique mondial jamais atteint par ses aînés, notamment en France et aux Etats-Unis.

Peut-être qu'une telle pratique est une exigence du cinéma actuel pour pouvoir monter les marches de Cannes et y décrocher un Grand Prix... Mais sans doute aussi qu'elle coûte en originalité à nos réalisations.

S'exprimant en wolof sous-titré ou en français avec l'accent bien de chez nous ou du parler parisien, authentique et torrentiel fut pourtant le talent de Thierno Ndiaye Doss alias ‘’Guelwaar’’, celui de Moustapha Diop incarnant à merveille le difficile rôle d’Aloyse, le handicapé fils du défunt, d’Omar Seck dans la peau de Gora, du baroudeur adjudant-chef major de gendarmerie à la voix gutturale ou encore l'inégalable Abou Camara (imam Biram), Ndiawar Diop (Barthélémy le Parisien) ou du journaliste Joseph Balama Sané (abbé Léon), la regrettée Marie-Augustine Diatta (Sophie qui, conformément à la philosophie de son père, préfère tapiner à la grande ville plutôt que de tendre la main) ou encore l'inspirée Mame Ndoumbé Diop (Nogaye Marie), El Hadj Ndiaye (monsieur bonjour comment ça va...) dans le rôle d'un clairvoyant préfet.

AH ‘’GUELWAAR’’ ! J'ai regardé ce film une dizaine, une quinzaine de fois depuis sa première diffusion... - sans en être encore rassasié - à chaque fois bouleversé par la pénétrante musique ‘’Njilou’’ de Baba Maal et l'attachant scénario de Sembène le rebelle qui bouscule dogmes sociaux et pratiques hypocrites. Quand, vers la fin du film, imam Biram présente ses condoléances à Nogaye Marie - qu'il appelle d'un pudique ‘’Yaye’’ - ou échange avec Gormag (l'aîné des anciens) sur le sens de son humanisme qui permit, avec courage et doigté, de décanter la situation explosive, que d'émotions !  "Lorsque le charognard mange le corps de ton ennemi, dis-toi qu'il te mange", professa imam Biram.

ENVAHISSANTES CLAMEURS : Ah Guelwaar ! Et sa phrase assassine : "L'opprobre est lorsque que tout un peuple attend qu'un autre peuple le nourrisse et le vête ; ce peuple, de génération à génération, n'aura qu'un mot à la bouche : dieuredieuf, dieuredieuf, dieuredieuf, (merci)..." Assertion sans doute forte, mais vraie ou fausse, ce que Nogaye Marie appelle l'excès d'orgueil de son fougueux mari, intéresse sans doute peu les nombreuses victimes de la Covid-19.

Ici au Sénégal, comme à l'étranger, en ce moment, il faut bien admettre que l'aide alimentaire est une œuvre de salut public pour beaucoup. Pour ceux qui croient que réserver 12 milliards de F CFA à la diaspora n'est pas opportun, qu'ils regardent en ligne le reportage de France24 diffusé il y a deux semaines et qui évoque la situation d'immigrés africains de la banlieue parisienne : 273 hommes entassés dans un dortoir à Montreuil, des travailleurs au noir pour la plupart, confinés et privés de boulot comme d'aide ! Allez expliquer à ceux-là qu'ils n'ont pas besoin d'assistance.   

Pendant que le virus poursuit sa conquête en local comme dans le monde, avec plus de 2 millions de personnes infectées, c'est le raffut, comme pour les jeunes dans ‘’Guelwaar’’, dans la presse. Sauf que les causes ne sont pas les mêmes. Le bruit est grandissant et le sable, peut-être, aussi dans le riz de l'aide. "La polémique commence" (‘’Rewmi’’ du mardi), "Micmac autour des vivres"(‘’L'As’’ du mardi) suivi d'un "Parfum de scandale" (‘’Sud Quotidien’’ du mercredi), Tout cela, "ça sent louche" (‘’Source A’’).

Que nenni, répond l'homme d'affaires mis sur la sellette par un "Je n'ai rien à cacher", pendant que de hauts fonctionnaires en charge du dossier s'échinent sur les plateaux de télé, de la RTS notamment, à expliquer que la transparence et l'équité seront totales dans la distribution de l'aide, sans taire les soupçons apparemment. "Achats et distribution de vivres : forts soupçons de deals dans le business" (‘’Walf’’ du jeudi), "L'Etat, les populations et les affaires : l'équité en questions" (‘’Sud Quotidien’’ du jeudi). Bref, le corona-business, à l'évidence, suscite beaucoup de bruit, au point de faire passer à côté de l'essentiel : la lutte contre le virus. Qui pour vendre du riz, alors que l'Etat a décidé d'en acheter ailleurs ; qui pour capter le marché du convoyage de ces vivres, qui pour dénoncer, qui pour réclamer...

Bref, par ces temps qui courent, la presse est, consciemment ou pas, envahie par les clameurs du corona-business. A ceux qui sont en charge des affaires publiques de démontrer qu'ils peuvent gérer - et en toute transparence - et à ceux qui les accusent de prévarication d'apporter la preuve de leurs assertions ! Mais que les deux parties n'oublient pas l'essentiel : vaincre le virus et développer la résilience la plus efficiente pour gérer le pendant et l'après pandémie. "Dieu décide toujours ce qu'il y a de meilleur pour les hommes... Aux hommes de faire aussi de leur mieux..." ? Dixit (traduction approximative) Baba Maal dans ‘’Njilou’’. Ah ‘’Guelwaar’’ ! Avec ses convictions jusque dans sa tombe !

PEPESSOU

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