Publié le 12 Jun 2020 - 01:14
PR. OUSMANE SENE, SUR LES STATUES DE COLONS ATTAQUEES PARTOUT DANS LE MONDE

‘’La tolérance (au Sénégal) n'est pas nécessairement faiblesse ou infériorité’’

 

Le Collectif de solidarité Afrique-USA a remis, hier, sa pétition à l’ambassadeur des Etats-Unis, pour demander l’application de la justice pour George Floyd et manifester son soutien aux Américains en lutte contre le racisme. Le directeur du Centre de recherche ouest-africain (Warc, sigle en anglais) était de la délégation. Dans cet entretien, le professeur Ousmane Sène revient sur les dissensions raciales aux Etats-Unis et la particularité de l’affaire George Floyd qui fait des émules partout dans le monde. 

 

Ce n’est pas la première fois qu’un Noir meurt au cours de son interpellation, aux Etats-Unis. Qu’est-ce qu’il y a de différent avec l’affaire George Floyd ?

Oui, ce n'est pas la première fois qu'un Noir meurt au cours d'une interpellation. Mais c'est la première fois que cette mort est retransmise presque en direct et surtout suivie par des millions d'Américains qui, à cause de la pandémie, se trouvaient chez eux et avaient assez de temps pour regarder les images et enfin réaliser dans leurs esprits ce qui se passait réellement entre la police et la communauté noire. L'Américain moyen peut avoir jusqu'à deux ou trois boulots et peut souvent regarder la télé ou lire les journaux avec distraction. Cette fois-ci, le confinement leur a permis de faire fonctionner leur cerveau et de se rendre à l'évidence : les Noirs subissent les pires affres entre les mains des forces de police, pour le seul tort est d'être noirs. Les médias américains ont aussi largement couvert l'incident et dans la durée.

Comment comprendre la faible mobilisation en Afrique ?

L'Afrique commence à se mobiliser. Je rappelle que le Warc et le Musée des Civilisations ont récemment publié un mémorandum commun sur l'incident. Aujourd'hui mardi 10 juin, à 11 h, le Warc a facilité une rencontre de première importance entre des représentants de syndicats, d'organisations politiques, de la société civile, des Droits de l'homme et Monsieur l'Ambassadeur des Etats-Unis pour lui remettre un document sur la mort de George Floyd, intitulé "Déclaration de Dakar : Hommage à George Floyd : un nouveau souffle pour bâtir l'humanité". L'ambassade a reçu le document de bonne grâce et l'ambassadeur a aussi fait une déclaration rassurante. D'autres instances, même politiques, commencent à bouger et à envisager des actions. Il est vrai que les chefs d'Etat (africains) ne se sont pas fait beaucoup entendre, mais partout dans le monde, ce sont les populations et les organisations de la société civile qui semblent prendre l'affaire en main et je préfère cette stratégie pour mieux mobiliser les masses.

Les manifestations ont atteint d’autres pays dans d’autres continents. Ce sont les statuts des figures de la colonisation (Léopold 2 en Belgique, Churchill au Royaume-Uni, etc.) qui sont attaquées en Europe. Comment comprendre cela ?

Dans beaucoup de pays, les Blancs sont particulièrement visibles dans cette lutte pour l’égalité et la fin des traitements discriminatoires dans le monde. Les symboles des passés esclavagistes et racistes aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, comme les statues du général Lee, dans le sud des Etats-Unis, et tant d'autres reliques rappelant le sort peu enviable des Noirs dans le monde, sont systématiquement déboulonnées, non par des groupes noirs, mais par des Blancs venus soutenir la cause noire. Cela fait des regroupements plus massifs et plus forts. Il ne s'agit plus de dire que ce sont des Noirs qui manifestent (comme à l'époque du Pasteur Martin Luther King) mais bien pour tenter de réaliser le rêve de ce dernier, des milliers de Noirs et des milliers de Blancs qui se tiennent la main pour défendre une cause devenue commune et pour un monde meilleur.

Au Sénégal, le gouvernement avait fait le choix de restaurer la statue de Faidherbe, lorsqu’elle avait été endommagée en 2018. Les élites africaines sont-elles en phase avec la volonté de plus en plus grandissante de leurs peuples de s’affranchir de l’oppression impérialiste et du racisme ?

Pour la statue de Faidherbe, est-ce que la population de la belle ville de Saint-Louis a exprimé le souhait de se débarrasser de cette page de son histoire coloniale ? C'est une question nationale, soit, mais elle interpelle d'abord Ndar (Saint-Louis) et ses enfants. Il est vrai qu'il y a aussi beaucoup de rues, en France, qui portent le nom du Sénégal, mais je n'entends pas m'engager dans une comparaison qui ne saurait être raison. Si Faidherbe fâche, la municipalité de cette ville ainsi que les habitants n'ont qu’à prendre la décision et les mesures idoines. Je rappelle qu'à Dakar même, il y avait, il y a de cela quelques décennies, une grande opération de débaptisation des écoles et des rues qui s'est arrêtée quelque part. A nouveau, les Sénégalais sont libres de donner l'image qu'ils souhaitent d'eux-mêmes et la tolérance n'est pas nécessairement faiblesse ou infériorité.

Comment l’Afrique peut-elle tirer des leçons de cette histoire ?

L'Afrique devrait toujours apprendre de son histoire et se convaincre qu'elle est la seule à pouvoir faire son développement, et dans tous les secteurs. Il lui faut occuper de force une place de premier rang et de premier plan sur l'échiquier mondial, pour défendre ses enfants sur le continent et dans la diaspora. En même temps, l'Afrique devrait aussi accepter de jeter un coup d'œil à la fois honnête et introspectif sur elle-même, pour voir véritablement ses propres tares. L'écrivain africain-américain James Baldwin a dit : "Nothing can be changed until it is faced" ou, en français : pour régler les problèmes, il faut d'abord reconnaitre qu'ils existent réellement. Il y a des inégalités ethniques, économiques, politiques en Afrique. Il faut savoir remettre en cause traditions et passé pour tirer la cause humaine vers le haut et restaurer pour tous les citoyens et toutes les citoyennes de tous les pays du monde, et de l'Afrique en particulier, la dignité qu'exige leur humanité.

Lamine Diouf

 

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