‘’Pour régler la crise en Casamance, il faut de l’endurance et de l’honnêteté’’
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Ancien militaire et victime de guerre, Abdoulaye Fall dit ‘’Mao’’ a découvert la Casamance trois ans après l’éclatement du conflit qui le mine depuis plus de trois décennies. Il y a combattu et fait le tour des 86 communautés rurales de l’époque. Dans cet entretien, l’ex-militaire donne son point de vue sur la reprise des hostilités entre les combattants du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC) et l’armée, et livre les contours pour la restauration d’une paix durable dans cette partie du pays.
En moins d’une semaine, l’armée a perdu deux de ses éléments, entre les localités de Diagnon et Mbissine, dans le département de Ziguinchor. Ce mardi, les ‘’Jambaars’’ ont pilonné des positions rebelles dans la commune d’Adéane. Est-ce qu’on assiste, selon vous, à une reprise des hostilités ?
Moi, je suis un ancien militaire qui s’est beaucoup impliqué, comme tant d’autres, pour le retour à une paix en Casamance. Je sais faire la différence entre la sécurité et la paix. La sécurité, c’est quand on est dans une zone où il n’y a aucun danger. Mais on constate qu’il y a des craintes au sud du pays... Depuis 1982 ou bien avant même, il y avait des signaux. Mais l’État du Sénégal, avec son président de l’époque, n’a pas été attentif et cela a conduit à la rébellion. Ce que l’État faisait pour la Casamance était trop minime.
Aujourd’hui, on note encore le retour des hostilités. Par contre, nous n’assistons pas à une situation de guerre, même si ce qui s’est passé dans la commune d’Adéane, avec la mort des deux militaires, est un cas motivé. Il est vrai que le véhicule de l’armée a sauté sur une mine, mais cet accident n’est pas un hasard.
Mais c’est quand même un accident !
Je dis que ce n’est pas un hasard. Parce que les rebelles sont installés dans cette zone et refusent qu’une personne étrangère y pénètre. Le MFDC a une zone à maîtriser. C’est cette zone à maîtriser où les combattants ne permettent à personne d’y entrer. D’abord, l’État a opté pour le déminage de cette zone ; ils ont refusé. On ne sait vraiment pas ce qu’ils font là-bas. Je refuse d’admettre qu’ils revendiquent toujours l’indépendance, parce que tout ça, c’est fini depuis très longtemps. Les rebelles ont tout simplement un manque de considération vis-à-vis de la République. La rébellion est presque finie. C’est ça la vérité.
En revanche, les séquelles de ce conflit sont plus dangereuses que la rébellion. Maintenant, il appartient au président de la République, qui a fait des actes louables en nommant beaucoup de ‘’Casaçais’’ à des postes de responsabilité, de travailler et d’accélérer les choses pour cette paix tant recherchée en Casamance. Tout ce qui a été fait pour la résolution de ce conflit n’a pas du tout était sincère. Le MFDC n’a pas été sincère et l’autre partie ne l’a pas été, non plus. Le MFDC et l’État du Sénégal adoptaient plutôt la formule de la volte-face.
Le MFDC est commandé au minimum par 12 personnes, et chaque commandant de zone est responsable de son domaine et territoire. Si je prends l’exemple de Salif Sadio, il faut savoir qu’il est dépassé. Il ne peut plus régler à lui seul ce problème. L’Etat doit aller vers les 12 commandants et parler rigoureusement avec eux. Et dans cette phase de négociations, l’Etat du Sénégal ne doit pas demander l’impossible et ne doit pas accepter aussi l’impossible. Pour régler la crise en Casamance, il faut de l’endurance et de l’honnêteté. Si les deux parties ne le font pas, il y aura toujours un statu quo avec des conséquences dramatiques.
Avant la mort d’Abdou Elinkine Diatta en octobre 2019, il régnait une certaine accalmie en Casamance depuis un long moment. Qu’est-ce qui a précipité le retour de ces combats ?
Que Dieu ait pitié de lui ! Mais voilà quelqu’un qui, de son vivant, a travaillé d’arrache-pied pour une paix définitive en Casamance. Abdou Elinkine Diatta était un grand artisan de la paix. Ce n’est pas le cas pour les autres. L’État du Sénégal devait aller vers lui et le protéger. Maintenant qu’il est parti, il faut que l’État travaille avec son dauphin, mais aussi avec les 11 autres commandants de zone. Même Salif Sadio qui est en déclin. Abdou Elinkine Diatta a fait ce qu’il avait à faire. Malheureusement, il est parti. Les autres doivent suivre ses pas pour le bien de la Casamance. Le chemin qui doit conduire à la paix est encore trop long. Mais tous les citoyens de ce pays doivent s’impliquer pour la paix définitive dans cette partie du pays.
On pensait en avoir fini avec le déminage au sud du pays. Pourquoi les zones ciblées n’ont pu être déminées jusque-là, pour permettre aux populations déplacées de regagner leurs villages ?
Dans ces zones, c’est le MFDC qui refuse le déminage. C’est la raison pour laquelle l’armée, qui défend l’intégrité du territoire, s’y rend et y travaille pour accompagner le retour des populations. L’État a donné l’ordre de déminer ces zones et les rebelles posent leur véto. L’armée n’a pas le droit de croiser les bras. Les mines qui ont déjà fait près de 1 000 victimes en Casamance, doivent être enlevées. Quatre-vingt-cinq pour cent de ces victimes sont des jeunes de moins de 30 ans. Si on a tous ces gens invalides dans une zone, c’est grave pour un pays qui doit se développer. Donc, on ne peut pas avoir la paix et laisser les armes dans les maisons. Il faut que l’armée prenne ses responsabilités.
Ailleurs en Afrique, en 2004, les autorités étatiques avaient réussi un retour à la normale dans un des pays de l’UEMOA. Qu’est-ce qu’il faut faire pour amener les combattants indépendantistes de la Casamance à rendre aussi les armes ?
Quand on se limite au contexte et à la justification, les deux événements ne sont pas pareils. Il y a une grande différence. Dans ce pays, c’était plutôt un problème d’ordre politique. Là-bas, c’était un manager très intelligent qui perturbait la République. Par contre, au Sénégal, il y avait un manque de respect de l’État central pour le peuple du Gabou, sous le régime du président-poète Léopold Sédar Senghor. Feu abbé Augustin Diamacoune Senghor voulait que la Casamance ait son indépendance ou un statut spécial, ce qui n’est pas de l’intérêt de nous tous. Parce que le Sénégal ne cherche pas à diminuer son territoire. Voilà la situation.
Elle est différente de celle qu’a connue ce pays membre de l’Union économique et monétaire ouest-africaine dans les années 2000. Si j’avais été le président Senghor, il n’y aurait pas eu la guerre. Mais il avait laissé l’injustice prendre le dessus. Voilà pourquoi cette crise perdure avec ses conséquences et ses morts. Rien n’est encore trop tard. Il faut que le président de la République ouvre les négociations en impliquant tous les groupes sociaux (chefs de quartier, notables, chefs de village, anciens enseignants, les militaires à la retraite, les rebelles, etc.). Il ne s’agit pas d’être politique pour croire pouvoir régler ce problème.
Mais il y a déjà Robert Sagna et toute son équipe qui travaillent à un retour définitif de la paix en Casamance…
Je n’ai rien contre lui. Mais un monsieur comme Robert Sagna a fini de montrer ses limites. Il a fait 40 ans avec le régime socialiste. Robert Sagna, c’est 25 ans de député-maire de la commune de Ziguinchor et 20 ans de ministre. Aujourd’hui, il ne peut rien régler. Il peut donner des conseils. Il y a 35 acteurs qui tentent, sans succès, de régler ce conflit. En tant qu’autorité, il pouvait poser des actes concrets pouvant aboutir à la résolution de cette crise qui n’a que trop duré. S’il ne l’a pas fait, il y a quarante ans de cela, ce n’est pas aujourd’hui qu’il pourrait le faire.
Ce mardi, après le décès des militaires, le maire de Ziguinchor et ancien ministre des Forces armées, Abdoulaye Baldé, a fustigé le fait qu’il ait beaucoup d’acteurs qui disent œuvrer pour une paix durable en Casamance. Pour lui, cela crée une sorte de cacophonie dans la résolution de cette crise. Partagez-vous son avis ?
Lui-même est où ? Qu’est-ce qu’il fait ou qu’est-ce qu’il a fait ? Baldé est un commissaire de police, un ancien ministre des Forces armées, bref un cadre de la Casamance. Je lui concède ce qu’il a dit. Il y a moins de deux semaines, il parlait du coronavirus, alors que la crise est plus dangereuse que cette maladie. Il a failli lui aussi à sa mission.
La pandémie de la Covid-19 est une problématique mondiale…
Je ne dis pas le contraire ! Mais il est maire de Ziguinchor depuis 2009, député depuis 2014 et ça fait des années qu’il travaille avec le président Macky Sall. Il est comme les autres. Il sait comment s’y prendre pour résoudre ce conflit et ne l’a pas fait. C’est un commissaire de police. Il sait par où passer pour rétablir la paix. Je crois que Macky Sall a tout fait, en confiant des postes de responsabilité à des cadres de la région du Sud. Une personne comme le ministre d’État Benoît Sambou peut régler ce problème. En plus de ce dernier, il y a Pierre Goudiaby Atépa, un intellectuel hors-pair.
Il y a Ousmane Sonko, Bécaye Diop, ancien Ministre des Forces armées, Youba Sambou, ancien Ministre des Forces armées, Innocence Ntap Ndiaye, Présidente du Haut conseil du dialogue social, l’ancien gouverneur Sambou, etc. Ils doivent s’impliquer à tout prix pour restaurer la paix dans cette partie du pays. Il y a beaucoup d’autorités en Casamance. Politiques, professeurs, acteurs de la société civile et militaires. Si l’État ne veut pas dialoguer, il faut qu’ils le lui imposent. Il appartient aussi à toutes ces autorités d’aller voir les commandants du MFDC, d’ouvrir des négociations sincères et d’accepter de dire la vérité au président Macky Sall, en lui faisant comprendre qu’ils veulent que la guerre cesse. Malheureusement, il y en a qui sont là pour chercher le gain.
En 2000, lors de la première alternance, l’ancien président Abdoulaye Wade avait promis qu’il allait régler cette question en 100 jours. Qu’est-ce qui a subitement freiné sa volonté ?
C’est son choix. Il avait choisi de travailler avec les médiocres et il a échoué. C’est tout. On ne peut choisir les médiocres pour régler ce conflit. Il avait posé des actes louables. Mais, au final, il a lamentablement échoué.
Avec le président Macky Sall, on a noté une longue durée d’accalmie, si ce n’est cette situation de ni paix ni guerre que nous avons connue ces derniers jours…
Nous ne sommes pas dans une situation de ni paix ni guerre, en Casamance.
Nous sommes peut-être au juste milieu ?
Non ! Nulle part. D’abord, il faut avoir des repères. Robert Sagna peut être tout simplement un repère. Le cas de la Casamance, la route est encore très longue. Le sable est mou, le soleil est chaud. Je l’ai dit, il faut de l’endurance pour régler ce problème de la Casamance. C’est un problème très sérieux. Quand j’ai entendu un des porte-parole des rebelles dire : ‘’Monsieur le Président de la République du Sénégal…’’, je me suis dit qu’il s’était auto-exclu, ce qui n’est pas normal. Voilà le danger. Nous sommes dans une même nation. Ce sont les Sénégalais qui règlent les problèmes dans les autres pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Et le nôtre, on ne peut pas le régler. Justement, parce qu’il y a tout un business à défendre. Les gens sont là-bas parce qu’on leur donne des moyens. Souvenez-vous qu’après la phrase ‘’Monsieur le Président de la République du Sénégal’’, il y a eu la tuerie de Boffa-Bayotte. Il faut que la République se réveille pour limiter les dégâts.
Baffa-Bayotte, en 2018, avec plus d’une dizaine de jeunes qui ont été tués ; et en 2020, nous sommes à Diagnon avec des militaires qui trouvent la mort. Ça fait beaucoup, quand même.
C’est trop ! Et il faut que ça s’arrête. Il y a deux temps et deux périodes assimilés aux attaques des rebelles. Il y a la période pré-hivernale (braquer pour avoir de quoi se nourrir) et le mois de décembre jusqu’au 5 janvier, c’est pour célébrer leur anniversaire. Je pense que la négociation doit être continue.
Pourquoi avez-vous démissionné de l’armée ?
Ma démission est motivée. Je suis un invalide. Pendant 9 ans, j’étais maintenu. On continuait à me payer à ne rien faire. A un moment, j’ai dit non et quitté l’armée. Je ne pouvais plus faire de stage et continuer à être soldat dans l’armée, parce que j’avais des ambitions.
GAUSTIN DIATTA (THIES)