Publié le 14 Mar 2021 - 03:46
PANDEMIE ET ENDETTEMENT INSOUTENALE DE L’AFRIQUE

La dette de la peur

 

L’heure est venue pour l’Afrique, d’avoir un mécanisme africain de stabilisation de la dette permettant aux pays du continent de mutualiser leurs fonds, d’éviter les débordements, selon le Président de la Banque africaine de développement (Bad). Dr Akinwumi A. Adesina, qui intervenait, hier, lors du lancement du rapport sur les Perspectives économiques en Afrique 2021. Cette dette inquiète tous les acteurs de la finance africaine.

 

Le montant de la dette africaine est devenu ‘’insoutenable’’, d’après le Président de la Banque africaine de développement (Bad). Il a atteint 70 à 75% du Produit intérieur brut (Pib) africain. ‘’Il faut également parler de la structure de cette dette, de la dette envers les institutions commerciales, de tous ces créanciers privés qui ne peuvent pas revendre des titres de dettes. C’est très inquiétant. (…) On ne peut pas aller plus vite, à moins d’alléger la dette. A chaque fois qu’il y a un nouveau défi pour l’Afrique, nous n’avançons pas. L’heure est venue d’avoir un mécanisme africain de stabilisation de la dette permettant aux pays africains de mutualiser leurs fonds, d’éviter les débordements. Et cela, sera encore plus important avec la Zone de libre-échange continental africain (Zlecaf). Pour que nous puissions éviter qu’il y ait un effondrement dans l’avenir, il est important d’avoir ce mécanisme africain de stabilisation pour compléter les efforts’’, soutient Dr Akinwumi A. Adesina, qui intervenait hier, lors du lancement du rapport sur les Perspectives économiques en Afrique 2021.

Le patron de la Bad estime que l’initiative du G20 pour une suspension de la dette est un cadre ‘’intéressant’’. En plus, les banques multilatérales de développement, le Fonds monétaire international (Fmi), la Banque mondiale, également, ont fait pression sur le G20. Ce qui permettrait, d’après lui, de reporter les remboursements. Mais, les obligations ne disparaissent pas. ‘’Il faudrait proroger au-delà de juin, à 2 ou 3 ans les délais de paiement. Parce que nous n’allons pas nous en sortir, avant deux à trois ans. Nous parlons de problèmes structurels. Le G20, dans son initiative, comme pour le Cadre conjoint de gestion de la dette, voudrait intégrer la dette commerciale. Mais, cela ne va pas apporter une solution stable. On a la Chine, d’autres créanciers officiels. Une grande partie de la dette africaine est chinoise. C’est certes positif de rassembler tout cela, mais, le défi, c’est les agences de notation qui vont nous rétrograder. Dans ce type de situations, il n’y a pas de motivation à avoir cette suspension de la dette. Ce qui me donne espoir, c’est l’initiative du Fmi. Cela va permettre de stabiliser les réserves de devises des pays, pour stabiliser le change et permettre aux pays d’aller plus loin’’, relève M. Adesina.

Arriver à un système de gestion de la dette à l’international

Pour l’économiste américain et professeur à l'université de Columbia, Pr Joseph E. Stiglitz, il faut arriver à un système de gestion de la dette au niveau international. Car, il souligne que tout pays a une loi sur les faillites, mais, il n’y a pas de loi sur la faillite de la dette internationale entre les pays. ‘’Donc, il n’y a pas de moyens de gérer de manière systématique cette dette. Lorsqu’il y a trop de dette, c’est un problème pour les créanciers, mais également, pour ceux qui se sont endettés. On parle toujours de celui qui est endetté, mais le créancier doit être l’expert en gestion des risques. L’endetté a besoin d’argent et le créancier fournit l’argent en comprenant pourquoi, il faut donner cet argent. Nous avions recommandé la création d’un cadre pour y arriver. Et l’Assemblée générale des Nations unies, en 2014, avait accepté l’idée’’, note-t-il.

En 2015, rappelle l’économiste américain, la majorité de l’Assemblée générale avait accepté une série de principes pour guider la restructuration de la dette. Malheureusement, 6 pays qui étaient de grands créanciers, avaient refusé ces principes. ‘’Et voilà, 5 ou 6 ans après qu’il n’existe toujours pas de mécanisme international de gestion de la dette mondiale. C’est pourquoi, c’est une inquiétude. Au printemps de 2020, on ne savait pas quelle serait la durée de la pandémie. Les Etats Unis pensaient que tout serait résolu au mois de juin. Mais, cela fait déjà une année. Personne ne comprenait réellement quelle était la profondeur de cette pandémie. On se disait que si c’était quelques mois, alors, un moratoire de la dette suffirait. Mais, nous avons désormais, une année et les dégâts économiques ont été importants. Alors, un moratoire de la dette ne suffirait pas. Il faudrait une restructuration de la dette. Tout cela devrait être une priorité internationale de sortir du moratoire et de passer à une restructuration de la dette’’, renchérit-il.

Le deuxième problème, signale le Pr Stiglitz, c’est qu’avec le moratoire de la dette, au début, ils parlaient de créanciers officiels, avec des gouvernements qui prêtent aux autres gouvernements. Or, le Secteur privé détient une grande partie de la dette. D’après lui, un moratoire des gouvernements ‘’ne suffira pas’’. ‘’Il faudra un moratoire plus généralisé. Les gouvernements ne voudraient pas avoir une restructuration, un moratoire et que l’argent puisse aller dans les poches du Secteur privé. Notre objectif étant d’aider les pays en développement, d’aider l’Afrique et de ne pas aider les banques privées. Donc, nous parlons d’une généralisation du moratoire. Malheureusement, le Secteur privé n’a pas bien coopéré. Il n’a pas rejoint l’initiative de stabilité de la dette d’une manière plus efficace. Ils étaient tellement récalcitrants sur la dette d’Amérique latine’’, déplore-t-il.

C’est pourquoi, l’économiste américain note que certains d’entre eux exhortent les gouvernements des pays créanciers de prendre des mesures pour aider le Secteur privé à regarder la réalité en face. ‘’Si des évènements imprévus arrivent, il faut restructurer les contrats. On ne peut pas forcer les gens à appliquer des contrats dans lesquels, il y a aucune notion concevable d’une pandémie qui pourrait arriver’’, poursuit le Pr Joseph E. Stiglitz.

Les Droits de tirages spéciaux, la solution pour l’Afrique

Face aux risques de surendettement des pays africains, l’économiste américain a, par ailleurs, soutenu que les Droits de tirages spéciaux (Dts) peuvent être une alternative. ‘’Il y a des réserves importantes de Droits de tirages spéciaux, plus de 500 milliards de la Banque mondiale, qui seront très importants pour aider les pays africains à avoir l’espace budgétaire dont ils ont besoin pour relancer leurs économies. C’est absolument essentiel. Cet argent devrait être utilisé pour rembourser la dette, qui doit être restructurée. Ce qu’il faut faire avec la dette, c’est une restructuration complète, profonde et rapide’’, indique le Pr Joseph E Stiglitz. 

L’autre initiative qui est importante, d’après lui, concernant les Dts et le Fmi y travaille actuellement, c’est les 650 milliards à attribuer aux pays en fonction de leurs quotas au Fmi. ‘’Malheureusement, une très grande proportion va aux pays comme les Etats-Unis qui n’ont pas besoin de cet argent. Le Fmi travaille sur un fonds fiduciaire qui va recycler certains de ces Dts, sur une autre formule pour les reverser aux pays qui en ont largement besoin, comme ceux de l’Afrique. J’espère que les pays africains participeront à l’élaboration de cette formule pour qu’ils puissent obtenir l’espace budgétaire dont ils auront besoin pour relancer leurs économies. Lorsque les pays se mettent ensemble, ils obtiennent des ressources à des taux plus faibles, lorsqu’ils agissent séparément. Cela fait partie des principes des banques multilatérales. Il y a une incitation réelle, un intérêt commun à ce que les pays se mettent ensemble pour essayer de créer un mécanisme de facilitation de telle sorte que si un pays se trouvait dans l’impasse, les autres pays pourraient l’aider’’, suggère le Professeur de l’université de Columbia.

‘’Le coût d’inaction sera important et beaucoup plus coûteux’’

Présentant les points clés du rapport, l’économiste en chef de la Bad a informé que la croissance globale estimée, en 2020, par la Bad est ‘’révisée à la baisse’’. Cependant, la révision pour 2021 semble être ‘’beaucoup plus optimiste’’. ‘’Mais, c’est un effet mécanique à cause d’effets de base. Cette nouvelle normalité de la croissance place la question du surendettement à l’avant du débat sur la politique. L’année dernière, le défaut souverain de la Zambie a fait planer une ombre sur d’autres dettes. Cette année, si nous nous retrouvons dans un scénario de croissance très faible pendant un certain temps, la viabilité de la dette deviendra une question imminente. Le coût d’inaction sera important et beaucoup plus coûteux que si la situation est prise en main très tôt. Si nous laissons le marché des capitaux dans ces situations anormales, l’allocation et les flux de capitaux seront chaotiques’’, rapporte Dr Rabah Arezki.

Pour éviter de perdre une décennie pour le continent, l’économiste de la Banque africaine pense qu’il est ‘’important’’ d’aider les pays à éviter une résolution de la ‘’dette désordonnée’’, de maintenir leur accès au marché des capitaux, pour financer les besoins de développement et relancer la croissance. ‘’Il faut plus de mobilisation des fonds, de l’épargne, de l’investissement, en réparant le système financier. Du côté des dépenses, lutter contre la corruption et réduire la fuite des capitaux permettront d’ancrer le cadre fiscal, budgétaire sur le moyen terme et éviter la détérioration de la balance des paiements. Ces mesures permettront de créer un espace budgétaire sur le long temps et aideront à relancer la croissance sur le moyen terme. La focalisation de la gouvernance au niveau régional permettra de rééquilibrer les facteurs de la croissance’’, soutient M. Arezki.

Dans le rapport, Dr Akinwumi A. Adesina a signalé qu’il est indiqué que l’aide publique au développement, notamment l’aide bilatérale, est en baisse. En 2000, on parlait de 54% de la dette africaine et celle-ci a baissé de plus de 20%. Les pays se présentent sur les marchés financiers et paient jusqu’à 17% de taux d’intérêts. Ce qui le Président la Bad considère comme ‘’un grand défi’’.

Vers la création d’un système de défense sanitaire en Afrique

Aujourd’hui, pour anticiper sur certaines catastrophes, M. Adesina a annoncé que leur banque va créer ce qu’ils considèrent comme un système de défense sanitaire, pour éviter d’autres problèmes. ‘’Et ce qui s’est passé pour l’Afrique avec les vaccins n’a pas de sens. En Afrique, nous n’avons de 14,6 millions de doses livrées, je ne dis pas commandées et 20 pays ont obtenu leurs doses et 10 de ces pays l’ont obtenu avec la convention Covax et d’autres, grâce à des dons pour la population africaine. Et, cela est très loin, c’est 70% pour atteindre l’immunité collective. Nous devons aller au-delà pour vacciner tout le monde. Donc, la question des vaccins est très importante et nous devons veiller à leur disponibilité’’, prône-t-il.

Au-delà, à long et moyen terme, le patron de la Bad trouve que le continent doit produire et développer sa propre industrie pharmaceutique. ‘’A la Bad, nous avons décidé que, désormais, nous allons aider l’Afrique à développer, renforcer l’industrie pharmaceutique et sa capacité pour produire ses propres vaccins. Au Sénégal, en Afrique du Sud et au Nigéria, il y a déjà des discussions. En Tunisie, Egypte et Maroc, les nord-africains sont très bons dans ce secteur. Donc, nous devons veiller à y parvenir. Nous devons être mieux industrialisés pour ne plus dépendre de l’extérieur. Cette croissance doit être inclusive pour les jeunes, mais aussi, pour les femmes’’, fait-il savoir.

Pour ce qui est de la résilience climatique, il relève qu’en tant que banque, ils travaillent pour atteindre 25 milliards de dollars de financement d’ici 2025. ‘’Nous devons nous adapter au climat, à la sécheresse. Mais, nous devons aussi penser à la résilience, en termes d’investissement. Cela signifie d’être sévère avec la fuite des capitaux et on nous demande de fournir au Secteur privé des financements. Ce ne sont pas les ressources qui coûtent chères, mais l’absence de bonne gouvernance des ressources qui pose problème. Donc, nous devons aider les pays à bien gérer les ressources’’, dit-il.

MARIAMA DIEME

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