Le Sénégal, un mauvais élève !
Malgré un premier report en 2020, le Sénégal peine toujours à passer à l’acte, en matière de déconcentration de l’ordonnancement des budgets des ministères. Entre défauts de volonté et incohérences techniques, de hauts fonctionnaires des régies financières ruent dans les brancards et dénoncent une volonté du ministère des Finances de conserver ses prérogatives.
C’est un basculement poussif. Après plusieurs départs manqués, le Sénégal espérait, enfin, une mise en œuvre effective et diligente du budget programme en 2021, dans toutes ses facettes. Hélas !
Il y a certes une volonté de démarrage, mais elle est encore très timide par rapport aux attentes. Selon ce responsable dans les régies financières, le Sénégal, qui avait l’habitude de donner l’exemple, fait partie des mauvais élèves dans la mise en œuvre de cette directive de l’Union économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (UEMOA). Notre interlocuteur est convaincu que cette mise en œuvre est en réalité retardée par le ministère des Finances, qui craindrait la perte d’une partie de son contrôle sur les ministères.
Il explique : ‘’Avant la réforme, les ordonnateurs dépendaient du ministère des Finances. Avec la réforme, chaque ministère aura son propre ordonnateur. Voilà pourquoi les gens ne sont pas pressés, malgré toute la rhétorique.’’
Naturellement, ce point de vue est loin d’être partagé au niveau de la tutelle. Chez Abdoulaye Daouda Diallo, on semble plutôt prôner la prudence, pour justifier un démarrage jugé timide ou inexistant. ‘’Il faut savoir, précise ce responsable à l’Administration des finances, que nous sommes dans une phase pilote. L’Etat a voulu démarrer, avec une dizaine de ministères et quelques institutions, la déconcentration de l’ordonnancement’’.
Il ressort du décret 2020-2423 du 31 décembre 2020, que 10 ministères et 7 institutions sont ciblés, dans le cadre de cette phase pilote de mise en œuvre du budget programme. Au titre des institutions, il y a la présidence de la République, l’Assemblée nationale, le Conseil économique, social et environnemental, le Conseil constitutionnel, la Cour suprême, la Cour des comptes et le Haut conseil des collectivités territoriales. Pour ce qui est des ministères, il y a les Affaires étrangères, celui de la Microfinance, le ministère de l’Economie numérique et des Télécommunications, le ministère de l’Economie, le ministère des Forces armées, celui des Mines et de la Géologie, le ministère du Développement industriel, le ministère du Travail, le ministère de la Fonction publique et enfin celui de l’Artisanat.
Mais, à en croire le responsable dans les régies financières, il suffit de voir les ministères concernés par la première phase pour se convaincre de la volonté du ministère des Finances de conserver ses plates-bandes. ‘’Le choix des ministères ne ment pas. On a choisi des ministères de moindre envergure, comme celui en charge de l’Economie numérique et des Télécommunications… A la limite, les départements les plus importants concernés, sont le ministère des Affaires étrangères et celui de l’Economie, du Plan et de la Coopération. Et du point de vue de l’enveloppe financière, c’est loin d’être parmi les ministères les plus importants’’. Encore que, souligne-t-il, l’Etat peine à créer certains services sans lesquels la mise en œuvre serait hypothétique.
Déjà en 2019, le Sénégal avait lancé, en grande pompe, le budget programme. L’Assemblée nationale ayant adopté la loi de finances 2020 selon la réforme d’initiative communautaire. Mais après plusieurs tergiversations, le gouvernement avait finalement décrété le report pour 2021 de la mise en œuvre véritable du budget programme. Un an plus tard, la mayonnaise ne tourne toujours pas. Les progrès étant encore jugés très timides. ‘’A ce rythme, nous risquons d’être un très mauvais élève de l’UEMOA. Le plus révoltant est que nous avions l’habitude d’être à l’avant-garde. Les autres venaient s’inspirer de l’exemple sénégalais. Mais là, on a l’impression que tout tourne à l’envers’’, souligne un de nos interlocuteurs.
Pourtant, relève-t-il, le Trésor avait déjà effectué la formation de son personnel, en vue du basculement total en comptabilité patrimoniale. Mais selon lui, rien n’a été fait depuis lors pour la nomination des comptables, en vue d’un démarrage effectif. ‘’L’arrêté portant organisation du Trésor, le décret portant organisation du ministère, tout devait être revu, mais on est resté au point de départ’’, a-t-il signalé.
Pour toutes ces considérations et pour tant d’autres, le moral n’est plus au beau fixe au niveau des régies financières. Tout est suspendu, regrettent certains agents. Pour reporter la déconcentration de l’ordonnancement, en 2020, les services d’Abdoulaye Daouda Diallo avaient accusé la pandémie de Covid-19 survenue en mars ; soit trois mois après le démarrage de l’année budgétaire. ‘’A titre transitoire, disposait en effet l’article 71 du décret 2020-1006, aux fins de permettre, à l’issue de la période d'urgence nationale, l’achèvement du processus de mutation organisationnelle et de transfert de compétences entre les différents acteurs concernés par la déconcentration de l’ordonnancement, il est fait recours, dans le cadre de la gestion 2020, aux procédures d'exécution budgétaire en vigueur lors de la gestion 2019’’. On espérait alors que 2021 serait enfin la bonne.
Mais aujourd’hui encore, les choses marchent très lentement.
Ainsi, après avoir chanté sur tous les toits la mise en œuvre du budget-programme depuis 2020, avec la déconcentration de l’ordonnancement, l’Etat du Sénégal peine toujours à faire tourner la machine en plein régime. Certaines ‘’incohérences et insuffisances relevées’’ dans le rapport de présentation du décret de report en 2020 demeurent toujours et les corrections promises tardent à voir le jour. A l’époque, le président de la Commission des finances à l’Assemblée nationale, Seydou Diouf, expliquait : ‘’En fait, ce qui a été reporté, c’est plutôt la déconcentration de l’ordonnancement. Elle a été différée, parce qu’il va y avoir de nouveaux acteurs qui interviennent. A cause de la pandémie, le gouvernement avait dit : on exécute le budget sous format programme. Mais pour ce qui concerne l’ordonnancement des dépenses, on maintient le dispositif antérieur.’’
Sur l’accusation selon laquelle le gouvernement aurait mis la charrue avant les bœufs, il rétorquait : ‘’Les gens peuvent le dire. L’idéal aurait certes été que tout soit mis en place, que tous ces acteurs soient nommés avant qu’on aille vers la loi de finances, mais il faut savoir qu’une réforme se met en place au fur et à mesure. Si on attend que toutes les conditions soient réunies, on ne va jamais démarrer. Or, les pays de l’UEMOA sont déjà trop en retard.’’
Prévue en 2017, puis en 2020, ce report constitue le nième renvoi dans la mise en œuvre des nouvelles dispositions basées sur des directives de l’UEMOA datant de 2009 et transposées dans l’ordre juridique interne depuis 2011.
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GESTION RESSOURCES HUMAINES
Un malaise profond au Trésor
Dans les régies financières, le mal semble bien plus profond. Certains s’étonnent du statu quo qui règne depuis quelque temps, alors que beaucoup s’attendent à des mouvements.
La grogne gagne de plus en plus de l’ampleur au niveau des régies financières. En plus de la nomination des comptables ministériels, les agents attendent aussi avec impatience des mouvements au niveau des chancelleries.
Selon certains agents, la nomination des premiers est bloquée pour des considérations personnelles. ‘’Les comptables ministériels devaient être nommés au Trésor. Mais cette réforme est également retardée pour des considérations personnelles. Le payeur général du Trésor et l’agent comptable des grands projets se trouveraient diminués en termes de nombre de ministères à gérer. C’est la raison pour laquelle ils trainent’’.
En ce qui concerne les nominations au niveau des chancelleries, ils estiment que certains agents ont fait leur durée légale au poste qu’ils occupent (5 ans). Parmi eux, il y a les payeurs de Berlin, d’Ankara, de La Hayes, pour ne citer que ceux-là. ‘’Depuis plus d’un an, les gens attendent des mouvements, mais rien. Nous assistons à une violation flagrante des textes’’, déplore un agent du Trésor qui invoque le décret 2002-221 du 17 janvier 2002 fixant la durée d’affectation des agents de l’Etat à l’étranger. En son article 1er, ce texte dispose : ‘’La durée de séjour des agents affectés dans les ambassades, consulats et autres représentations sénégalaises à l’extérieur, est fixée à cinq ans au maximum, sans exception.’’
Aux termes de l’article 2 alinéa 1er, après un séjour de cinq ans, les agents doivent obligatoirement être rappelés au Sénégal pour y recevoir une affectation. ‘’Ils ne pourront prétendre à une nouvelle affectation à l’extérieur qu’au terme d’un séjour minimum de deux ans à l’Administration centrale’’, prévoit l’alinéa 2. Ce cadre des régies financières souligne : ‘’Ceux qui doivent être remplacés ont terminé leur durée réglementaire de séjour. Ce sont ces anomalies qui sont de nature à décourager les personnels.’’
Par ailleurs, signale-t-il, il y a le cas des agents qui ont été nommés depuis le 20 janvier dernier, mais qui peinent à regagner leur poste pour différentes raisons. Certains n’ont même pas encore vu leurs remplaçants nommés par les autorités.
MOR AMAR