‘’La fédération africaine, une urgence cruciale’’
Dans le cadre des débats organisés par le Collectif pour le renouveau africain (Cora), d’éminents intellectuels africains ont défendu l’urgence, pour le continent, d’aller vers un Etat fédéral pour exister dans un monde de plus en plus compétitif.
‘’Où en est le panafricanisme aujourd’hui ?’’. Telle est la question posée, hier, dans le cadre de la série de débats organisée par le Collectif pour le renouveau africain (Cora). Pour en discuter, il y avait d’éminents intellectuels du continent, dont le Congolais, ‘’disciple’’ de Cheikh Anta Diop, Théophile Obenga.
Selon ce dernier, la seule voie pour l’Afrique de trouver le salut est dans le fédéralisme. Sur un ton ferme, l’Egyptologue peste : ‘’On a perdu trop de temps. Il faut savoir que tant qu’il n’y a pas d’Etat fédéral, on sera encore plus esclave. Je ne sais pas pourquoi les gens ont si peur d’aller dans cette dynamique ! Prenons exemple sur les Chinois ; ils y ont cru et sont devenus forts. Aujourd’hui, c’est un grand Etat que tout le monde respecte et écoute… L’Afrique peut être aussi forte et respectée, mais à condition d’adopter la fédération. C’est une urgence cruciale.’’
Hier, le Cora a incité à revisiter l’œuvre des ‘’pères fondateurs’’ qui ont tout fait pour que l’Afrique puisse parler d’une seule et même voix. Mais le constat reste le même, selon les différents intervenants. Soixante ans après les indépendances, le continent n’est toujours pas sorti du sillon tracé par la Conférence de Berlin à la fin du XIXe siècle. Et pour ne rien arranger, le sentiment panafricaniste se dissipe au fil des années. ‘’L’idée fédéraliste d’un continent politiquement uni semble être particulièrement mal-en-point, tandis que les différentes initiatives d’intégration économique ont péché par leur timidité et ont échoué jusque-là à réduire significativement les dépendances du continent africain d’ordre militaire, diplomatique, technologique, économique, financier…’’, note le Cora dans le document conceptuel.
Dans le même sillage, les panélistes ont été invités à répondre à plusieurs questions, à savoir : comment faire pour remettre cet agenda panafricaniste au centre des priorités politiques des gouvernements et des combats des peuples africains ?
Pour le Pr. Obenga, la réponse à toutes les questions passe nécessairement par se départir du lien ombilical avec l’Occident. Il clame haut et fort : ‘’Il faut se défaire de la colonisation. L'Occident ne va jamais venir développer nos pays. Ils n’y ont pas intérêt et ne veulent point que l’Afrique se développe. D’ailleurs, personne ne viendra développer nos pays à notre place. Il faut oublier nos peurs et aller de l’avant. Nous n’avons pas le choix.’’
Selon l’historien, le travail doit commencer par se donner les moyens d’être indépendant. Il est ‘’inacceptable’’, estime-t-il, que l’Union africaine soit financée par son pendant européen. ‘’Il faut se donner les moyens d’être indépendant. Jamais Kwame Nkrumah n’aurait accepté ça. Malheureusement, ce sont des Africains qui trahissent souvent l’Afrique’’.
De l’avis de l’écrivain congolais, le continent a tout pour se développer. Il lui suffit juste d’y croire et d’être solidaire. Si l’Occident a pu en arriver à ce stade, c’est parce qu’ils ont eu à piller les ressources des pays africains, bénéficier du travail gratuit des Noirs. Et d’affirmer : ‘’Il n’y a aucun crime à vouloir se libérer. On n’est pas contre l'humanité. Mais il urge de bâtir un seul Etat qui va regrouper tous les autres. On n’a plus de temps à perdre. L’UA doit créer une commission de juristes, de sociologues, d'historiens, pour essayer de faire un projet d’un Etat fédéral africain.’’
Pour bâtir un Etat fédéral, il faudrait nécessairement des porteurs de l’esprit panafricaniste. Pour y parvenir, le meilleur moyen est l’éducation, selon les panélistes. ‘’Il faut éduquer nos jeunes pour avoir des gouvernants panafricanistes dans 10 ans’’, a souligné Amzat Boukari Yabara. Pour lui, il faut installer le panafricanisme au pouvoir pour relever le défi du fédéralisme. ‘’Il faut une politique de pression, aller vers des référendums, s’il le faut, pour demander aux peuples de se prononcer sur la souveraineté. La cause du panafricanisme ne peut triompher que si elle élargit son champ d’action et mobilise davantage de monde. Il faudrait aussi que ceux qui y croient puissent se mobiliser au sein des mouvements pour relever le défi’’.
Pour sa part, Lewis Gordon a axé son propos sur la nécessité de prendre en compte le contexte du XXIe siècle, pour travailler efficacement dans cette dynamique. Il explique : ‘’Il faut se demander quels sont les problèmes qui se posent à notre continent, à notre époque. Nous avons des technologies qui nous permettent de réduire l'espace. Nous parlons, aujourd’hui, de panafricanisme, dans une planète devenue très petite, où les distances sont considérablement réduites grâce aux technologies. Avant, ce n’était pas la même chose et je pense que cela pourrait faciliter davantage la tâche.’’ Selon lui, le modèle actuel enfonce les populations africaines dans une forme d’infantilisation qu’il faudrait corriger.
MOR AMAR