Publié le 11 Jun 2021 - 01:32
LOI DE FINANCES RECTIFICATIVE

L’Etat veut faire du fric à tout prix

 

En ces temps de morosité économique, tous les moyens semblent bons, pour le gouvernement, d’accroitre les recettes, pour faire face à ses dépenses galopantes et au service de la dette. Décryptage !

 

Déjà très approuvés par le coût de la vie, les consommateurs sénégalais vont continuer à subir le renchérissement de certains produits. Notamment, avec la taxe spéciale sur les bouillons alimentaires. Dans le cadre du projet de loi des finances adopté récemment en Conseil des ministres, sous le prétexte de vouloir décourager la consommation de ce produit qui serait nocif pour la santé des populations, il a été institué une taxe de 25 % sur ce produit de consommation de masse. L’objectif avec une telle taxe n’est autre que de mobiliser 25 milliards F CFA de recettes supplémentaires.

Suffisant pour faire monter au créneau les industriels du secteur. ‘’Depuis trois ans, fulminent-ils dans un communiqué publié dans ‘’EnQuête’’ du mardi 8 juin, les industriels observent avec une inquiétude croissante une surenchère de la fiscalité. La pandémie n’a malheureusement pas suspendu, ni freiné cette politique fiscale qui asphyxie l’entreprise industrielle sénégalaise… Nous prenons à témoin les consommateurs, les travailleurs, les partenaires techniques au développement sur les conséquences désastreuses de telles mesures en termes de hausse de prix sur le marché, de perte de compétitivité et d’attractivité et de pertes d’emplois’’.

En langage plus clair, explique l’économiste Ndongo Samba Sylla, deux à trois options s’offrent aux industriels, suite à cette hausse.  Soit ils vont le répercuter sur le prix pour la faire supporter aux consommateurs, soit ils vont essayer de maintenir leurs prix actuels pour espérer gagner des parts de marché. En outre, l’une des possibles conséquences de cette mesure, si l’on en croit les acteurs, c’est des pertes d’emplois dans ce secteur dynamique de l’industrie sénégalaise. Dans tous les cas, ce sont les Sénégalais qui risquent de sentir le plus cette nième hausse sur les produits de consommation massive.

C’est la conviction de Dr Meissa Babou, enseignant à la faculté des Sciences économiques et de gestion de l’Ucad. Il peste : ‘’Ces augmentations tous azimuts de prix prouvent, s’il en est encore besoin, que nous sommes sous un ajustement structurel qui n’a pas de visage humain. Le Sénégalais est agressé dans son vécu quotidien. Déjà, il y a les factures d’eau et d’électricité qui sont excessivement chers. Dernièrement, on parlait des prix de la viande, de l’huile, du riz… Avant, c’était le ciment, le fer et le carburant… Il faut tout simplement déduire de cette tendance une volonté de l’Etat de taxer tous les produits de consommation de masse, pour mobiliser des recettes.’’

Selon l’économiste, la seule différence avec les premiers ajustements structurels, c’est que l’actuel est exécuté de manière officieuse. Et d’ajouter : ‘’Ce que nous constatons, c’est surtout une agression sur les ménages qui supportent non seulement la TVA, mais aussi d’autres types de taxes intégrés sur le prix des biens et services.’’

En sus des ménages, il y a aussi les PME et PMI sénégalaises qui paient la note salée de cette propension de l’Etat à corser la fiscalité. Ce qui, selon nombre d’observateurs, ne rime pas avec l’objectif tant chanté de la transformation structurelle de l’économie. Meissa Babou : ‘’Cette politique fiscale doit étonner plus d’un. La plupart des grandes entreprises ne sont pas au taux de 30 % d’impôt sur les sociétés, mais à 15 %. Nous perdons ainsi une bonne partie de nos recettes et nous faisons surtout payer les PME-PMI. C’est une stratégie qui est plus favorable aux entreprises étrangères. Ce n’est pas une politique de développement. Laquelle aurait voulu que le citoyen soit au centre de toutes les décisions. C’est-à-dire, on doit prendre en charge correctement la demande sociale.’’

Contradiction

Par ailleurs, nos interlocuteurs relèvent un grand paradoxe dans la loi des finances rectificative. Ils trouvent contradictoire l’objectif de relance de l’économie et cette mise en œuvre de nouvelles taxes. Ndongo Samba Sylla explique : ‘’Quand on parle de relance, on baisse les impôts. Augmenter les impôts, dans un contexte de relance, c’est quand même paradoxal. Mais ce n’est pas surprenant. Quand le Sénégal contractait des prêts, l’année dernière auprès du FMI, il a été clairement dit que le pays doit retourner à l’orthodoxie budgétaire. Et qui dit orthodoxie budgétaire, dit limitation des déficits publics qu’il faut ramener en dessous du seuil de 3 % par rapport au PIB. Cela suppose une augmentation des impôts et une réduction de la croissance des dépenses publiques.’’

Embouchant la même trompette que son collègue Babou, Dr Ndongo Samba Sylla estime que les consommateurs seront malheureusement les principales victimes de cette politique. Sur la pression fiscale, il déclare : ‘’De manière générale, la fiscalité est assez dégressive. Ce sont les PME-PMI, les classes moyennes qui paient souvent ces impôts. Et quelques secteurs isolés comme les télécom. En revanche, les multinationales qui brassent d’énormes ressources ne sont pas assez imposées, sous le prétexte qu’il faut les attirer, leur faciliter les investissements.’’

Selon lui, si l’Etat veut favoriser l’essor des PME-PMI et du tissu industriel, il devrait essayer de revoir à la baisse la fiscalité.

Revenant sur les impacts, Meissa Babou estime que la politique fiscale affaiblit surtout les PME-PMI et renforce la pauvreté. ‘’Cela met en danger des entreprises déjà fragilisées par la pandémie et ses conséquences. C’est extrêmement grave de fiscaliser davantage ces entités en question. Du côté des consommateurs, cela va augmenter la pauvreté. Les classes moyennes sombrent dans des difficultés et risquent de retrouver la frange des populations les plus démunies’’.

Sur la transformation structurelle de l’économie, il explique : ‘’Nous ne sommes pas dans une dynamique de transformation structurelle de l’économie, malgré les promesses. Pour transformer en profondeur, il faut d’abord réformer. Et ces réformes sont toujours latentes, surtout les grandes réformes agraires où le gouvernement était attendu. En lieu et place, on a plus droit à une destruction du secteur de la pêche. L’élevage aussi est agressé avec les taxes sur les aliments de bétail…’’

Malgré les nombreuses alertes et critiques, le gouvernement, lui, n’entend pas reculer. Il déroule sa stratégie de mobilisation des recettes à moyen terme, conformément à ses engagements auprès des bailleurs. L’objectif : atteindre un taux de pression fiscale de l’ordre de 20 % à l’horizon 2023, contre près de 17 % actuellement. C’est l’objectif rappelé dans la LFR 2021.

Pour Meissa Babou, c’est ‘’excessif’’. ‘’La moyenne dans la sous-région tourne autour de 17 %. Mais surtout, il faut comprendre que ce n’est pas une politique désirée. Elle est imposée par le Fonds monétaire international. D’ailleurs, celui-ci nous a toujours dit que l’endettement est soutenable tant qu’il y a la croissance. Mais bizarrement, il est en train de faire un virage à 80 degrés, en nous imposant un ajustement économique.’’

Dans une l’interview qu’il a accordée à ‘’EnQuête’’ dans l’édition d’hier, le représentant-résident du FMI, Koulet-Vickot, affirmait : ‘’Le gouvernement a pris des engagements précis qui lui sont propres pour accroitre les recettes fiscales, renforcer la gestion des finances publiques, accélérer le développement du secteur privé et préparer un cadre pour une gestion soutenable et transparente du secteur des hydrocarbures… La question de mobilisation des recettes fiscales est un axe majeur pour bâtir une économie résiliente. Le FMI invite le gouvernement à accélérer la mise en œuvre vigoureuse du SRMT. Le FMI se tient prêt à apporter son appui technique pour la mise en œuvre de cette stratégie.’’   

Pour y parvenir, précisait M. Vickot, la priorité est l’élargissement de l’assiette des impôts existants et non une hausse du taux d’imposition.  Car, soutenait-il, moins du quart des contribuables potentiels sont immatriculées à la DGID et seule une minorité paie régulièrement l’impôt. 

En définitive, tout est fait pour que le Sénégal ne soit pas frappé d’une difficulté de faire face à ses engagements auprès de ses prêteurs. A ce propos, le représentant du FMI rassure, tout en mettant en exergue la nécessité d’augmenter les recettes fiscales : ‘’Les résultats de l’analyse de viabilité de la dette que nous avons menée montrent que la dette du Sénégal demeure viable, c’est-à-dire que le Sénégal a la capacité de continuer à rembourser sa dette. Le risque de surendettement est modéré, avec des marges limitées à court terme pour absorber les chocs. C’est la raison pour laquelle nous recommandons de réduire graduellement le déficit budgétaire, de mobiliser davantage les recettes fiscales et de privilégier les prêts concessionnels.’’

Pour rappel, récemment en Conseil des ministres, le gouvernement a adopté le projet de loi des finances rectificative 2021, dans l’optique notamment de mobiliser davantage de recettes fiscales et douanières. Pour ce qui concerne la fiscalité intérieure, l’Etat envisage ainsi, par l’augmentation de certaines taxes notamment, de mobiliser 60 milliards F CFA.

Outre les 25 milliards de la taxe spéciale sur les bouillons, il y a la clarification du champ d’application de la loi sur le prélèvement pour défaut de conformité fiscale (10 milliards), le renforcement de la conformité des contribuables en matière d’impôts et de taxes retenus à la source (16 milliards), entre autres.

En ce qui concerne les recettes douanières, c’est 40 milliards qui sont prévus à terme. Là également, les consommateurs vont trinquer, puisque l’Etat mise sur les 50 produits les plus pourvoyeurs de recettes.

MOR AMAR

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