L’étreinte française sur l’Afrique
Après des siècles d’esclavage et de traite, suivis par la colonisation, l’Afrique a beaucoup de mérite d’être encore debout et ses enfants motivés et prêts à se battre pour un destin enfin librement assumé. Malgré tous les soubresauts enregistrés à travers ces périodes noires, elle émerge doucement, inexorablement de l’obscurantisme, de l’aliénation culturelle dans lesquels l’avaient plongé les oppresseurs d’alors. Le monde bouge, les idées avancent et le développement fulgurant des technologies rendent la planète accessible à toutes les informations disponibles. Deux entités se dégagent alors pour conforter cet asservissement forcé, imposé, la Grande Bretagne avec son Commonwealth et la France avec son empire et plus tard son Union française.
Au sortir de la seconde guerre mondiale, la Grande Bretagne se désengage courageusement de ses colonies et laisse ouvert le Commonwealth pour des adhésions libres et la France elle conserve son empire. La puissance politique et économique de la France, dans le monde, repose précisément sur sa position dans l’empire qui a été et encore son pourvoyeur de ressources de toutes sortes. Mais la seconde guerre mondiale a permis aussi une prise de conscience des élites africaines de l’empire colonial français. Les peuples de l’empire font partie de ceux qui ont combattu les armes à la main pour libérer la France de l’occupation allemande.
La suite, normale et légitime, est qu’ils veulent à leur tour libérer leurs pays de l’emprise coloniale. Dans le remue-ménage, d’idées et de tractations, qui suivit et secoua les uns et les autres, le problème de la souveraineté nationale est agitée de plus en plus, et avec force. Certains pays ont vécu cette période dans leur chair ; pour avoir voulu et demandé plus de liberté, de justice et d’équité, des peuples ont dû, les armes à la main, faire face à l’administration coloniale. Le monde entier a déploré et condamné le carnage qui en a résulté dans ces pays, et la France parle alors d’ingérence dans les affaires d’un Etat.
Plus tard, l’empire français, sera transformé en Union française sous le Général De Gaulle, une union, proclamée avec ses contraintes et ses règles, et qui maintient chez les pays qui réclament leur indépendance, une faible marge de manœuvre politique et économique et place les populations dans un déni de liberté et justice criard. C’est dans ce cadre que la proclamation d’indépendance des pays africains qui constituent une grande partie de cette union, est rendue compliquée au niveau des Etats concernés. Elle s’est faite pour certains pays dans le sang et les larmes et pour d’autres, elle s’est traduite par une souveraineté surveillée comme du lait sur le feu, avec des leviers de gouvernance qui ne permettent pas d’impulser une bonne politique de développement.
L’étreinte française est en effet très prégnante sur la partie francophone de l’Afrique. Elle est si pesante et si forte qu’il semble illusoire de chercher à la desserrer sans douleur. Aujourd’hui la France est le seul pays en Occident qui peut se targuer de contrôler un immense territoire en Afrique. Une grande aberration, dans l’histoire du monde, qui marque aussi notre responsabilité, en tant qu’êtres humains, dirigeants et peuples. Tout cela relève de la faute de nos gouvernants principalement, car chacun abordait le problème selon son tempérament, sa conviction et son degré de patriotisme.
Construire son pays en se servant des méthodes pensées et élaborées par sa tutelle d’antan ou bien opérer une rupture en partant de ses propres valeurs de civilisation, tel est le dilemme auquel sont souvent confrontés les africains. Très peu de leaders africains noirs francophones ont réussi à résoudre cette équation à plusieurs ‘’inconnus’’. Tout le monde a conscience que l’Afrique est pillée, même les dirigeants français, à la devise si forte ‘’liberté-égalité-fraternité’’ dans leur pays. Voici quelques perles, de certains d’entre eux, recueillies[C1] çà et là, et qui permettent de rendre compte à quel niveau l’Afrique est située dans le monde occidental.
Pour le Général de Gaule : ‘’La France sans l'Afrique, ce serait la bombe nucléaire sans uranium, l'industrie sans pétrole, la faillite pour les nombreuses sociétés françaises qui surexploitent le bois, le coton, les phosphates, les minerais, le cacao...’’ disait-il. Il mettra donc en place un cabinet dirigé par Jacques Foccart pour encadrer et surveiller ces indépendances. Le système produira plus tard ce que le monde politique appelle tristement la ‘’France Afrique’’ : un conglomérat d’hommes d’affaires, d’espions et de barbouzes qui infiltrera tous les rouages administratifs des pays nouvellement indépendants, nouant et dénouant toutes les ficelles économiques au seul profit de la ‘’métropole’’.
Pour le Président Mitterrand président : ‘’L’Afrique est comme un bébé à qui on apprend à marcher. Lier la démocratie à l’aide française, c’est comme si la France avait de l’argent en propre à distribuer.’’ Réflexion inquiétante, car avec le développement des médias, le monde, en particulier la jeunesse actuelle, sait que c’est plutôt l’Afrique qui aide la France.
Quant à Jacques Chirac président, avec son franc-parler, il soutiendra que : ‘’ Nous avons saigné l’Afrique pendant 4 siècles et demi, après on a dit : ils ne sont bons à rien.’’ C’était en 2001 à Yaoundé au Cameroun et en 2007 ‘’On oublie une chose, une grande partie qui est dans notre portemonnaie vient précisément de l’exploitation depuis un siècle de l’Afrique. Alors il faut avoir un peu de bon sens, de justice pour rendre aux africains ce qu’on leur a pris’’.
En 1962 Georges Balandier, ethnologue français, disait de manière crue, dans son ouvrage ‘’L’Afrique ambigüe’’, ce qui suit ‘’notre vision économique de l’Afrique nous place en situation de prédateurs, car on ne croit pas aux hommes. Nous avons une vision dépréciative de l’homme et sur appréciative des richesses’’.
Nous avons donc cheminé, pendant toutes ces années, avec cette terrible réalité dans le subconscient, travaillant à contourner ces pensées négatives pour trouver la brèche qui nous rendrait et notre liberté d’actions et notre dignité. En Afrique, particulièrement au Sénégal, Léopold Sédar Senghor a choisi l’option présidentielle parce que dit-il ce système convient mieux aux sénégalais qui sont un peuple ‘’fluctuant… à affectivité volcanique et à réaction immédiate…’’.
Et comme il ne s’accommode pas du bruit, du tintamarre, il concéda donc à la France qu’il aimait tant, à travers des accords et des textes, l’opportunité de surveiller l’action de nos politiques, laissant en l’état les chaines essentielles qui bloquent le développement de nos pays. Son idéologie, le socialisme démocratique africain, peine à trouver un contenu viable parce que excluant volontairement des leviers économiques, financiers et culturels importants, à sa réalisation. Et les régimes passent avec leur lots de mots à chaque consultation électorale et les maux demeurent toujours : crise économique, népotisme, détournements, crise des valeurs, pauvreté et surtout jeunesse désemparée ; une jeunesse qui, de plus en plus consciente de sa situation et le développement des médias aidant, se révolte souvent entre manifestations et migrations clandestines.
Plusieurs Présidents se sont, ainsi, succédés à la tête du pays. Chacun avec sa vision, son tempérament, imprime son style avec plus ou moins de bonheur, car laissant toujours le peuple dans sa soif d’espérance et de justice. C’est alors que, sous la pression et la poussée populaires, depuis 2012 nous vivons un changement de régime qui devait se traduire par une rupture, dans les mœurs, les comportements, la méthode de gouvernance ; une rupture proclamée partout, en toute circonstance. L’espoir suscité était si grand qu’on a parlé d’un nouveau type de sénégalais, un Sénégalais aux mains propres, incarnant toutes les vertus dans la gestion de la cité et dans les rapports sociaux. Ce premier pas aurait pu nous conduire, avec l’adhésion populaire qui était déjà acquise, à une refondation de tout ou partie de notre système de gestion ; tout en restant liés à la France par des relations ‘’privilégiées’’, sans aliéner notre souveraineté.
Mais, nous revoilà face à des scandales, de tous ordres, dont la gestion est souvent brouillée par la frilosité d’un gouvernement qui cherche lui-même ses repères. En dehors des réalisations remarquables dans le domaine des infrastructures, le pays continue de cheminer entre l’insouciance, les détournements, la politique politicienne et les déballages intempestifs.
Nous vivons actuellement dans une ambiance de tempêtes verbales, sous des flots de mots et de maux. Rien qui puisse inspirer sérénité et travail. Le Président de la République, du haut de sa stature, le garant de la paix et de la stabilité du pays, laisse faire la plupart du temps. Sans être d’un bord ou de l’autre, je constate que l’un de ses opposants actuels qui est un jeune homme, courageux et charismatique, cristallise autour de sa personne l’espoir d’une large frange de la jeunesse qui se retrouve fortement en lui. Il parle de détournements, de corruption, de mauvaise gestion, d’un avenir possible, le doigt toujours posé sur la plaie.
Le langage de ce dernier parle aux jeunes. Et ce n’est pas à négliger. Et il semble que ce jeune est, actuellement, un feu que l’on cherche à éteindre par tous les moyens imaginables. C’est politiquement incorrect, risqué et dangereux pour la Nation. J’avais écrit dans un article intitulé ‘’la politique politicienne’’ ceci : Avec la jeunesse actuelle, nous sommes en présence d’une génération, de ‘’forces neuves’’, surgie du peuple et qu’aucun lien ne rattache aux vieux barons de la politique. Une jeunesse qui veut des actes qui donnent espoir, dans les comportements, la gestion du pays. Des actes qui façonnent l’homme pour en faire ‘’un nouveau type de Sénégalais’’.
En l’an 2022, cette jeunesse a gagné en maturité ; la démocratie et la liberté aidant, rien ne peut plus être comme avant, l’expression doit être plurielle, le monde bouge vite et aucune personne n’est éternelle. La France restera toujours l’amie de l’Afrique mais elle doit changer le regard qu’elle lui porte et sa façon d’aborder les problèmes avec elle. Le peuple africain n’est plus à ‘’civiliser’’ ; il ne l’a jamais été puisque détourné de sa trajectoire historique par les armes, et cela tout le monde en a conscience.
Pour prendre un exemple banal et récent ; en France le joueur Gana Guèye du Paris St Germain a connu des soucis avec ce club pour avoir refusé de porter un maillot LGBT, et que par ailleurs le Bayern, en Allemagne, a tenu compte des différences culturelles pour Sadio Mané. C’est ce genre de comportements que le peuple attend de la France. C’est un problème de dialogue des cultures comme le dit bien Senghor ; et il doit être présent, en permanence, dans les rapports avec l’autre. Ce qui restera donc de toutes ces agitations politiques, c’est ce qu’en écriront les sociologues et les historiens. Pour moi, je reste convaincu que ‘’pour entrer en politique, la connaissance de soi doit précéder l’engagement politique. Ce qu’il ne faut jamais perdre de vue, c’est que faire de la politique, c’est avoir un pied dans l’histoire d’un pays’’. Faire de la politique est également un sacerdoce, on ne le dira jamais assez, ce n’est pas un gagne-pain. Nous souhaitons ardemment que le Sénégal puisse, un jour, dépasser ce stade par un saut qualitatif dans la prise en compte réel des profondes aspirations des populations.
Et comme on dit chez nous ‘’Vivre, c’est écrire son itinéraire terrestre qui restera comme un totem pour des générations entières ; beauté, laideur et insignifiance sont les marques possibles de ce passage sur terre’’.