Publié le 19 Dec 2022 - 21:52
GOUVERNANCE DES DENIERS PUBLICS

Une culture de malversations !

 

Malgré les nombreuses promesses et engagements envers les Sénégalais, la culture de détournements et de malversations se poursuit de plus belle, au nez et à la barbe des autorités judiciaires.

 

C’est à croire que les différents régimes qui se suivent se ressemblent, du point de vue de la gouvernance nébuleuse des deniers publics. Alors que la gestion peu orthodoxe des finances publiques avait fini de ternir tous les 12 ans de règne du président Abdoulaye Wade, son successeur Macky Sall, élu sous le slogan ‘’Gouvernance sobre et vertueuse’’, ne fait guère mieux. Pour le Forum civil, il n’y a pas à chercher midi à quatorze heures ; il est temps qu’on en finisse de ranger dans les tiroirs les  rapports successifs des différents corps de contrôle. ‘’Le Forum civil, soulignent Birahime Seck et Cie, exige l’ouverture de toutes les informations judiciaires demandées par la Cour des comptes’’.

Cet appel lancé par plusieurs organisations et personnalités fortes de la société civile, sera-t-il entendu par les autorités politiques et judiciaires ? Rien n’est moins sûr. Depuis une semaine, le Sénégal ne bruit presque plus que de cette affaire. Il n’empêche, du côté des autorités compétentes, c’est encore l’omerta. ‘’Inadmissible’’, clame le coordonnateur du Forum civil qui dénonçait énergiquement : ‘’Au moment où les populations étaient torturées dans les rues, d’autres confinées dans le stress, il est inadmissible que des agents de l’État et leurs complices piétinent toutes les règles de bonne gouvernance financière, avec des surfacturations et des décaissements en tous genres. Il n’est pas question que la justice reste les bras croisés. L’impunité n’a que trop duré dans ce pays. Le président de la République doit impérativement agir, sous peine d’être pris comme complice.’’

Moundiaye Cissé : ‘’Le président de la République n’a pas le choix, il y va de l’image qu’il va laisser à la postérité.’’

De l’avis du directeur exécutif de l’ONG 3D, Moundiaye Cissé, le président de la République ne doit même pas avoir le choix par rapport à l’ouverture d’une information judiciaire, conformément aux recommandations de la haute juridiction. Il peste : ‘’Nous parlons quand même de la Cour des Comptes. Ce n’est pas n’importe quel organe. C’est ce qui se fait de mieux dans ce pays, en matière de contrôle indépendant de la gouvernance de nos deniers publics. Quand une institution aussi importante, aussi sérieuse, recommande l’ouverture d’une information judiciaire, on ne peut faire comme si de rien n’était. Le président de la République n’a d’autant plus le choix que dans ce pays, des acteurs politiques ont été emprisonnés pour beaucoup moins que ça.’’     

Le membre de la société civile en veut pour preuve les cas Khalifa Ababacar Sall, emprisonné pour des montants beaucoup moins élevés ; Karim Wade envoyé en prison sur la base d’une procédure d’exception. ‘’Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de dire que ces gens épinglés sont coupables ; ils doivent bénéficier de présomptions d’innocence. Mais une enquête doit impérativement être ouverte. Le chef de l’État n’a pas le choix, il y va de son image qu’il va laisser à la postérité’’.

Selon M. Cissé, il faut que tout le public et les leaders d’opinion se mobilisent pour que cette nième affaire ne puisse pas passer par pertes et profits. ‘’Nous allons exiger que la lumière soit faite sur l’utilisation de ces fonds. Les autorités judiciaires doivent non seulement se saisir de cette affaire, mais aussi aller jusqu’au bout’’, s’est-il répété.

À entendre le directeur exécutif de l’ONG 3D, si les faits sont avérés, ce serait un acte criminel, compte tenu des nombreux dégâts causés par la Covid. Il déclare : ‘’Nous estimons que c’est criminel de la part de ces prévaricateurs présumés des ressources publiques. Combien de familles ont été décimées à propos d’un manque d’oxygène ou d’autres types de soins ? On se rend compte que, pendant que certains mouraient par manque d’oxygène, d’autres s’enrichissaient à coups de millions. C’est indécent. C’est d’autant plus indécent que cet argent est le sacrifice de tous les Sénégalais. Je pense que les familles victimes de cette maladie doivent même pouvoir saisir les juridictions  contre ces gens qui sont présumés coupables de malversations.’’

Quand Macky Sall promettait : ‘’Je ne protégerai personne, je dis bien personne !’’

Ce nième scandale présumé est l’occasion de rappeler tous les discours du président Macky Sall prônant l’intransigeance de son régime vis-à-vis des faits de mal gouvernance, mais qui n’ont presque jamais été suivis d’effets. Déjà, au lendemain de son élection, dans son premier discours à la Nation, le successeur d’Abdoulaye Wade annonçait la couleur. Il disait : ‘’Cette occasion historique constitue, pour nous tous, un nouveau départ pour une nouvelle ère de rupture, en profondeur, dans la manière de gérer l’État, aux plans institutionnel et économique. C’est pourquoi je tiens à ce que toutes les femmes et tous les hommes qui m’accompagnent dans l’exécution du contrat de confiance qui me lie au peuple, comprennent et acceptent que cette mission ne crée pas une catégorie de citoyens privilégiés, au-dessus des autres et de la loi.’’

Servir et non se servir. C’est en ces termes que le président Sall s’adressait à ses hommes, le 3 avril 2012. ‘’Gouverner autrement, disait-il, c’est bannir les passe-droits, le favoritisme et les trafics d’influence. C’est mettre l’intérêt public au-dessus de toutes autres considérations et traiter tous les citoyens avec la même dignité et le même respect’’.

S’agissant de la gouvernance économique, Macky Sall promettait justement de renforcer davantage les différents corps de contrôle. ‘’Je compte restituer aux organes de vérification et de contrôle de l’État la plénitude de leurs attributions. Dans le même sens, l’assainissement de l’environnement des affaires et la lutte contre la corruption et la concussion me tiennent particulièrement à cœur.   À tous ceux qui assument une part de responsabilité dans la gestion des deniers publics, je tiens à préciser que je ne protégerai personne, je dis bien personne. J’engage fermement le gouvernement à ne point déroger à cette règle’’.

Dix ans plus tard, ils sont nombreux, les Sénégalais, à penser que le président Sall a complètement jeté aux oubliettes ces engagements.

En effet, au fil des années, les rapports qui épinglent les hommes du président se sont accumulés sans qu’aucune suite judiciaire ne leur soit réservée. Il en fut ainsi des rapports de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac). Il en est aujourd’hui pareil pour le rapport tant commenté de la redoutable et très sérieuse Cour des Comptes qui réunit la crème de la magistrature sénégalaise. Contrairement aux engagements du président Sall, beaucoup de Sénégalais demeurent convaincus que les passe-droits et autres protections dont jouissent les poulains de l’actuel chef d’État sont devenus la règle dans la gouvernance des affaires publiques.

Il faut noter que dans cette affaire qui pue à mille lieues la prévarication, les autorités publiques se sont arrangées pour contourner allègrement le Trésor public. La Cour des Comptes explique que dans le cadre de la mise en œuvre du Pres (Programme de résilience économique et sociale), trois procédures ont été utilisées pour le paiement des dépenses. En sus de la procédure normale qui passe par le biais des comptables directs du Trésor, il y a la procédure dérogatoire à travers des comptes de dépôt et les paiements financés sur ressources extérieures.

Outre les Dage qui sont directement concernés, certains estiment que les ministres et directeurs généraux devraient également être poursuivis. Sous le règne du président Sall, on n’a pas encore vu de ministres ou directeurs généraux condamnés pour des faits de malversations financières, comme ce fut le cas sous Wade avec certains directeurs généraux comme Modibo Diop, ancien directeur de l’Aser.

Mor AMAR

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