Publié le 26 Jan 2023 - 18:22
ASSEMBLEE NATIONALE FRANCE

Le procès de Macky Sall et de son régime

 

Répression des opposants, troisième mandat, recul démocratique, les députés français, presque toutes obédiences confondues, dézinguent le Président Macky Sall et rassurent sur le fait que la Convention d’extradition judiciaire ne saurait être un moyen contre les opposants sénégalais basés en France. C’était, hier, lors de l’examen du texte en Commission.

 

La question de la troisième candidature et des ‘’dérives autoritaires’’ du Président Macky Sall était, hier, au cœur des débats à l’Assemblée nationale française, lors des travaux de la Commission des Affaires étrangères, relatifs notamment à l’examen des conventions d’entraide judiciaire et d’extradition judiciaire. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les députés français, presque toutes obédiences confondues, en tout cas pour ceux qui ont pris la parole, n’ont pas été tendres avec le Président Sall à qui il est prêté la volonté de vouloir briguer un troisième mandat. Même si le texte a été voté par une large majorité, presque tous ont attiré l’attention sur la détérioration du climat politique et le caractère ‘’illégal’’ d’une éventuelle candidature de l’actuel Président.

Rapporteur de la Commission et non moins 1er Vice-Président du groupe parlementaire de la majorité, Sylvain Maillard est plusieurs fois revenu sur les inquiétudes légitimes relatives à la situation politique que traverse le Sénégal. Il précise : ‘’Il y a vraiment une situation difficile au Sénégal. Les autorités françaises sont très attentives à ce qui va se passer dans les mois qui viennent.  Pour l’élection présidentielle, il y a un doute sur le fait de savoir si Macky Sall va tordre le bras à la Constitution pour vouloir se présenter une troisième fois. Mais il faut souligner que les deux textes (Convention d’entraide judiciaire et convention d’extradition) que nous examinons n’ont vraiment rien à voir avec tout ça. Au contraire, elle garantit une meilleure entraide entre la France et le Sénégal. Elle présente également toutes les garanties pour que ça ne soit pas instrumentalisé ni dans un sens ni dans un autre.’’

Voilà la réponse servie par le rapporteur à beaucoup d’intervenants ayant émis des craintes relatives à une possible instrumentalisation desdites conventions pour réprimer les opposants politiques au régime, en particulier ceux basés en France. Pour Ersila Soudais, députée de La France insoumise, la menace terroriste (un des domaines visés dans les deux textes) ne doit pas être un prétexte pour couvrir les velléités de maintien hégémonique d’un pouvoir qui se meurt. Elle met en garde : ‘’Nous ne pouvons ignorer les dérives actuelles du gouvernement sénégalais en place et la criminalisation des opposants politiques. En mars 2021, Amnesty dénonçait une vague d’arrestations arbitraires d’opposants et d’activistes pour des motifs fallacieux, la mort de Cheikh Coly victime de répression létale et la suspension de deux chaines de télévision durant 72 heures.’’

Tirs groupés contre la troisième candidature

Dans un tel contexte, estime la députée de gauche, tout n’est pas réuni pour garantir que ces instruments ne seront pas utilisés pour museler les opposants. ‘’Comment garantir que les oppositions politiques ne soient davantage muselées et que nous n’assistions à une recrudescence des prisonniers politiques sous couvert d’une lutte antiterroriste, afin de laisser le champ libre au maintien d’un système autocratique ?’’, s’interroge-t-elle, non sans exprimer son inquiétude par rapport à une possible poussée du sentiment anti-français. Embouchant la même trompette, Arnauld Le Gall de la même obédience a précisé que son Groupe compte voter contre, car il risque véritablement d’y avoir une instrumentalisation politique. ‘’Le texte (sur la convention d’extradition), dit-il, arrive au mauvais moment et avec le mauvais interlocuteur.’’

En amont de ces travaux, l’opposition tout comme des organisations de défense des droits de l’homme se sont mobilisés pour attirer l’attention du parlement français sur les possibles dérives. A en croire Monsieur Le Gall, les dérives actuelles du Président Macky Sall, qui préoccupent opposants et défenseurs des droits de l’homme, risquent de s’aggraver, parce qu’on sait très bien qu’il envisage de faire un troisième mandat. Il ajoute : ‘’L’opposition nous supplie de ne pas mettre en œuvre ce texte en l’état. Elle propose des amendements qui définissent par exemple ce qu’on entend par terroriste. Parce qu’à l’heure actuelle, dans la dérive du Président, tout opposant politique est un terroriste. Si la situation de départ est confuse, cela peut poser problème dans l’application de ces textes. Amnesty alerte également sur le caractère extensif de la définition du terrorisme qui s’applique de plus en plus au Sénégal.’’

Ancienne juge, l’écologiste Laurence Vichinievsky a essayé, quant à elle, de rassurer les uns et les autres sur le fait qu’il n’y a pas de risques véritables d’utilisation de la convention d’extradition à des fins politiciennes. Elle affirme : ‘’Mon ancienne vie de juge, j’espère, apportera un autre éclairage à ce débat. L’objet de cette convention est de moderniser un accord qui existe déjà et qui date de 1974. Quand on pense au contexte de criminalité actuelle, on ne peut qu’être favorable à cette amélioration de notre coopération judiciaire avec le Sénégal. S’il est vrai que la situation politique peut amener à se poser des questions légitimes, il faut faire confiance au juge. Je rappelle que le politique n’est pas le juge et le juge n’est pas le juge n’est pas le politique.’’

Le juge français, le garant contre une possible instrumentalisation

Malgré ces assurances, le député Aurélien Taché soutient que l’accord sur l’extradition doit être regardé de plus près. Par exemple, explique-t-il, s’il s’agit de l’exercice d’une peine ou d’une poursuite pénale, le projet de convention stipule que si les infractions reprochées sont de nature militaire ou politique, il existe un droit obligatoire de refuser l’extradition. ‘’Mais, demande-t-il, quel est le périmètre exact d’une infraction politique dans un pays où le pouvoir exerce un contrôle de plus en plus autoritaire sur ses citoyens. En effet, Macky Sall, président de la République, semble peu enclin à laisser son siège lors des élections de 2024, alors que la Constitution limite le nombre de mandats consécutifs à deux. La stabilité de ce pays souvent présentée comme un modèle dans la région est ainsi mise à l’épreuve.’’

Pour étayer son propos, le député de la Nupes convoque les différentes condamnations des opposants politiques et la répression des manifestations. ‘’Les responsables de l’opposition ont presque tous eu affaire avec la Justice... Le gouvernement n’a pas hésité à utiliser des blindés contre la foule. Le ministre de l’Intérieur traitant les manifestants de terroristes a suspendu d’ailleurs deux chaines de télévision pour avoir diffusé des vidéos des manifestations et a coupé internet à plusieurs reprises. Enfin, la dizaine de morts et la centaine d’arrestations témoignent de la violence de la répression’’, souligne Monsieur Taché, qui a dénoncé les arrestations de leaders de l’opposition, lors des manifestations du 17 Juin, veille des législatives.

‘’Notre rôle n’est certes pas de se mêler des affaires de politique intérieure du pays, cependant, la France doit rester garante des principes démocratiques qui construisent notre image à l’international. En ce sens, M le rapporteur, sommes-nous absolument certains que cette convention ne pourra pas être utilisée d’une manière ou d’une autre par le Gouvernement actuel comme un élément dans une stratégie de conservation de son pouvoir. Alors que notre image est au plus mal, il faut éviter de l’abimer davantage en laissant paraitre que nous pouvons influencer d’une quelconque manière l’auto-détermination des peuples. Pour ces raisons, le groupe s’abstiendra sur ce texte (la convention d’extradition).’’

Les alertes d’Amnesty et de l’opposition

Par ailleurs, les intervenants ont largement exprimé leurs craintes quant aux conséquences d’une ratification de ces textes, dans un contexte de poussée du sentiment anti-français. De l’avis de Monsieur Le Gall, l’immense majorité des Africains n’ont rien contre la France en général, mais contre certaines pratiques de la France, notamment le soutien à des régimes détestés. ‘’Au Sénégal, fulmine-t-il, les vagues de violence que je dénonce, alimentées par des gens comme Kémi Séba, elles ont eu lieu à un moment où la France donnait l’impression de soutenir Macky Sall face à une opposition qui, à mon avis, est majoritaire dans le pays…’’

Réagissant à ce propos, le président de la Commission, Jean-Louis Bourlanges, s’est dit contre cette perception. Selon lui, il n’est pas sûr que les sentiments anti-français, qui se sont exprimées assez fortement lors des troubles (mars 2021), étaient en lien avec une complaisance particulière de la France pour Macky Sall. Il révèle : ‘’Moi, en tout cas, la conversation assez longue que m’avait accordée le Président Macky Sall, je crois au mois de mars dernier, entretien d’une heure, il n’avait pas ménagé les critiques à l’égard de notre pays. Et d’ailleurs, ça s’est exprimé par le non vote de la résolution sur l’Ukraine qui a été un peu une surprise. D’une façon générale, il mettait en cause les responsabilités de la France sur l’opération en Lybie, qui est, selon lui, une des causes de cette espèce de mouvement terroriste qui a gagné la région. Je pense que ce sont deux variables assez indépendantes.’’

Le RN vote ‘’sans réserve’’, la lune de miel continue entre Macky et Lepen

Pendant que la plupart des intervenants, même les membres de la majorité présidentielle, acquis à Macron, promettent de voter, tout en se disant attentifs par rapport à la détérioration du climat politique due à une volonté du président actuel de se représenter illégalement en 2024, Kévin Pfeffer, lui, membre du Rassemblement national de Marine Lepen, n’a pas émis de réserve particulière. Pour lui, ce texte est une bonne chose ; il va dans le bon sens, celui de l’entraide pour la lutte contre la criminalité entre les deux pays. ‘’Ce texte, ajoute-t-il, n’est cependant qu’une étape, une pierre dans la construction de nos relations, tant les gouvernements précédents et actuels ont délaissé les amitiés franco africaines et nous en payons aujourd’hui le prix. Comme le prouvent nos déboires au Mali et au Burkina Faso.  Exemple extrême de notre perte d’influence, pire, de notre perte de considération.’’

Ironie de l’histoire, c’est le membre de l’extrême droite qui accuse les autres régimes d’avoir délaissé l’Afrique et promet d’y remédier. ‘’Il existe encore une envie de France en Afrique et le RN souhaite amplifier ces relations à travers par exemple le développement de la francophonie. Nous en ferons un véritable outil de développement économique et le Sénégal pourrait en être un acteur majeur. Nous prêtons une attention toute particulière à ce pays que notre présidente a visité la semaine passée. Visite lors de laquelle elle a pu réaffirmer au président Sall notre vision pour une relation plus riche, plus amicale plus fréquente. C’est dans le même cadre que nous défendons l’idée d’une place permanente pour l’Afrique au Conseil de sécurité et qui devrait revenir au Sénégal.’’

GARANTIES CONTRE L’ARBITRAIRE

‘’L’extradition ne peut être accordée pour des infractions politiques, militaires ou pour les délits d’opinions’’

Dans l’étude d’impact des deux textes, il est indiqué un certain nombre de garanties, pour éviter cette instrumentalisation. En effet, l’extradition ne peut être accordée pour les infractions considérées par la Partie requise comme des infractions politiques ou liées à des infractions de cette nature ou pour des infractions de nature exclusivement militaire (article 3.1.a) et d)). ‘’De même, il ne pourra être procédé à la remise de la personne réclamée si la Partie requise a de raisons sérieuses de croire que la demande est motivée par des considérations de race, de genre, de religion, de nationalité ou d’opinions politiques (article 3.1.b)). L’extradition devra également être refusée si la personne est réclamée pour être jugée par un tribunal d’exception ou pour exécuter une peine prononcée par un tel tribunal.’’

En fait, la convention d’extradition prévoit que les deux parties s’engagent à se livrer réciproquement toute personne qui, se trouvant sur le territoire de l’une d’entre elles, est recherchée par l’autre partie aux fins de poursuites ou d’exécution d’une peine (article 1er). ‘’Sur le fond, la convention définit les infractions susceptibles de donner lieu à extradition (article 2), énonce les motifs de refus qui peuvent être opposés à une demande d’extradition (articles 3 à 6) et réaffirme le principe traditionnel de la spécialité (articles 14 et 15). S’agissant de la procédure, le texte définit précisément quel doit être le contenu des demandes d’extradition (article 8) ainsi que leur mode de transmission (article 8.1). Il organise en outre les délais et les modalités d’arrestation provisoire (article 16), de remise de la personne recherchée (articles 11 et 12) et de transit (article 18).’’

Pour ce qui le concerne, la convention d'entraide judiciaire en matière pénale stipule que les parties s'accordent mutuellement l'entraide judiciaire la plus large possible, afin de faciliter la collecte d'éléments de preuve dans le cadre de procédures pénales transnationales. Elle renforce l'efficacité de l'entraide judiciaire pénale et la lutte contre la criminalité transnationale en organisant et facilitant la transmission des demandes entre les parties, notamment par la transmission dématérialisée entre autorités judiciaires en cas d'urgence.  

MOR AMAR

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