Stratégie politique nationale pour une incommunication ?
Dans son dernier entretien avec El Hadj Assane Guèye, journaliste à la RFM, le président de la République Macky Sall a invité les forces vives de la nation à un dialogue national. Précisant, par la même occasion, que c’est dans l’intérêt des différents acteurs que de venir à ‘’sa table’’, le président a lancé : ‘’Ku gèdd së yaay aayé’’, adressé à tous ceux qui ne voudraient pas de ce dialogue. Phrase pas simplement malheureuse ou taquine, elle rentre dans la liste des accidents langagiers de l’homme politique Macky Sall, dont les mots symbolisent bien souvent les maux d’une incommunication présidentielle.
Du grec dia logos ou du latin dia logus, dialoguer = tenir un discours entre différentes personnes. Se parler c’est, de fait, faire société. Car, ce moment d’échange de paroles réunit autour d’un cadre spatial, temporel, culturel ou politique, différents acteurs autour d’un objet. C’est dans ce sens qu’on peut parler de communication. Celle-ci encadre les interactions entre les individus autour d’un contrat. Dans son sens étymologique, ‘’communicare’’ (mettre en commun) dériverait du latin ‘’communis’’ (commun) et implique de fait autre que soi. Elle occupe une place prépondérante dans l’organisation sociale, quel qu’en soit le démembrement.
En effet, ‘’la cité comme unité politique est rendue possible par l’usage de la parole et son pouvoir de pacification de la relation sociale’’, Jacques Gerslté le dit ici très bien.
‘’Dans le contexte politique, social, sécuritaire et juridico-politique dans lequel nous nous trouvons, dialoguer, se consulter, se parler en toute sincérité paraît comme un pilier essentiel vers la sérénité et la stabilité’’
Considérant la place prépondérante qu’occupe la communication au sein de la société, l’appel au dialogue du président de la République semble pertinent dans la lettre. Car, au fond, il s’aligne sur un principe islamique (ash-shuraa) ou encore s’inscrit dans une tradition africaine et sénégalaise du dialogue et de la concertation. Tradition institutionnalisée dans la pratique nationale et certains textes communautaires. C’est le cas de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance qui, en son article 13, stipule que «les États prennent des mesures pour établir et maintenir un dialogue politique et social, ainsi que la transparence et la confiance entre les dirigeants politiques et les populations en vue de consolider la démocratie et la paix’’. Dans le contexte politique, social, sécuritaire et juridico-politique dans lequel nous nous trouvons, dialoguer, se consulter, se parler en toute sincérité paraît comme un pilier essentiel vers la sérénité et la stabilité.
En tant que président de la République, Macky Sall doit être le premier à rechercher, favoriser l’établissement et le renforcement de ce contexte.
Mais au fond, doit-on se parler pour ne rien dire ? Se dire des choses qu’on s’est déjà dites ? Ou pire, se parler sans sincérité, avec mauvaise foi et moult intentions cachées ?
«Ku gèd së yaay yë aayé » : entre rupture du contrat de communication et rupture de l’idéal républicain
La communication, c’est une vision (de la société et des rapports sociaux), un ensemble de pratiques (outils, stratégies, métiers) et des valeurs (recherche de consensus, éthique de la délibération, transparence). Même pensée comme un cadre vertueux, de prévention ou de règlement des conflits et des formes d’entropie inhérentes aux rapports sociaux, la communication peut rester dans une dimension manipulatoire cynique, parce qu’orientée par des stratégies d’acteurs aux agendas particuliers et inavoués. Ce qui relève d’une rupture du contrat de communication idéale. Ramenée au cas du dialogue politique national, même fondé en principe et en droit, dans une pratique peu sincère et non entièrement inclusive, elle est assimilable à une véritable rupture de l’idéal républicain.
Le ‘’Ku gèd së yaay yë aayé’’ du président Macky Sall est le symbole de la prééminence de son corps d’homme politique sur celui de ‘’père de la Nation/gardien de la Constitution’’. Non ! Un président ne devrait pas parler comme ça, même pour rire ! L’homme politique Macky Sall lâche toujours un mot de trop. Cette phrase qui tue toute occasion du président Macky Sall de faire corps avec son peuple et d’en incarner les aspirations ponctuelles ou pérennes. Le dialogue national est nécessaire : politiquement comme socialement.
En revanche, il faut le fonder sur un contrat de communication transparent, inclusif et sincère. Une sorte de pacte de préservation de la paix publique (P3P) ou mieux, un pacte pour la perpétuité de la République (PPR). Soit un engagement sincère de tous les acteurs, le président de la République en premier, à restaurer la confiance et la stabilité.
Si l’appel au dialogue lancé par le président de la République semble salutaire dans la lettre, qu’en est-il de l’esprit ?
PAR MOUSSA DIOP, DR EN COMMUNICATION, ANALYSTE POLITIQUE