Publié le 4 Aug 2023 - 00:16
ÉMIGRATION IRRÉGULIÈRE

Le fléau des recruteurs

 

Ils sont derrière chaque embarcation vers les Iles Canaries en Espagne et pourtant, c’est rare de voir un recruteur de candidats à l’émigration irrégulière interpellé par les forces de défense et de sécurité. EnQuête a tenté de percer le mystère autour de ces hommes qui encaissent l’argent des infortunés, avant de se faire la malle, en cas de pépins.  

 

Au Sénégal, c’est connu de tous que la période de l’été est un moment propice pour les candidats à l’émigration irrégulière de partir vers l’Espagne, pour des lendemains meilleurs. Ces candidats souvent prennent départ les jours où les gens sont occupées par de grandes manifestations politiques, religieuses et ou sportives. Leurs lieux de départ, les plus fréquents, se trouvent à Mbour, Rufisque, Kafountine, Toubacouta, Kayar, Yarakh et Saint-Louis. Pour cette dernière localité, beaucoup d’émigrants, pour ne pas dire la quasi-totalité, y prennent départ, à cause de sa position géographique, mais aussi sa proximité avec la Mauritanie dont la frontière maritime n’est pas loin.  

Selon notre enquête, pour embarquer dans les pirogues, il faut être recruté par des agents intermédiaires ou agents recruteurs. Ces derniers jouent un rôle central pour ces voyages. Les montants, pour participer à ces voyages, varient entre 250 000F CFA et 500 000F, par candidat. C’est selon. Après avoir remis ce montant, les candidats sont regroupés dans des endroits discrets pour échapper aux yeux vigilants des forces de défense et de sécurité et ou de la marine sénégalaise. Ainsi, la nuit du départ, c’est de petites pirogues qui les prennent sous forme de ramassage pour leur faire rejoindre la grande embarcation qui se trouve en pleine mer.  

D’où le rôle central de l’agent recruteur. Il est différent de celui qui encaisse l’argent des candidats. Ce dernier, une fois l’argent récupéré des infortunés, prend sa part, avant de remettre le reste au recruteur qui est souvent un grand patron. Ce dernier sait fondre dans la nature, à chaque que le projet échoue et qu’il y a des arrestations. Il est difficile de mettre la main sur lui.

Pourquoi c’est difficile d’alpaguer les agents recruteurs ?  

Pour passer entre les mailles, selon nos investigations et les témoignages de spécialistes de la question, il cherche une personne écran qui, malheureusement se fait coincer, lorsque la pirogue est interceptée. D’après des sources et personnes au cœur de cette affaire, ils se trouvent souvent loin du lieu de l’embarcation. Pis, il y en qui sont à l’étranger. ‘’Les arrêter, c’est un peu difficile. C’est des gens qui comprennent le système. Ils font tout pour passer par d’autres, souvent qui ne les connaissent pas. Du coup, on peut les traquer, mais leur mettre le grappin dessus relève presque de l’impossible. C’est rare de voir un recruteur interpellé. Beaucoup d’entre eux ne sont pas sur les lieux de l’embarcation. Quand, ils sont au courant que les hommes de tenue ont mis aux arrêts des migrants, ils coupent tous les liens qu’ils avaient avec leur agent qui leur cherchait des candidats. C’est un système bien huilé. Le plus désolant, c’est que ce sont des gens qui ne sont même plus au pays. En fait, ils font croire aux candidats que ce sont eux qui vont les récupérer, une fois sur le sol espagnol. Quand ils ont vent que la pirogue n’est pas arrivée à bon port, ils coupent tout lien. Ils n’hésitent même pas à éliminer la puce téléphonique qui leur permettait de discuter’’, renseigne un interlocuteur.

Selon nos investigations et recoupements, il s’agit de personnes qui connaissent bien le milieu. ‘’Ils sont soit d’anciens pêcheurs ou d’anciens candidats à l’émigration irrégulière établis en Europe ou de simples chercheurs d’argent. Après avoir vendu le lieu où ils se trouvent, ils font croire aux candidats à l’eldorado. Ce qui est un avantage pour eux. Mais, pour s’en sortir, ils cherchent un point focal. Ce dernier fait le plus gros du travail, mais malheureusement gagne le moins, à défaut d’être interpellé. A Saint-Louis, c’est difficile de mettre un visage sur le nom. C’est comme s’il s’agissait de personnes fantômes. D’ailleurs, comme partout au Sénégal, ils ne donnent pas leurs vrais noms à leurs points focaux. Ce qui rend les choses un peu complexes’’, renchérissent nos interlocuteurs.  

Dans la vielle ville, une enquête de terrain a montré que les recruteurs comme les candidats habitent rarement la même zone. Les candidats viennent de tout le territoire sénégalais, mais aussi de la Gambie, des deux Guinée et de la Mauritanie.

En ce qui concerne les recruteurs, le peu que l’on en sait vient souvent des candidats, lors de leurs auditions devant les forces de défense et de sécurité.   

‘’Les méthodes de lutte contre l’émigration irrégulière sont obsolètes’’ 

Percer le mystère et avoir une idée sur eux est une chose difficile. ‘’Dans les enquêtes, vous entendez toujours cette expression : ‘’on ne peut pas en dire plus pour informer les suspects, vu que l’enquête suit son cours’’, mais sous forme d’ouverture d’information judiciaire au niveau des juges d’instructions. Ceci dit, les FDS (Forces de défenses et de sécurité) ont peu d’informations sur eux. Malheureusement, leurs contacts dans la chaine connaissent peu sur eux. Ils masquent presque tout. C’est des gens rusés et intelligents qui ne laissent trainer aucune once d’information pouvant aboutir à leur arrestation. Ce qui fait qu’à chaque fois que l’enquête est bouclée, ils sont dans la nature’’, confient des sources judiciaires.

Ainsi, dans le but de mieux les ferrer, les FDS ont changé de stratégies. Mais, on n’en saura pas plus, pour des raisons évidentes de confidentialité. De ce fait, indiquent nos interlocuteurs : ‘’Il faut attaquer le taureau par les cornes. Les agents recruteurs sont les taureaux. Donc, c’est difficile de cerner l’émigration irrégulière, sans pour autant mettre la main sur eux.

Les méthodes de lutte contre l’émigration irrégulière, au niveau des hommes de tenue, sont obsolètes. Il urge de changer de fusil d’épaule pour lutter contre l’émigration irrégulière. Heureusement, les FDS sont conscientes de cela. Cela ne doit pas être difficile, car c’est une période qui existe durant la période de la forte chaleur entre mai et décembre. C’est inimaginable de voir des cas d’embarcation durant le froid. Les candidats le savent’’, soufflent nos interlocuteurs.  

La DNLT a fait avorter 10 projets de départ

L'antenne de la division nationale de lutte contre le trafic de migrants (DNLT) de Saint-Louis a été créée, il y a de cela quelques mois. Plus précisément le 13 avril 2013. Cette entité de la Division de la police de l'airs vient s'ajouter à celles de Rosso, Tambacounda et Karang, mises en place grâce au programme Sénégal sécurité internationale qui a noué un partenariat avec l'Union européenne (UE). Saint-Louis Saint-Louis a été choisie en raison de sa façade maritime, laquelle est ‘’une zone de départ''.

L'antenne couvre aussi la région de Louga qui est aussi pourvoyeuse de candidats à l’émigration. D'après le commissaire de police Bakary Faye, chef de la division nationale de lutte contre le trafic de migrants et pratiques assimilées à la Police de l'air et des frontières, l'antenne de la vielle ville est une étape dans la matérialisation de la montée en puissance de cette division créée en 2018 et qui a une compétence nationale. Il a souligné que la création des antennes régionales qui, avec celle de Saint-Louis sont aujourd’hui au nombre de sept, permet de réduire les délais d'intervention.  

Au niveau national, la DNLT a procédé, selon des chiffres rendus public à l’arrestation d’un total de 703 migrants sur les côtes sénégalaises, à l’arrestation d’un total de 47 organisateurs et convoyeurs, incriminés dans le convoyage des 703 migrants, appréhendés principalement aux départs des départements de Mbour, Saint-Louis et Dakar.

Les enquêteurs de la DNLT, qui ont une compétence nationale, sont parvenus à faire avorter 10 projets de départ. Il s’agit de projets ficelés où les migrants étaient regroupés généralement dans un local à proximité de la plage de départ. Parfois, les arrestations ont été faites, alors que les embarcations étaient sur le point de partir. Il y a aussi les cas où l’embarcation a été immobilisée en mer et ramenée sur la terre ferme.  

Au niveau de Saint-Louis, l'antenne régionale a fait, selon nos informations, depuis sa création, des résultats probants dans le cadre de la lutte contre l’émigration irrégulière. L’on nous signale que des centaines de migrants ont été interpellés, avant d’être libérés, vu que devant la loi, ils n’ont commis aucun délit. Le dernier en date est la réception de 240 migrants de retour qui ont été arrêtés à Dahla au Maroc, avant d’être rapatriés à Rosso dans le Nord du pays.

Du côté des recruteurs interpellés, nos sources n’ont pas voulu avancer de chiffres, arguant des raisons professionnelles.  

CHEIKH THIAM 

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