Publié le 30 Aug 2023 - 21:43

De la cupidité à la terreur

 

Notre pays, le Sénégal, vit des moments douloureux, que l’on n’aurait jamais pensé vivre au 21è siècle. La situation politique très tendue a rendu l’atmosphère socio-économique très délétère. En l’espace d’une décennie, les espoirs d’une vie meilleure, d’un vivre ensemble harmonieux dans une Nation unie, réconciliée avec elle-même, se sont envolés plus vite que l’éther exposé au vent.

Le peuple sénégalais ne mérite point cette situation. De tous temps, il a su faire preuve de résilience, d’abnégation dans le seul souci de mener une vie de paix, d’unité et d’espoir afin de léguer à la postérité une Nation prospère. Le Yalla bax na nous a permis de toujours voter dans la tranquillité,  de mener des alternances pacifiques qui nous rendaient fiers et jaloux de notre sénégalité. Soit, nous avons depuis les indépendances, eu des problèmes aigus avec la bonne gouvernance, mais la carte électorale nous permettait de sanctionner et d’espérer des lendemains meilleurs.

Nous avons traversé l’ère du parti unique avec son lot de frustrations pour ceux qui refusaient de partager la vision des dirigeants d’alors, mais cette période a été féconde dans la construction d’institutions un tant soit peu républicaines, nous avions ce qui se faisait de mieux en matière d’enseignement public avec les repas distribués aux enfants des écoles primaires, les internats et bourses aux élèves du secondaire, une bonne dotation en infrastructures sanitaires, la création par l’Etat de grande entreprises structurantes de gestion de nos richesses minérales (ICS) et transformatrices des produits de notre terroir (SONACOS) , la gestion étatique des infrastructures de développement (Port autonome de Dakar, Chemins de fer, etc.).

Nous avons transcendé la dure période de la sécheresse calamiteuse de la décennie 1970, suivie du fameux plan d’ajustement structurel qui a plongé le peuple dans une grande souffrance. Mais, le brave peuple sénégalais a eu comme récompense de sa patience et de sa tolérance, l’instauration du multipartisme intégral, qui nous a permis d’étrenner la première alternance démocratique en 2000. Quel beau symbole pour accueillir le nouveau millénaire. Les rêves les plus fous pour une vie d’ensemble meilleure devenaient permis.

Il ne restait plus aux nouveaux tenants du pouvoir, qu’à renforcer les acquis. Malheureusement, la désillusion a été grande avec les scandales sur les finances publiques et le foncier national qui a commencé à être dilapidé. Afin d’éviter toute forme de reddition de compte, le patriarche en Chef, qui s’est toujours battu pour l’avènement de la démocratie, a voulu céder le pouvoir à son fils biologique, par une dévolution de type monarchique. Encore une fois, les sénégalais ont unanimement dressé une forte barrière à ces velléités, au point de le faire reculer et d’organiser des élections libres et transparentes.

Un nouveau Président de la République, né après les indépendances et ayant bénéficié de tous les bienfaits de l’école publique, a été élu en 2012, par un Grand peuple. Depuis, nous assistons à une malencontreuse patrimonialisation clanique de l’Etat et de ses démembrements, à savoir les institutions et instruments de la République. Le niveau des scandales de dilapidation des deniers publics, de corruption, de népotisme, d’aliénation du foncier national a atteint des niveaux astronomiques, jamais vus dans ce pays. Des entreprises que des sénégalais ont bâti sur la patience, la sueur et le sang afin d’assurer un bon devenir à leurs descendances, sont détruites en usant, sans état d’âme, des instruments de la République. Les secteurs d’activités qu’ils ont solidifiés doivent être occupés par la caste dirigeante, car il faut trouver des créneaux pour investir les fonds issus de graves malversations sur les deniers publics. Ce genre de prédation est un crime multidimensionnel : Non pas que les fonds publics sont utilisés à des fins claniques, mais des entreprises sont détruites en utilisant, entre autres, des entreprises nationales que la caste dirigeante contrôle.

En outre, à des coûts faramineux, la mise en place de nouvelles infrastructures et même leur gestion, sont confiées à des entreprises étrangères, même si certaines de ces entreprises trainent à travers le monde, de bruyantes casseroles de corruption, à l’exemple de Alsthom devenue Thales, à qui la mise en place de notre unique Train Express Régional (TER) est confié. La confection d’infrastructures lourdes est considérée, dans les pays où les dirigeants sont soucieux du bien-être durable de leurs populations, comme un tremplin pour rendre performantes leurs entreprises locales et assurer l’employabilité de la grande masse. De par ses effets induits, elle doit favoriser le développement harmonieux de l’artisanat (confection des tenues et chaussures des travailleurs des chantiers), de la restauration et de l’immobilier rural (il faut bien nourrir et loger ces travailleurs), etc. Il en sera de même pour les entreprises locales de moindre importance, sous-traitantes des grandes entreprises adjudicatrices des chantiers.

Il se trouve que dans notre pays, les grands et même petits projets de mise en place d’infrastructures sont confiés à des étrangers (français, chinois, turcs, marocains), au détriment des réelles compétences nationales. De sorte que malgré les fonds colossaux engagés pour ces infrastructures, fonds issus de prêts que nos petits-enfants continueront à honorer, elles ne peuvent avoir aucune, ou très peu d’incidences  positives pour nos entreprises, notre artisanat ou la résorption de notre chômage qui ne cesse d’être endémique.

Les licences de pêche accordées à tout va aux pays de la communauté européenne et aux chinois sur nos côtes, a presque détruit notre pêche artisanale. Voilà un secteur qui occupait naguère, une frange très importante de la population. Cette dernière y trouvait des moyens substantiels de vie très décente. La décrépitude du secteur rentable et pourvoyeuse d’emplois de  la pêche a entrainé un désarroi total parmi ses acteurs. Les plus jeunes, n’ayant plus aucun espoir pour s’affirmer dans leur propre pays, ont voué leurs destins aux vagues de l’océan pour une émigration hypothétique voire suicidaire vers l’Europe.  Plusieurs jeunes ont laissé la vie dans ces circuits périlleux.

En plus, la SONACOS qui avait été créée pour transformer les graines d’arachide produites sur le territoire national, générant des dizaines de milliers d’emplois allant des cultivateurs aux employés des usines de la société, en passant par les camionneurs et autres intermédiaires de la filière, a vu ses activités presque mises en arrêt, car l’Etat, encore une fois, a préféré favoriser la vente des graines aux chinois, qui les transportent dans leur pays pour les transformer. Faute de graines à triturer, la quasi-totalité des employés de la SONACOS se trouve présentement en chômage technique, qui risque d’être définitif. Encore une autre flopée de désœuvrés qui n’a commis aucun délit, ni crime pour subir une telle sanction impitoyable.

En dehors de ces considérations socio-économiques désastreuses pour l’ensemble de la Nation, la perversion de notre idéal démocratique rend de plus en plus invivable ce pays pour les citoyens imbus de libertés. Depuis plus de quatre ans, les dirigeants et militants du parti le plus représentatif de l’opposition sénégalaise sont persécutés, dans le seul but de les faire disparaître de la scène politique, et souvent en violation de toute loi ou règlement. Son leader, Ousmane Sonko a été illégalement et violement enlevé et séquestré avec sa famille dans son domicile pendant 55 jours, sans droit de sortie, ni de visite. Son fils qui se rendait à son centre d’examen pour concourir au baccalauréat a été fouillé à l’entrée du centre comme un malfrat au point de provoquer l’ire de ses compagnons. Avec un tel traumatisme subi de manière très méchante et désinvolte, ce garçon ne pouvait guère décrocher son parchemin. Finalement, après une série de condamnations, Ousmane Sonko a été mis en prison et à ce jour, il en est à plus de 3 semaines de grève de la faim, avec d’autres détenus.

Notre système policier et judiciaire est devenu inquisitoire, de type politique. Les libertés les plus élémentaires d’expression sont systématiquement sévèrement réprimées. Il en va de la censure de livres discordants par rapport à la pensée des dirigeants politiques au pouvoir, à l’arrestation de journalistes, d’activistes et même d’élus du parti Pastef, qui au finish, a été dissous. En 2023 et au Sénégal, beaucoup de compatriotes, sont entrés dans la clandestinité ou ont pris le chemin hasardeux de l’exil. Combien sont-ils les compatriotes, qui attentent avec stoïcisme d’être arrêtés et envoyés en prison? Les raisons font florès dans notre arsenal juridique : Appel à l’insurrection, trouble à l’ordre public, actes de nature à compromettre la sécurité de l’Etat, diffusion de fausses nouvelles, etc.

Il reste évident que nous sommes dans un pays où la police et la justice nous interdisent de pousser un quelconque râle de souffrance quand le niveau de persécution devient insupportable. Toutefois, quand les citoyens (nes) qui ont perdu tout ce pourquoi ils se sont battus (es) toute une vie pour se réaliser et assurer un meilleur devenir à leurs enfants, quand la jeunesse n’a plus d’espoirs d’une vie meilleure dans son propre pays, quand la logique de prédation des dirigeants sape l’harmonie de la Nation, nulle persécution, nulle séquestration ne pourra annihiler les convictions sincères de préservation des libertés.

Bien au contraire, de telles pratiques ne feront qu’exacerber les sentiments de haine qui sourdent. A six mois d’une élection présidentielle, le principal parti d’opposition est mis en détention et il souffre le martyre, son parti est dissout, les traditionnels contrôles du fichier électoral et des règles préalables au vote n’ont plus cours. Le droit des citoyens à choisir leurs futurs dirigeants est dénié, et les tentatives de protestation contre de tels actes anti-démocratiques sont muselées, voire réprimées. Il n’y a aucun courage, aucune témérité, aucune noblesse à utiliser en tant que dirigeant, les instruments de la République, que le peuple leur a confiés pour détruire sans empathie, ses propres citoyens et leurs malheureuses familles.

El Hadji Malick DIA

28 août 2023

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