Le chemin escarpé vers l’autosuffisance alimentaire
Le Cadre de réflexion et d’action sur le foncier au Sénégal (Crafs) a organisé hier un forum sur le thème ‘’Bonne gouvernance foncière gage de la souveraineté alimentaire au Sénégal‘’. La rencontre a permis de passer en revue les problèmes (pression démographique, conflits fonciers, difficulté pour les jeunes et les femmes d’accéder à la terre, mauvaise gouvernance foncière…) qui empêchent l’atteinte de la souveraineté alimentaire.
Un forum sur le thème ‘’Bonne gouvernance foncière gage de la souveraineté alimentaire au Sénégal‘’ a été organisé hier par le Cadre de réflexion et d'action sur le foncier au Sénégal (Crafs). Lors de cette rencontre, le porte-parole du Crafs a confié que la gestion du foncier au Sénégal rencontre de multiples défis. Des défis, selon Babacar Diop, qui ont pour noms la pression démographique, les conflits fonciers, la difficulté pour les jeunes et les femmes d’accéder à la terre, une mauvaise gouvernance foncière et des ressources naturelles et des tentatives de réformes inabouties.
D’après lui, "les défis certes peuvent paraître nombreux, mais s'ils valorisent suffisamment les initiatives et dynamiques en cours, ils pourront les relever". C’est à ce titre qu’il a exhorté que l’on prenne appui sur "les récentes dynamiques conduites par la société civile qui ne cesse de réfléchir, de développer des expériences, de formuler des recommandations pour une meilleure gouvernance foncière au Sénégal".
Une telle démarche de leur part est dictée, selon lui, par "une volonté de créer non seulement un climat apaisé, mais aussi de booster le potentiel des exploitations familiales, d’impulser le développement agricole, de sortir les populations de la pauvreté et d’assurer une croissance économique durable pour notre pays".
"En tant qu’organisation de la société civile le Crafs a conduit récemment un processus de production de connaissances et de plaidoyers sur le foncier. Nous avons mis à jour notre document de position qui sera partagé avec vous".
De son côté, l’État ne cesse de déployer des efforts et de recourir à des démarches innovantes pour une meilleure gestion du foncier. D’ailleurs, "le nouveau régime élu en 2024 semble accorder une importance capitale au foncier, faisant des propositions qui doivent être étudiées sur celle qui concerne l’attribution de droits aux producteurs qui n’est pas conforme à nos positions".
Toutefois, malgré toutes ces actions que "nous menons pour une gouvernance foncière responsable dans notre pays, force est de reconnaître que les défis restent encore immenses". "Le foncier demeure problématique et sa gestion est toujours source de conflits".
"C’est dire que nous avons suffisamment de matière pour entretenir et alimenter nos réflexions au cours de ces trois jours", a-t-il souhaité.
Avant d’informer qu’il attend de ce forum des "résultats concrets, des pratiques analysées, des modes de gouvernance identifiés, des discussions sur les défis de l'entrepreneuriat et de l'employabilité, une meilleure compréhension des contributions des exploitations familiales, des investissements privés à la sécurité alimentaire et, enfin, des recommandations concrètes pour une gouvernance foncière orientée vers une souveraineté alimentaire durable et capable de mieux accompagner les propositions du nouveau régime".
En outre, parlant spécifiquement du thème de cet atelier, il dit constater avec regret que "notre pays n’a pas encore réussi à faire une meilleure exploitation agricole (superficies emblavées et rendements encore faibles) malgré un appel pour un retour à l’agriculture et une batterie de mesures d’accompagnement initiées par l’État dont on peut encore s'interroger sur leur efficacité".
De récentes études, a-t-il précisé, ont montré que "le contexte actuel de l’approvisionnement alimentaire au Sénégal est marqué par des défis importants, même si certains progrès sont notés". Le pays est confronté à "l’insécurité alimentaire, caractérisée par la sous-alimentation et une balance commerciale déficitaire en raison de l’augmentation des importations alimentaires".
"Cette situation, selon lui, a été aggravée par plusieurs facteurs tels que la faible productivité agricole, des pertes post-récolte considérables et un accès limité aux marchés pour les producteurs locaux".
"Dans un contexte de changements climatiques, notre préoccupation majeure, c’est qu’on intègre la préservation de l’environnement et la gestion durable des ressources dans la stratégie de souveraineté alimentaire, avec une priorité à la restauration des terres. Nos modes de productions et de consommation doivent être durables", a indiqué M. Diop.
‘’90 % de la production agricole est assurée par ces exploitations familiales’’
Venu présider cette rencontre, le secrétaire d’État aux Coopératives et à l’Encadrement des paysans a soutenu qu’au Sénégal, "90 % de la production agricole est assurée par ces exploitations familiales". Aux yeux d’Alpha Ba, il est important que "leurs ressources productives de base soient sécurisées par elles-mêmes".
"Mais quand on parle de sécurisation de ressources productives, dit-il, cela signifie, pour nous, venir à ces genres de rencontres, discuter avec eux, réfléchir avec eux pour prendre en compte leurs propositions et voir avec les orientations politiques de l’État comment aller vers un consensus qui puisse nous permettre d’aller vers une réforme foncière. Parce que vous n’êtes pas sans savoir que le foncier est géré par la loi sur le domaine national qui date de 1964. Dans cette loi, certes, il y a des aspects positifs, mais il y a des aspects dont il est temps qu’il faille interroger. Et cela est d’autant plus nécessaire, dans la mesure où le régime sortant avait initié des réflexions qui avaient abouti à l’élaboration d’un document de politique foncière. Et pour nous c’est de voir en collaboration avec des organisations de la société civile comment sortir ce document-là. S'il y a lieu de l'actualiser, on le fait ; s'il est à jour qu’on parte de ce document pour aller vers une réforme foncière, voire une législation foncière", a laissé entendre le secrétaire d’État.
Pour lui, il y a une chose sur laquelle tout le monde tombe d’accord est qu’il est important d’aller vers une réforme foncière. Mais on parle d’une réforme foncière qui est "inclusive, transparente et qui s’inscrive dans la durabilité des ressources naturelles".
"Le Conseil d’orientation agro-sylvo-pastoral est une vieille revendication des organisations paysannes au Sénégal et de la société civile. Parce que depuis la loi d’orientation agro-sylvo-pastorale a été promulguée en 2020-2022, il était prévu que ce conseil soit tenu. Il s’agit d’un moment d’échanges entre le président de la République, les organisations de la société civile - les paysans, les éleveurs et les pêcheurs - pour recevoir leurs doléances, discuter avec eux des orientations de l’État, mais aussi recevoir leurs orientations dans la politique. Malheureusement, ce conseil n’a jamais pu se tenir. Et dès que nous sommes arrivés au pouvoir, l’une des premières décisions, c’est d’afficher sa volonté pour que ce conseil puisse se tenir dans les plus brefs délais. Nous sommes en train de travailler avec toutes les organisations de la société civile pour aller vers la révision de la loi agro-sylvo-pastorale qui constitue le cadre normatif de base de tout ce qui doit se faire dans le milieu rural", a promis M. Ba.
Avant d’ajouter : "Nous pensons que si nous parvenons à aller vers une loi stabilisée dans les plus brefs délais, le président de la République pourra convoquer ce conseil. Il s’agira d’un moment symbolique, parce qu’autant le président reçoit tous les métiers du Sénégal, les enseignants, les médecins… il est tout à fait normal aussi qu’on donne une place prépondérante à ceux qui constituent la mamelle du Sénégal, à savoir les acteurs du secteur primaire. Le conseil est un moment de transmettre sans intermédiaire leurs préoccupations au président pour que l’État puisse s’atteler à les régler. C’est quelque chose d'important qui est prévu dans notre dispositif. Et nous espérons pouvoir le tenir avant la fin de l’année civile en cours".
"Il faut que l’État organise les assises de l'agriculture et du foncier"
Ndiouck Mbaye, membre de l'Alliance nationale femmes et foncier du Sénégal (ANFFS), a rappelé que l’état des lieux de la problématique de l’accès des femmes à la terre laisse paraître qu’elles sont utilisatrices de la terre, pilier du développement agricole, mais que, de façon générale, elles n’ont pas un accès sécurisé au foncier. Bien que les situations soient variées, selon elle, les femmes ont majoritairement des droits restreints et provisoires. Dans un contexte de société en mutation, avec de plus en plus des textes législatifs, des organisations non gouvernementales tentent d'apporter des solutions.
"Les femmes rurales développent d’autres activités à partir de la production agricole, de la cueillette, de l'élevage, de la pêche, etc. Le commerce de produits forestiers non ligneux en fait partie. Cette activité est destinée à leur procurer des revenus complémentaires pour l’achat de vivres et à renforcer la sécurité alimentaire de leur famille. Il est bien de noter que les pesanteurs socioculturelles qui menacent l’égalité, doivent être prises en compte, en mettant en place des programmes et des projets spécifiquement destinés à l’accès, au contrôle et à la valorisation du foncier aux femmes, corollaire d’une autonomisation des femmes rurales", a argué Mme Mbaye.
Par ailleurs, elle a informé que, selon le Plan d’action national de la femme, les femmes constituent 60 % de la force de travail et assurent environ 70 % de la production vivrière. Cela signifie qu’en réalité, c’est la femme qui nourrit le monde. Les statistiques de la FAO montraient, selon elle, que les femmes produisent 60 à 80 % des aliments et sont responsables de la moitié de la production alimentaire mondiale.
"Face aux enjeux fonciers, de la conjoncture économique, nous sommes dans l’urgence de relever les défis de la bonne gouvernance foncière qui, sans doute, nous conduira dans la perspective d'un développement durable, bien au-delà de la souveraineté alimentaire. Il faut aussi que l'Etat organise les assises de l'agriculture et du foncier", a-t-elle plaidé.
CHEIKH THIAM