Les pays de l’AES dénoncent un levier d’influence française

Lundi, le Niger et le Burkina Faso, suivis mardi par le Mali, ont annoncé successivement leur retrait de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Ces trois pays africains, actuellement gouvernés par des régimes militaires en opposition à la France, ont ainsi marqué une rupture symbolique avec une institution qui incarne, entre autres, la promotion de la langue française dans le monde.
Le français, parlé par plus de 321 millions de personnes sur les cinq continents, est la cinquième langue la plus utilisée au monde. Selon les projections, le nombre de locuteurs pourrait atteindre les 750 millions, d’ici 2070, notamment grâce à la croissance démographique en Afrique où le français est souvent une langue officielle ou de travail. Le Mali et le Burkina Faso, tout comme le Niger, sont d’anciennes colonies françaises où le français occupe une place importante dans l’Administration, l’éducation et les affaires, malgré la montée en puissance des langues locales.
Basée à Paris, l'OIF compte désormais 91 États et gouvernements avec pour mission de promouvoir la "langue française et la diversité culturelle et linguistique", "la paix, la démocratie et les Droits de l'homme", ou encore "d'appuyer l'éducation".
Le retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger de l'OIF marque une étape cruciale dans la recomposition des rapports entre l’Afrique francophone et la France. Au-delà d’un simple acte politique, cette décision reflète une volonté affirmée de redéfinir les alliances et les orientations diplomatiques de ces États sahéliens. Elle interroge aussi sur la place du français en Afrique, alors que la langue, bien qu’héritée de la colonisation, est désormais une réalité africaine et un vecteur d’unité entre différentes communautés linguistiques.
Une rupture politique et diplomatique avec la France
Le départ simultané des trois États sahéliens de l’OIF ne peut être dissocié du contexte de tensions croissantes entre ces régimes militaires et la France. Depuis les coups d’État successifs ayant renversé les régimes pro-français de Bamako, Ouagadougou et Niamey, une dynamique de rupture avec les institutions liées à la Francophonie est observée. Cette rupture s’inscrit dans une logique plus large de rejet de l’influence française, traduite notamment par le retrait du G5 Sahel et l’expulsion des forces militaires françaises.
L’OIF, malgré son mandat de promotion de la langue française et de la coopération culturelle et économique, a été perçue par ces gouvernements comme un outil de pression politique, notamment à travers la suspension de leurs pays après les putschs militaires. Ce retrait illustre ainsi une volonté de s’affranchir de ce que ces régimes considèrent comme une ingérence dans leur souveraineté nationale.
La Francophonie : un outil d’influence diplomatique limité ?
L’Organisation internationale de la Francophonie a longtemps été présentée comme un espace de coopération multilatérale et un levier d’influence diplomatique. Emmanuel Macron, lors du sommet de Villers-Cotterêts en octobre 2023, déclarait que ‘’la Francophonie est un espace d'influence diplomatique qui nous permet d'embrasser les enjeux du siècle’’. Toutefois, son poids réel sur la scène internationale demeure relatif.
Contrairement à des organisations telles que l’Union africaine ou la CEDEAO, l’OIF ne dispose ni de capacités militaires ni d’outils coercitifs lui permettant d’agir sur le terrain des conflits. Son rôle reste souvent cantonné à des déclarations de principe et des suspensions symboliques, comme en témoignent les sanctions prises contre le Mali, le Burkina Faso et le Niger, qui n’ont eu que peu d’impact sur la situation politique de ces pays.
Si l’OIF se veut un acteur de la promotion des Droits de l’homme et de la démocratie, son efficacité est remise en question par l’absence de mécanismes contraignants. Par ailleurs, son image est brouillée par la perception d’une trop grande proximité avec Paris, ce qui fragilise sa légitimité auprès des États africains en quête d’une souveraineté plus affirmée.
Le français en Afrique : une langue d’adoption
Si le retrait de ces trois pays de l’OIF questionne le poids de la Francophonie institutionnelle, il ne remet pas en cause l’usage du français en tant que langue de communication en Afrique. Comme le souligne le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne, le français, tout comme l’anglais et le portugais, est devenu une langue africaine à part entière.
Contrairement à l’idée d’une langue imposée, le français s’est enraciné dans les pratiques sociales, économiques et éducatives du continent. En tant que lingua franca, il sert de pont entre différentes langues locales, à l’image du wolof au Sénégal ou du bambara au Mali. Dans des pays où coexistent de multiples ethnies et dialectes, il facilite la communication et l’accès au savoir.
Ainsi, la Francophonie ne peut survivre en Afrique que si elle reconnaît et valorise les langues locales. La cohabitation des langues doit être perçue non pas comme une compétition, mais comme un enrichissement mutuel. Les efforts doivent se concentrer sur une meilleure intégration des langues africaines dans les politiques linguistiques, tout en maintenant le français comme un outil d’unité et de connexion avec le reste du monde.
L’Observatoire démographique et statistique de l’espace francophone (ODSEF) prévoit que d’ici 2050, 70 % des francophones seront des Africains. Un chiffre largement mis en avant le 20 mars, Journée internationale de la Francophonie.
Un repli stratégique ou un repositionnement ?
Le retrait du Niger, du Burkina Faso et du Mali de l’OIF ne signifie pas forcément un rejet total de la langue française. Il s’agit plutôt d’une volonté de se distancier des institutions jugées trop proches de l’ancienne puissance coloniale. Ces pays, en quête de nouveaux partenaires, se tournent davantage vers des alliances avec la Russie, la Chine ou encore la Turquie, redessinant ainsi le paysage diplomatique de la région.
En définitive, la Francophonie traverse une crise existentielle qui dépasse ces retraits. Pour rester pertinente, elle devra s’adapter à un monde en mutation et à des États africains plus exigeants en matière de coopération et de respect de leur souveraineté. Le défi consiste à réinventer un modèle où la langue française n’est plus perçue comme un outil d’influence politique, mais comme un patrimoine commun, au service du développement et du dialogue interculturel.
AMADOU CAMARA GUEYE