Publié le 27 May 2025 - 16:01
UNE OPPOSITION MINORITAIRE FACE AU DIALOGUE  

Le choix risqué du boycott

 

Il est des moments où l’histoire ne force personne, mais convoque tout le monde. Le Dialogue national, prévu le 28 mai, ne répond ni à une urgence conjoncturelle ni à une crise institutionnelle. Il ne survient pas en réponse à une impasse, mais en proposition d’ouverture. Et cette ouverture, dans le contexte actuel du Sénégal, prend une valeur politique rare.

Le pouvoir en place, issu d’une double légitimité présidentielle et parlementaire, aurait pu gouverner seul, fort de ses appuis et de son ancrage populaire. Rien ne l’y empêchait, ni sur le plan juridique ni sur le plan institutionnel. Il a pourtant fait le choix, peu fréquent en Afrique, de suspendre le monopole de l’initiative pour proposer une méthode : celle du dialogue républicain. Il aurait pu imposer. Il a préféré concerter.

Ce geste, à lui seul, vaut d’être salué. Il témoigne d’une volonté de construction partagée, d’un refus de la victoire solitaire et d’une intelligence démocratique qui choisit d’associer plutôt que d’écraser. À cette main tendue, une grande partie de la société politique a répondu positivement. Mais une minorité a fait le choix du boycott. Non parce qu’elle a été écartée, mais parce qu’elle a estimé que le cadre ne valait pas la peine d’être investi.

Ce choix est lourd de conséquences. Car se retirer d’un dialogue qui engage l’avenir du pays, ce n’est pas affirmer une ligne, c’est renoncer à la défendre là où elle compte. C’est refuser d’habiter le débat public à l’instant même où il s’ouvre. Et cela, qu’on le veuille ou non, affaiblit toute prétention à porter un projet alternatif.

Les motifs avancés sont connus : méfiance vis-à-vis des intentions du pouvoir, dénonciation de certaines pratiques institutionnelles, crainte d’un dialogue vide ou verrouillé.

Mais ces raisons, prises isolément ou ensemble, ne justifient pas un retrait. Elles appellent, au contraire, une participation vigilante, une parole présente, une confrontation argumentée. Car c’est précisément pour corriger ce qui semble déséquilibré qu’il faut s’asseoir à la table. On ne défend pas la République en s’absentant de ses lieux de délibération.

 Ceux qui refusent de prendre part à ce moment crucial s’inscrivent dans une logique d’opposition rigide, presque doctrinaire, où tout compromis est vu comme une compromission. Or, dans les démocraties réelles, ce sont les idées qui affrontent les idées, pas les postures qui défient les processus. L’histoire ne se souvient pas des absents. Elle retient ceux qui ont pris part, même en minorité, même en désaccord, aux moments de bascule.

 Et s’il est un précédent sénégalais qui mérite d’être rappelé ici, c’est bien celui d’Abdoulaye Wade et du Parti démocratique sénégalais. Opposant historique au Parti socialiste, Me Wade n’a jamais fait de la chaise vide une stratégie durable. Il a compris que la meilleure façon de préparer une alternance est de s’insérer dans les dynamiques institutionnelles, aussi imparfaites soient-elles, pour mieux les infléchir. En 1991, il acceptait d’entrer au gouvernement. En 1992, il signait les accords de la place Washington pour réformer le Code électoral. Il a toujours su conjuguer critique et participation, distance et engagement. C’est cette posture d’opposant présent, jamais absent, qui l’a conduit au pouvoir en 2000.

 La République ne s’écrit pas sur les marges. Elle se façonne dans le tumulte des voix, dans l’épaisseur du débat. Fuir le débat, c’est laisser les autres décider à sa place. Et ceux qui choisissent aujourd’hui le silence stratégique devront demain assumer les décisions prises sans eux.

 La société sénégalaise regarde. Elle ne s’émeut plus des postures lointaines. Elle attend de ceux qui aspirent à gouverner qu’ils fassent la démonstration de leur capacité à débattre, à construire, à proposer. La politique n’est plus une affaire d’aura. Elle est une affaire de responsabilité. Et l’on ne peut réclamer demain un pouvoir qu’on refuse d’assumer aujourd’hui dans le débat.

 Ailleurs sur le continent, on a vu ce que produit le boycott : retrait prolongé, isolement croissant, effacement progressif. Le dialogue ne s’est jamais arrêté, parce que certains ont refusé de venir. Il a continué. Et ceux qui ne s’y sont pas rendus ont simplement cessé d’être écoutés.

Ce dialogue national n’est pas un piège. Il est un test. Pour le pouvoir qui doit écouter. Pour les forces politiques qui doivent proposer. Pour la démocratie qui doit se renforcer. Ceux qui s’en écartent aujourd’hui prennent le risque non de gêner le processus, mais de se mettre eux-mêmes hors du processus.

Et dans un moment comme celui-ci, où les fondations de l’État se redessinent, il n’y a pas d’espace pour l’ambiguïté. Être là, c’est vouloir peser. Être absent, c’est accepter de disparaître du récit.

Bon dialogue à tous. Que les convictions s’expriment, que les désaccords s’élèvent, mais que l’intérêt supérieur du Sénégal l’emporte sur tout. Ce moment est une chance. À chacun d’en faire un tournant utile ou de s’effacer.

HADY TRAORE
Expert-conseil
Gestion stratégique et Politique Publique- 
Canada Fondateur du Think Tank : Ruptures et Perspectives

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