‘’Il y a eu des déménagements massifs de matériel sensible…’’

En marge d’un atelier organisé par le Centre africain d’intelligence stratégique et l’université pour la paix des Nations Unies (Cis-Paix) sur la formation en géopolitique pour les journalistes et jeunes diplomates, le docteur Abdou Latif Aidara, géopolitologue et directeur général de Cis-Paix, est revenu sur le bilan de la guerre qui oppose Israël et l'Iran, avant d’en dégager les perspectives.
Docteur Aidara, comment analysez-vous cette guerre entre Israël et l'Iran ?
Cette guerre, déclenchée le 13 juin 2025 avec l'opération israélienne ‘’Rising Lion’’, représente la troisième phase du conflit irano-israélien, qui s'est transformé en guerre ouverte. L'escalade a été progressive, depuis octobre 2023, mais l'axe de résistance iranien a subi de graves revers avec la chute du gouvernement de Bachar el Assad en Syrie et l'affaiblissement du Hamas et du Hezbollah. Cette guerre révèle deux transformations majeures : un changement d'approche stratégique où Israël a abandonné la retenue pour adopter l’illimitisme, une doctrine de frappe préventive massive sans limites. Un glissement vers une forme de ‘’loi de la jungle face au jardin’’ doublé d’un suprématisme exacerbé où la force prime sur le droit, contribuant ainsi à l'implosion du droit international.
L'entrée directe des États-Unis dans le conflit, avec des frappes américaines sur trois sites nucléaires iraniens utilisant pour la première fois les bombes GBU-57, témoigne de l’emprise de la droite israélienne sur la puissance américaine.
Selon vous, qui sort victorieux et pourquoi ?
Analysons, dans un premier temps, les gains et pertes. Pour Israël : Netanyahu affirme qu'Israël ‘’s’est rapproché’’ de ses objectifs grâce à Trump et aux frappes américaines sur les installations nucléaires iraniennes, après l’affaiblissement significatif de l’axe de résistance iranien en Syrie et au Liban.
Mais un isolement diplomatique et social progressif ainsi que les restrictions de voyage pour ses dirigeants peuvent, à la longue, rendre leur monde très étroit.
Pour l’Iran : Le pays a reconnu plus de 400 morts et 3 056 blessés, majoritairement des civils. Des dégâts sont certes observés sur les installations nucléaires, mais le guide suprême affirme que le pays possède toujours des stocks d’uranium enrichi. Il est à noter que les observateurs avertis du Moyen-Orient affirment que, dans cette guerre que l’Iran prépare depuis plus de 20 ans, il y a eu des déménagements massifs de matériel sensible vers des endroits inconnus et sécurisés.
Il faut aussi noter que l’attaque israélienne a ravivé un profond sentiment nationaliste en Iran et consolidé le pouvoir des mollahs. D’autant plus que les appels à la révolte contre l’équipe dirigeante, malgré des échos amplifiés, n’ont pas trouvé de résonance.
Le silence de l’homme fort de la Corée du Nord, Kim Jong-Un, comment l’expliquez-vous ?
La Corée du Nord perçoit la récente frappe aérienne américaine comme une menace militaire préventive et va probablement accélérer ses efforts pour améliorer sa propre capacité de frappes préventives par missiles. Le pays a adopté une position d’observateur stratégique, analysant les implications pour son propre programme nucléaire.
Selon le chef de l’État nord-coréen, les pays ne disposant pas d’armes nucléaires, comme l’Irak, la Libye ou l’Iran, ont été ciblés par les États-Unis pour ce motif.
Quel avenir entrevoyez-vous entre ces deux pays et quelle sera la place de l’Iran dans le monde ?
L’ONU a mis en garde contre le danger d’un ‘’cycle sans issue’’ où la violence aveugle appelle une vengeance tout aussi aveugle, sans résolution diplomatique claire. Concernant la place de l’Iran : il demeure une puissance convoitée et en est conscient. C’est le seul pays au monde qui s’ouvre sur deux pôles pétroliers durablement productifs, la mer Caspienne au Nord et le golfe Persique au Sud. Sa recherche frénétique de l’arme nucléaire sera donc renforcée, car c’est ‘’une assurance-vie’’.
Par ailleurs, l’ambassadeur iranien s’est rendu à Moscou pour des consultations, avec un discours indiquant un rapprochement avec l’axe russo-chinois. Dans ce nouveau Moyen-Orient marqué par une spirale de violence alimentée par un climat d’impunité, émerge une réalité guerrière conjuguant technologie avancée et désorganisation des institutions internationales.
L’avenir dépendra largement de la capacité des acteurs internationaux à rétablir un cadre diplomatique fort et à revenir à ce que Dominique de Villepin a toujours affirmé : ‘’Il n’y a qu’une seule arène, celle du droit international.’’
Quel est votre avis sur le mandat d’arrêt émis contre le Premier ministre d’Israël et les autres dignitaires de ce pays ?
La CPI (Cour pénale internationale) a émis des mandats d’arrêt contre Benjamin Netanyahu et Yoav Gallant, le 21 novembre 2024, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Cette décision est historique, car c’est la première fois, depuis la création de cette institution, en 2002, que des responsables politiques sont inculpés contre la volonté des Occidentaux. La CPI démontre ainsi qu’elle juge des actes et non des statuts internationaux ou des profils politiques. La situation révèle des divisions importantes : plusieurs pays européens comme les Pays-Bas, l’Irlande et l’Espagne ont affirmé qu’ils arrêteraient Netanyahu, tandis que la France a invoqué une immunité pour ces autorités israéliennes. Toujours est-il que cette décision rétrécit considérablement la marge de manœuvre de Netanyahu et de son ancien ministre de la Défense, puisque 125 États sont désormais dans l’obligation juridique de les arrêter, s’ils entrent sur leur territoire. Qu’ils le fassent ou non.
PAR CHEIKH THIAM