Le diagnostic amer du neuropédiatre Pr Moustapha Ndiaye

Au Sénégal, il y a plus de 547 000 enfants handicapés. Avant-hier, le neuropédiatre Pr Moustapha Ndiaye a fait un vibrant plaidoyer, face aux difficultés d’accès au système de santé pour ces enfants et leurs parents. Il a fait des recommandations pour une meilleure prise en charge de cette couche sociale, dans un pays qui manque cruellement de spécialistes dans ce domaine.
Lors du congrès « Enfant soleil monde pour l’inclusion des enfants handicapés », avant-hier, le neuropédiatre Pr Moustapha Ndiaye a fait une communication sur le thème : « La santé, un pilier essentiel de l’inclusion sociale ». D’après lui, les données actuelles de l'Agence nationale de la statistique et de la géographie donnent un taux de prévalence de 7,3 % d’enfants victimes de handicaps, soit exactement 547 500 enfants de moins de 15 ans qui vivent avec un handicap au Sénégal. « Ce sont des handicaps divers, allant de la déficience intellectuelle à la paralysie cérébrale motrice ou l’insuffisance motrice cérébrale, mais également les handicaps sensoriels, visuels et autres », renseigne-t-il.
Le neuropédiatre ajoute : « La prise en charge de ces handicaps nécessite l'accès à des professionnels de santé dans les domaines des neurosciences, mais également l'accompagnement de structures de soins de santé adéquates. Les parents semblent souvent réaliser, confusément, que leur enfant a des difficultés, voire un handicap. Ils s'adressent très souvent à leur entourage et aux professionnels de santé auxquels ils ont accès ». Or, souligne-t-il, il est important de souligner les défis auxquels ces parents sont confrontés. « Ils se posent des questions tout à fait légitimes : De quoi ces enfants sont-ils accompagnés ? Quelle est la cause de leur situation ? Quel est le processus social nécessaire pour vivre l'expérience familiale ? »
« Mais ces questions, indique le neuropédiatre, ne peuvent trouver de réponses que si l'on accède à des professionnels de santé. La réalité, c'est qu'actuellement au Sénégal, il y a très peu de professionnels compétents pour accompagner ces enfants. Quand je parle de médecins : nous avons 2 psychiatres pour 19 millions d'habitants, 5 neuropédiatres, une vingtaine d'orthophonistes dont un seul dans le public. À cela s'ajoute un problème de formation : nos diplômes ne sont pas reconnus, ce qui empêche l'intégration dans le système public. »
Pour illustrer les difficultés, il renseigne : « Aujourd'hui, obtenir un rendez-vous avec un kinésithérapeute public prend 2 à 6 mois. Si par chance vous êtes pris en charge, on vous demandera de "reprendre dans quelques semaines" pour libérer des places. » Or, fait-il remarquer, « pour un enfant ayant des troubles du langage, l'accès aux soins privés reste financièrement inaccessible à la majorité des familles. À cela s'ajoute l'absence de soutien étatique : la Carte d'Égalité des Chances, qui aurait pu faciliter l'accès aux soins, n'a pas été dotée des moyens nécessaires », regrette-t-il.
Les conséquences sont dramatiques pour la majorité des familles. Pr Moustapha Ndiaye de témoigner et d’alerter : « Le handicap crée des tensions familiales. Beaucoup de couples se séparent face à ce défi. Ces familles ont besoin de psychothérapeutes formés, mais le Sénégal n'en dispose pratiquement pas. C'est une urgence sociale aux impacts dévastateurs sur les plans humain et financier. »
Les pistes de solution du neuropédiatre
Face à ce tableau peu reluisant, Pr Moustapha Ndiaye indique que la priorité de l'État doit être la formation et la capacitation des ressources humaines, par la mise en œuvre des formations concernées dans les universités publiques du Sénégal, la valorisation et la reconnaissance des diplômes. ‘’L'accès gratuit au système de santé publique et des subventions, ainsi que l'érection de centres de santé spécialisés constituent des impératifs. Il faut travailler à rendre ces centres accessibles au plus grand nombre’’, lance le neuropédiatre.
L’autre piste de solution est médicale. En effet, le spécialiste souligne que « dans la plupart des cas, le handicap est dû à une cause évitable, à des défaillances liées aux cadres de vie et aux conditions sanitaires ». Il s’explique : « Je veux parler des anomalies de la grossesse et de l'accouchement. Aujourd'hui à Dakar, il est extrêmement difficile pour une femme enceinte de trouver une maternité de proximité. Pour caricaturer : si vous accouchez à 7 heures du matin, ils vous font sortir à 11 heures avec toutes les conséquences que cela implique. Les infections cérébrales, les maladies génétiques et consanguines, sans oublier les causes toxiques liées aux pollutions environnementales », déplore-t-il.
Ainsi, le neuropédiatre rappelle que « la santé reproductive est une priorité de santé publique déclinée depuis longtemps au Sénégal’’. Mais dans les faits, cela ne se traduit pas. ‘’Combien de femmes parviennent à accéder à ce système ? Les politiques publiques doivent garantir aux femmes en âge de procréer des conditions de sécurité optimales. Il importe que les grossesses soient menées à terme et que les accouchements se déroulent dans des environnements sécurisés », lance-t-il.
Le Professeur Ndiaye insiste sur l'urgence d'« une politique de salubrité pour nos villes, campagnes et habitats. L'insalubrité et le déficit vaccinal génèrent nombre de maladies et complications », prévient-il. Avant d’ajouter : « Si ces mesures sont appliquées, nous pourrons réduire drastiquement la fréquence de ces pathologies d'ici cinq ans. Le handicap n'est pas une fatalité. Cela relève d'une volonté politique que le Sénégal peut incarner. »
Il appelle de ces vœux une campagne nationale d'information.
« L'État a la volonté de mettre en place des structures permettant d'accompagner ces enfants, mais…’’
De son côté, Aïcha Ndiaye, directrice exécutive de l'ONG Enfants Soleils Sénégal, a rappelé que sa structure « lutte pour l'insertion des enfants à besoins spécifiques, notamment ceux atteints de 13 à 21 ans, d'autisme et d'indice de masse corporelle (IMC) ».
« Ces enfants ont un problème d'insertion, de scolarisation avec une prise en charge très chère. C’est la raison pour laquelle nous agissons en tant que parents pour les aider à s'insérer, à être scolarisés de façon gratuite et que ce soit accessible pour tous les enfants partout au Sénégal. Il y a beaucoup d'enfants qui sont atteints de ces handicaps, mais malheureusement, ils font face à un problème d'orientation. Quand une maman met au monde un enfant différent, déjà pour l'orientation, c'est tout un problème. Pour la prise en charge sanitaire, c'est coûteux. Et enfin, quand l'enfant grandit, il y a encore d'autres problèmes, comme la scolarisation et tout. Donc c'est bien connu, mais les parents n'ont pas les orientations qu'il faut », regrette-t-elle.
Néanmoins, elle garde espoir. « On voit que l'État a la volonté de mettre en place des structures permettant d'accompagner ces enfants, mais il reste beaucoup à faire. Le parent est marginalisé, stigmatisé. Donc la meilleure chose à faire, c'est d'avoir des structures qui les orientent au début et le message qu'on donne, c'est que le handicap n'est pas une fatalité. Quand un enfant est bien pris en charge, il peut être autonome et intégré dans la société. Donc aujourd'hui, on a organisé ce congrès pour réunir toutes les organisations, toutes les parties prenantes gravitant autour du handicap pour échanger sur des programmes, des pratiques pour améliorer les programmes et politiques de prise en charge des enfants en situation de handicap et ceux à besoins spéciaux ».
CHEIKH THIAM