'Les Sénégalais s’habillent mal''
Créateur de la marque Sartorisen (Ndlr : Sartoria veut dire haute couture en italien), Ibrahima Sène est un styliste sénégalais qui a tissé une partie de sa saga en Italie. Il est rentré au Sénégal à l'invite à venir œuvrer pour le développement du pays faite à la diaspora par le président Abdoulaye Wade. Depuis lors, le natif de Pikine a dans ses bagages un projet de cité textile qui requiert un investissement de 11 milliards de F Cfa. Dans cet entretien avec EnQuête, Ibrahima Sène parle de ce projet et retrace sa vie de couturier dans la botte européenne. Au passage, il apprécie le style d'habillement sénégalais : plutôt de mauvais goût.
Vous aviez quel genre de clientèle en Italie ?
J’avais une clientèle variée. Je faisais de la lingerie, je cousais des robes de mariage et des ensembles costume. J’ai fait beaucoup de choses en Italie. Mon avantage est que j’ai eu une bonne formation au Sénégal. En Italie, on n'est formé que sur une chose, alors qu’au Sénégal, on touche à tout.
Avez-vous travaillé avec de grands noms de la haute couture italienne ?
Non, très sincèrement. J’ai juste eu à travailler avec leurs sous-traitants. Vous savez, ces grands créateurs n’ont pas d’ateliers. Ils réfléchissent sur des modèles et les donnent à des entreprises qui se chargent de les confectionner. Par exemple, j’ai travaillé avec El Vira qui était en partenariat avec Dolce & Gabbana et Giorgio Armani.
Qu'est-il advenu de votre atelier en Italie ?
Je l’ai fermé finalement. Je ne pouvais plus être des deux côtés. Mes partenaires italiens me disaient : ''Ne marche pas dans les affaires mais vole pour que ça aille vite.'' Ils savent qu’en Afrique, les choses vont lentement au niveau de l’administration. Même pour avoir une audience, il faut faire plein de va-et-vient.
En attendant que votre projet voie le jour, où en est votre chiffre d’affaires depuis votre déménagement ?
C’est diamétralement opposé par rapport à ce que je gagnais et représentais en Italie. Là-bas, j’étais ce qu’on appelle un ''signore'' ( lire signoré qui veut dire un grand monsieur). Je signais même des autographes dans la rue.
Avez-vous habillé des stars ?
Non, mais j’ai habillé des milliardaires comme Balducci et Fabricio Palensona. Je leur confectionnais un costume à 1700 euros. Au Sénégal, quand on réclame 300 000 F Cfa pour de pareils costumes avec la même qualité de tissus, les gens disent que c’est cher. Tous les tissus que j’utilise actuellement viennent d’Italie. Je travaille avec du ''Super 100'' et je confectionne des ensembles obasanjo avec. Mais ils sont cousus d’une manière particulière, c'est-à-dire coupés comme des costumes avec des manches de veste et des pantalons classiques. C’est la collection diaspora. Je les vends entre 150 000 F Cfa et 200 000 F Cfa. J’ai une clientèle variée mais essentiellement composée de personnalités dont je ne pourrais dévoiler les noms.
Comment appréciez-vous le secteur de la mode au Sénégal ?
Le secteur n’avance pas. On ne change pas. On fait les mêmes choses. Peu de gens vivent de ce métier, il y a problème. Dès qu’il y a coupure d’électricité, certains ne produisent plus. Il faut que les gens s’améliorent. Il faut que cela aide à développer l’économie du pays. Le secteur doit être organisé.
A votre avis, les Sénégalais s’habillent-il bien ?
Non, je suis désolé. Cela me fait très mal. Les Sénégalais s’habillaient mieux avant. Les gens s’habillaient de manière correcte et aimaient la sape. Aujourd'hui, l’habillement est dévalorisé avec les check down. Ils font sortir leurs caleçons et ce n’est pas joli. Avant, on ne laissait même pas la chemise hors du pantalon, ce n’était pas joli. Les hommes ne savent même plus quelles couleurs choisir. Il ne s’y attarde pas et pourtant, c’est important. Ils ne sont plus exigeants envers eux-mêmes.
Vous est-il arrivé, après une commande, de dire au client que le modèle ne lui siérait pas ?
Bien sûr, il m’arrive de conseiller mes clients, et ils m’écoutent la plupart du temps. Le couturier doit même préserver sa signature. Car si l’habit est mal porté, on critique souvent le couturier, pas celui qui le porte.
BIGUÉ BOB
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