Proposition de solutions pour le Fichier électoral et le parrainage
FICHIER ELECTORAL
Le code consensuel de 1992 a permis au Sénégal de réaliser trois alternances politiques en 2000, en 2012 et en 2024 mais malgré cela le fichier électoral n’a cessé de faire l’objet de contestations de la part de certains acteurs.
Sur la demande des acteurs politiques, un audit du fichier électoral en 2010-2011 fut réalisé par des experts indépendants.
Le fichier électoral enrichi par les recommandations issues de l’audit international de 2010-2011 avait bénéficié de l’adhésion de la presque totalité des acteurs politiques. Un comité de suivi où tous les acteurs étaient représentés, présidé par la société civile avait bien fonctionné pour suivre l’application des recommandations issues de l’audit.
Il faut reconnaitre cependant qu’un nombre important de cartes d’électeur non retirées, appelées communément ‘stock mort’ demeurait toujours dans les commissions administratives, ce qui faussait un peu les taux de participation déclarés lors des élections car le nombre de cartes de ce stock est pris en compte dans le calcul du taux.
La révision ordinaire qui a précédé le referendum de 2016 a permis de faire une mise à jour du fichier électoral mais la production des cartes qui s’en est suivie a créé des suspicions au sein de la classe politique car pour des raisons techniques semble t-il un nombre important de cartes n’avait pas été édité par le Ministère de l’Intérieur privant ainsi certains citoyens d’accomplir leur droit de vote au référendum du 20/03/2016 sur les modifications à apporter à la Constitution.
Devant l’importance du stock mort, le Ministère de l’Intérieur décida alors de procéder à une refonte dont l’objectif était d’avoir un fichier fiable pouvant garantir des élections justes et transparentes.
Cette refonte présentait un caractère très original car elle couple la carte d’identité CEDEAO et la carte électeur.
Cela permit de disposer dans une seule carte les éléments d’identification et les données électorales, ce qui, du coup, réduit le temps du déroulement du vote car tous les éléments de contrôle se trouvent sur la même carte.
Dans son principe cette refonte a été acceptée par tous les acteurs avec la seule réserve que le temps qui séparait le démarrage des opérations et les élections législatives de juillet 2017 était relativement court.
Beaucoup de dysfonctionnements ont été rencontrés entre la production et la distribution des nouvelles cartes.
Ainsi à la date du 30/07/2017, un audit du fichier électoral a révélé que 1.021.502 électeurs n’ont pas pu disposer de leurs cartes d’électeurs et 966.014 cartes n’ont pas été éditées.
Force est de constater que prés de deux millions d’électeurs n’ont pas pu alors accomplir leur devoir de vote lors des législatives de 2017.
Le déroulement de la refonte et ses conséquences au niveau de la production et de la distribution des cartes électeurs ont créé un climat de suspicion au niveau de l’opposition qui doute de la fiabilité du fichier électoral après la refonte.
En 2018 un audit du fichier électoral qui n’a duré qu’un mois fut effectué par des experts indépendants. La méthodologie utilisée par les experts était identique à celle de l’audit de 2010-2011 avec une participation négligeable des acteurs. La conclusion de cet audit est que le fichier quoique perfectible, est cohérent, de bonne qualité, et constitue une base solide pour l’organisation d’élections.
Les experts avaient formulé 38 recommandations et suggéré la création d’un comité de suivi qui n’a jamais vu le jour.
A la suite de l’élection présidentielle de 2019 remportée par BBY qui était la coalition de la majorité, il y’a eu beaucoup de suspicions sur la fiabilité du fichier électoral car au contrôle du parrainage cinq (5) candidatures seulement sur 27 ont été validées et sur 1.414.789 parrainages fournis 720.610 ont été rejetés.
Les partis politiques de l’opposition ont émis des réserves sur les résultats du contrôle des parrainages car ne connaissant pas les termes de référence du logiciel et doutant de la fiabilité du fichier mis à la disposition du Conseil constitutionnel.
Ils dénoncèrent également la non tenue des commissions administratives pour la révision des listes électorales depuis 2018 car selon les dispositions du Code électoral, chaque année une révision ordinaire des listes électorales doit se tenir du 1 er février au 31 juillet
Dès lors ceci prive beaucoup de jeunes d’avoir une carte d’électeur afin d’exercer leur droit de vote.
Face aux griefs portés par l’opposition sur le fichier d’électoral et le contrôle des parrains et d’autres manquements sur le déroulement du processus électoral, un dialogue politique regroupant tous les acteurs fut instauré. Les partis de l’opposition demandèrent un audit du fichier électoral et une évaluation du processus électoral par des experts internationaux indépendants avant la tenue des élections locales.
L’Etat ayant accepté la demande des partis de l’opposition, le dialogue put se dérouler concomitamment aux missions d’audit et d’évaluation.
A la fin, La mission d’audit conclut en ces termes : le fichier électoral audité, malgré quelques légères anomalies relevées est cohérent et fiable. Cependant il reste perfectible et nécessite la mise en œuvre des recommandations de l’audit pour les prochaines révisions des listes électorales.
PARRAINAGE
Le système de parrainage a toujours existé dans le code électoral mais il était appliqué aux seuls candidats indépendants.
Dans un souci de rationaliser les candidatures aux différentes élections suite au nombre relativement important de listes aux législatives de juillet 2017, la loi a généralisé le parrainage qui s’applique maintenant à tous les candidats (partis, coalitions de partis ou indépendants) avec des conditions bien déterminées.
Cette loi qui vient ajouter une étape de plus dans le processus électoral n’a pas fait l’objet d’un consensus au niveau de la classe politique.
Devant le nombre très élevé de rejets lors du contrôle des parrainages, une partie de la classe politique a émis de sérieuses réserves sur la fiabilité du contrôle des parrainages car elle ignore les termes de référence du logiciel et doute de la fiabilité du fichier électoral utilisé cet effet.
Le système de parrainage a évolué car une réforme de la loi permet aux élus de parrainer un candidat aux élections.
S’agissant du parrainage par les élus (députés et élus locaux), il faut au moins 13 députés ou 120 chefs d’exécutifs territoriaux (maires et présidents de département) ce qui exclut beaucoup de candidats, pour preuve lors de la présidentielle 2024, seul BBY pouvait parrainer par les élus locaux.
Le parrainage par les élus est une avancée significative mais il faut revoir la formule.
Les différents audits du fichier électoral ont confirmé une fiabilité du fichier mais cela ne doit pas surprendre car grâce aux procédures de la DAF et aux contrôles techniques des logiciels d’application, le fichier ne contient pas de mineurs, de doublons biométriques, de lieux de vote et de bureaux non référencés et les adresses électorales sont bien référencées pour chaque électeur.
Certains acteurs devant la non disponibilité du fichier électoral, les nombreux parrains rejetés pour motif ‘n’existe pas dans le fichier’, les multiples changements de bureau de vote qui déroutent les électeurs le jour du scrutin ont encore émis des suspicions sur le fichier utilisé pendant le contrôle des parrains et l’édition des listes électorales. Ils sont allés jusqu’à penser à une manipulation du fichier.
La non tenue des commissions administratives pour les révisions ordinaires des listes électorales depuis 2018 privant ainsi beaucoup de primo votants de s’inscrire fait que le fichier électoral actuel a laissé en rade un nombre très élevé de jeunes qui n’ont pas pu accomplir leur droit de vote.
SOLUTIONS PROPOSEES
Au vu des dysfonctionnements constatés pendant l’enrôlement des électeurs, la production et la distribution des cartes d’électeurs et le contrôle des listes de parrainage, il est impératif de mettre en place un fichier électoral et un contrôle de parrainage acceptés de tous les acteurs.
Ceci nous amène à faire les propositions suivantes.
- Fichier électoral
Il faut commencer par distribuer le stock des cartes en souffrance dans les commissions administratives.
Pour cela le Ministère doit recenser toutes les cartes restantes dans les commissions administratives après l’élection Présidentielle et créer une commission nationale dans laquelle sont représentés l’Administration, la CENA, les partis politique et le société civile et dont l’objectif est de distribuer toutes ces cartes afin d’apurer le stock.
Un logiciel de suivi sera mis en place par la DAF pour les besoins de cette opération.
- L’enrôlement
La révision ordinaire des listes électorales qui dure 6 mois permettra à tous ceux qui détiennent des CNI et qui n’ont pas d’adresse électorale de s’inscrire, il faut signaler que depuis 2018 cette révision ne s’est pas tenue.
Les délais entre l’inscription et la délivrance de la carte ne doit pas durer plus de 10 jours, la DAF devra prendre toutes les dispositions utiles à cet effet.
Cette révision permettra d’enrôler dans le fichier tous les citoyens et plus particulièrement les primo votants qui disposent d’une CNI et qui avaient des difficultés pour figurer dans le fichier électoral.
- La carte d’identité
Il faut revenir au système utilisé pendant la refonte, c’est-à-dire prendre au moment de l’inscription toutes les informations utiles pour la création de la carte nationale d’identité et l’enrôlement en même temps dans le fichier électoral. La durée pour la production de la carte ne doit pas excéder 10 jours.
Ceci allège le travail de la commission administrative qui ne s’occupera dans l’avenir que des cas de modification ou de suppression.
Cette proposition permettra d’intégrer dans le fichier des millions de citoyens en âge de voter et qui ont éprouvé des difficultés à se faire enrôler.
Elle permet également de mettre à niveau le fichier électoral pour les élections à venir et préparer si besoin en est le mode d’enrôlement automatique suggéré par les autorités après une étude approfondie.
- Parrainage
Le parrainage n’est pas un mauvais système pour la rationalisation des candidatures mais il faut nécessairement un large consensus des acteurs sur la loi qui détermine les conditions de validation, le logiciel d’application et le fichier utilisé pour les contrôles des parrains.
Le parrainage citoyen
Les résultats de ce système de parrainage aux élections de 2019, 2022 et 2024 prouvent que le nombre exigé par la loi est très élevé de même que le nombre de rejets au contrôle. En restant sur le pourcentage mini et maxi du nombre d’électeurs, le nombre de parrains exigé grossit d’élection en élection car le fichier électoral n’est pas figé, il enregistre de nouveaux électeurs d’année en année.
Il serait raisonnable de fixer le nombre de parrains requis à 20.000 et autoriser le candidat à présenter un maximum de 30.000 parrains, avec la contrainte d’avoir 1000 parrains dans au moins 7 régions.
Le parrainage par les élus
Pour ce système de parrainage, il faut revoir à la baisse le nombre de députés ou d’élus territoriaux exigés.
- 8 députés soit le 1/5 du nombre de députés à l’assemblée nationale qui est de 165 ou bien
- 30 chefs d’exécutifs territoriaux (maires et présidents de département) soit le 1/5 de leur nombre qui est de 600, avec la contrainte de 2 chefs d’exécutifs territoriaux au moins dans 7 régions.
CONCLUSION
Les solutions proposées ci-dessus permettent de disposer d’un fichier électoral dans lequel figurent toutes les personnes en âge de voter, de distribuer toutes les cartes en souffrance dans les commissions administratives.
Les acteurs qui le désirent pourront accéder au fichier en accord avec l’administration électorale.
Elles permettent également d’avoir un système de parrainage allégé, un logiciel de contrôle accepté de tous les acteurs ainsi que le fichier de référence utilisé.
Dans cette perspective, les élections qui seront organisées dans le court terme après une revue du code électoral pour corriger les dysfonctionnements et avec une DGE et une CENA ne subissant aucune pression de la part de la tutelle, ne souffriront d’aucune contestation.
A partir de ce moment des études pourront être menées pour parfaire la gouvernance du processus électoral suite aux décisions des autorités.
Youssou DAOU
Ingénieur Informaticien,
Expert électoral, Membre de GRADEC