«Il faut discipliner la composition du mbalax»
Dans le salon de sa villa à Nord Foire, simplement décoré, l'auteur-compositeur-interprète Yoro Ndiaye serre bien sa guitare entre ses mains et accepte le jeu de questions-réponses que lui propose EnQuête. L'occasion pour lui de revenir sur ses débuts en musique, l'opposition de son père à une carrière dans ce milieu, avec des appréciations sur le «mbalax» qu'il juge exportable sous certaines conditions. Sans oublier une fenêtre sur un prochain album dont la sortie est prévue en décembre.
Parlez-nous un peu plus de vous
Je suis un Baol-Baol né à Mbacké en 1974. J'ai commencé à faire de la musique à bas âge. A sept ans déjà, je commençais à chantonner dans les troupes de théâtre de ma ville natale. Et c'était pareil avec les troupes théâtrales de mon école aussi. J'ai continué ainsi jusqu'au lycée. Je profitais des opportunités avec les troupes théâtrales pour faire sentir ma voix. C'est au lycée que j'ai pris conscience de mes véritables atouts et j'ai pris la décision de devenir musicien. J'ai alors intégré l'orchestre régional de Diourbel pendant 2 ans. Par la suite, j'ai arrêté mes études alors que j'étais en classe de première pour retourner à Mbacké y entamer une carrière solo. J'y jouais de la guitare et j'animais différentes manifestations dont les cérémonies d'ouverture des foyers socio-éducatifs des écoles. A un stade, j'ai pensé n'avoir plus rien à prouver à Mbacké où il n'existait aucune infrastructure pouvant me permettre de progresser dans le métier. Alors, je suis venu à Dakar m'installer.
Cet exode rural était-il facile au début ?
C'était difficile. Il est vrai que j'ai des parents à Dakar mais vu que je faisais de la musique, je ne pouvais aller m'installer chez eux au risque de les mettre mal à l'aise. J'ai squatté chez des amis pendant un moment. J'ai été marchand ambulant, puis j'ai décroché un boulot au Club Med (NDLR : actuel Hôtel des Almadies). C'est à cette période que j'ai commencé à être stable sur le plan financier. Je jouais en même temps dans le bar.
On a l'impression que votre famille n'acceptait pas votre statut de musicien. Qu'en est-il aujourd’hui ?
C'est vrai, mon père n'était pas d'accord au début même s'il respectait mon choix. Avant moi, personne n'a fait de la musique dans ma famille. J'étais le premier à faire rentrer une guitare au sein dans notre famille. Jusqu'au moment où je vous parle (NDLR : l'entretien a eu lieu vendredi 2 novembre), le souhait de mon père est que je fasse autre chose que de la musique. Mais il sait bien que tel est mon destin. Je n'ai pas choisi de faire de la musique. Ça m'est venu comme ça. Je n'ai reçu aucune influence au sein de ma famille. Mon père respecte mon choix. Depuis que je suis un peu connu, je ne joue pas à Mbacké. Cela risque de faire du bruit et de déplaire à mon géniteur.
Vous êtes issu d'une famille maraboutique ?
Non pas maraboutique. Mais une famille ''talibé''. Moi, je suis né dans le mouridisme et mon père est connu comme étant un fervent talibé. Il ne veut pas voir le nom de son fils associé à certaines choses. Il y a des concerts qui sont organisés à Mbacké. Mais moi natif de cette ville et connaissant ses réalités, je ne dois ni ne peux faire comme eux.
''Baari saxaya'' et ''xarit'' vous ont propulsé aux devants de la scène musicale. Vous attendiez-vous à un tel succès ?
Non, pas du tout. D'autant plus que c'était une autoproduction. Rares sont les autoproductions qui ont un tel succès. Quelqu'un qui n'a jamais sorti de productions, s'il le fait une première fois et connaît un gros succès, c'est généralement parce qu'il est accompagné par un grand label. Ce qui n'est pas mon cas. Je me suis débrouillé seul. Je voyais la Main de Dieu dans tout cela.
Le mbalax marche bien au Sénégal. Pourquoi avez-vous choisi de faire de la variété ?
Il y a des gens qui font du mbalax et qui le font très bien. Je ne vais pas m'aventurer à verser dans une critique négative. A ce moment-là, il y avait Youssou Ndour qui marchait très fort, tout comme Alioune Mbaye Nder, Fallou Dieng, etc. Étant jeune, j'ai reçu d'autres influences. Je n'écoutais pas que le mbalax. J'avais comme idole Seal et Lokua Kanza. Ce dernier m'a vraiment poussé à faire de l'acoustique. A cette période, il y avait aussi l'album acoustique de Baaba Maal. Ce sont ces gens qui m'ont influencé. Je ne voulais pas faire comme tout le monde. Je voulais me démarquer des autres et sortir du lot.
Comment avez-vous découvert Seal et Lokua Kanza vu l'environnement dans lequel vous avez grandi et que vous avez tantôt dépeint ?
En fréquentant l'école et à travers des amis. Chez mes copains, on écoutait de la musique. Là, petit à petit j'ai commencé à m'attacher. J'avais la musique en moi et faisais des recherches sur tout ce qui m'accrochait. Cela m'a beaucoup plu.
Pensez-vous que le mbalax puisse être vendu ailleurs qu'au Sénégal ?
Oui, car le mbalax est une musique comme tout autre. Cependant, il faut respecter les normes internationales pour pouvoir l'exporter. Si certains Sénégalais aiment la musique américaine sans comprendre le sens des mots, c'est parce que les normes et arrangements ont été respectés. Si le mbalax est arrangé d'une manière universelle, il peut être vendu. Donc, il faut un peu plus de discipline dans les compositions. Il ne faut pas faire du mbalax ''une musique de feeling''. Il faut qu'on respecte les normes. Je crois que si tel est le cas, cela peut passer.
A part l'acoustique, quel autre genre musical vous attire ?
Je suis touche à tout. L'acoustique est une couleur musicale mais pas une musique en tant que telle. On a tendance à faire l'amalgame au Sénégal. On peut faire du mbalax en acoustique. Idem pour le blues et le reggae. Moi je fais du mbalax. Le titre ''xarit'', c'est du mbalax tout comme ''arwatam''. Par contre, je ne crée pas dans le mbalax. Je crée dans d'autres univers que j'amène vers le mbalax. Je peux créer une musique qui est à la base du ''dance hall'' que j'amène vers le mbalax.
On ne vous entend plus depuis la sortie de ''arwatam'' ?
''Arwatam'' est un single qui doit faire partie de mon prochain album. Je l'ai sorti juste pour annoncer la couleur. Là, je l'ai presque terminée, cette nouvelle production. Je suis en train de mixer les sons. L'album va sortie d'ici décembre incha Allah.
Il va être composé de combien de titres ?
On a fait une vingtaine de titres. Cela ne signifie pas qu'ils figureront tous dans l'opus. On va tous les soumettre en commission d'écoute et les plus aptes pour le marché local vont être sortis. Nous, on vise le marché international pour le reste. Il y a des fans qui sont impatients de me voir sortir une production. On se presse pour eux, mais il faut plus de temps pour cela avec les réglages de la distribution et autres.
Quel est le titre de ce deuxième album et y aura-t-il des featurings ?
Le titre c'est ''Laamiso'' et il est prévu des featurings dedans. Mais je ne pourrais avancer de noms tant que les concernés n'ont pas posé leurs voix. Sachez juste qu'il y a de grands artistes qui doivent y prendre part. Il y a Tony Black Man qui a déjà posé sa voix. On a invité plein d'instrumentistes aussi. Jean Philippe Rykiel a joué deux sons en plus du batteur de Xalam 2 Abou Lô, Lamine Faye, Oumar Sow et Mao Otayeck.
Lors de la présidentielle organisée au Sénégal en février et mars derniers, vous aviez sorti un single intitulé ''mister politicien''. Comment appréciez-vous la gestion actuelle du pays ?
Je fais comme tout le monde. On attend. Ce gouvernement-là n'a pas encore fait grand-chose. On n'a pas senti un grand changement. Mais six mois, c'est encore tôt pour se prononcer. Les populations attendent beaucoup des gouvernants. Il y a plein d'inquiétudes. Les prix des denrées de première nécessité continuent à augmenter. On espère voir des progrès à ce niveau, des emplois créés pour les jeunes, et que la culture se développe. Le Sénégal compte plein d'artistes pétris de talents, mais c'est difficile.
Un nouveau ministre de la Culture vient d'être nommé, qu'attendez-vous de lui ?
Ce monsieur-là, je ne le connais pas. Espérons qu'il apportera des changements dans le secteur.
Par BIGUÉ BOB
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