Le cancer des usines de farine de poisson
Le secteur de la pêche était l’un des plus vivants de l’économie sénégalaise. Depuis plusieurs années, les pêcheurs et les transformateurs de produits halieutiques sont gagnés par le désespoir du fait, entre autres, de l’implantation des usines de farine de poisson sur le sol sénégalais. Un non-sens absolu qui pousse plusieurs acteurs au chômage, d’autres à l’abandon du métier.
C’est la guerre de survie entre les acteurs de la pêche et les usines de farine de poisson. En effet, les premiers estiment que les seconds ont un effet gênant dans leur profession. Abdou Karim Sall, Président de la Plateforme des pêcheurs artisanaux du Sénégal (Papas), en a fait le reproche lors d’une rencontre organisée à Saly Portudal. ‘’Les usines de farine de poisson implantées au Sénégal ont un impact très négatif pour la population. Nous sommes plus de 16 millions d’habitants. D’année en année, on est en train de perdre le stock. Cela est dû aux usines de farine de poisson qui sont implantées dans le pays et elles sont au nombre de 11’’, dénonce-t-il.
Monsieur Sall d’ajouter : ‘’Les femmes qui travaillent dans la transformation n’arrivent plus à exercer à cause de ces usines. L’émigration clandestine est également liée à ces usines. Greenpeace et Papas ont alerté, depuis plus de 10 ans, que si on laissait les usines continuer à s’implanter en transformant des tonnes de poisson, nous aurons des eaux en désuétude qui n’auront plus de poisson et s’il y a plus de poisson, les jeunes vont migrer et c’est la situation actuelle que nous vivons.’’
Pire, prédit le président de la Papas, ‘’d’ici quelques années, les populations n’auront plus de poisson pour se nourrir à cause de ces usines de farine et d’huile de poisson’’.
Pour lui, la responsabilité de l’État dans cet état de fait est totale, puisqu’il n’arrive pas à maîtriser la situation. Dans ce sens, indique-t-il, ‘’cela fait deux ans, il y avait plus de 50 035 t qui ont été débarquées au Sénégal. Et depuis un an, ça fait moins de 30 000 t qui ont été débarquées au Sénégal. Ce qui montre que le stock est en train de s’épuiser. Et une des causes principales, ce sont les usines de farine de poisson. Le Sénégal consomme entre 25 000 et 26 000 t de poisson par an et si on n’y prend pas garde, nous n’aurons plus de poisson pour se nourrir’’.
Ainsi, ces acteurs exigent l’arrêt de l’implantation de ces usines de farine et d’huile de poisson. Et pour y arriver, ils ont bénéficié d’une formation pour renforcer leurs capacités sur les textes réglementant l’implantation des usines de farine et d’huile de poisson au Sénégal, grâce à un partenariat avec Greenpeace, dans le cadre du projet ‘’Notre poisson’’.
S’exprimant dans ce cadre, Abdoulaye Ndiaye, chargé de campagne à Greenpeace Afrique, ajoute : ‘’On voit que les poissons baissent de plus en plus. Si on va au niveau des côtes, on se rend compte que les poissons baissent de plus en plus. C’est pourquoi Greenpeace avait porté le plaidoyer à travers une campagne ’Sama jen’. Et lors de cette tournée, il est ressorti que l’impact de cette rareté est dû en grande partie à l’implantation de ces usines de farine de poisson. Et puisque ces usines sont nocives pour les populations et que ça détruit les métiers des femmes, principalement celles qui transforment le poisson, on s’est dit qu’il était important de renforcer les capacités des acteurs pour qu’ils puissent connaître quels sont les textes et règlements qui leur permettent de lutter contre ces usines’’.
Il précise que ce projet accompagne les pêcheurs au niveau de la Mauritanie, du Sénégal et de la Gambie pour qu’ils puissent mieux maîtriser les textes réglementaires encadrant l’implantation des usines de farine et d’huile de poisson au niveau de ces trois pays. ‘’C’est dans ce cadre que nous appuyons la Plateforme des acteurs de la pêche artisanale du Sénégal pour qu’elle puisse mieux maîtriser les textes réglementaires. En dehors de cette plateforme, nous appuyons aussi toutes les autres coalitions qui luttent contre les usines de farine et d’huile de poisson au Sénégal’’, indique M. Ndiaye.
IDRISSA AMINATA NIANG (Mbour)