Plus de slogans que de programmes !
Entre les propositions farfelues, les prétentions démesurées, les hors-sujets et autres considérations d’ordre général, les coalitions en lice pour les Législatives semblent peu se soucier de la nécessité d’un programme formel pour convaincre les électeurs. En dehors d’Aar Sénégal, quelques bribes dans certaines listes, la plupart des candidats n’ont pas de programme structuré, avec des engagements quantifiables et mesurables.
C’est parti pour la campagne électorale des Législatives du 31 juillet 2022. D’ores et déjà, les différents candidats sont allés à l’assaut des électeurs dans les coins et recoins du territoire national. Pour le moment, ils sont très peu nombreux à vendre aux Sénégalais un projet de société digne de ce nom. Si les uns comptent convaincre par des invectives contre l’actuel régime, les autres (le camp du pouvoir) comptent s’adosser sur le bilan de ce dernier pour continuer à conserver leur majorité.
Mais quelle Assemblée nationale veulent-ils pour le Sénégal ? En dehors de quelques considérations d’ordre général, il y a peu de propositions concrètes de la part des différentes listes en compétition pour une transformation véritable de l’Assemblée nationale.
Aux termes de l’article 59 de la Constitution, l’Assemblée nationale exerce le pouvoir Législatif. Elle vote, seule, la loi, contrôle l’action du gouvernement et évalue les politiques publiques. De tout temps, l’Assemblée nationale du Sénégal n’a semblé maitriser qu’une seule de ses fonctions : voter systématiquement les lois à elle soumises par le gouvernement. Rarement, elle use des différents leviers que lui confère le règlement intérieur pour exercer un contrôle réel sur l’Exécutif. Parmi ces leviers, il y a, aux termes de l’article 92 du règlement intérieur susvisé, les questions écrites, les questions d’actualité et les questions orales.
Outre ces mécanismes, l’Assemblée nationale dispose d’autres leviers pour avoir l'œil sur l’action du gouvernement, mais rarement elle les utilise avec efficacité et efficience. Il en est ainsi de la possibilité de constitution de commissions spéciales temporaires, notamment chargées d’une mission d’étude ou d’information pour un objet déterminé, mais également de la mise en place de commissions d’enquête. Et sur ces deux registres, la législature qui vient de finir sa mission a été très pauvre. Et plus que jamais, il se pose la question de savoir que comptent faire les différentes coalitions pour relever le niveau de l’Assemblée nationale dans ces domaines essentiels qui constituent le cœur de métier du Parlement ?
S’il y a une coalition qui se démarque de par ses propositions quantifiables et mesurables, permettant à l’électeur de suivre et d’évaluer ultérieurement le respect des engagements, c’est bien la coalition Aar Sénégal. Dans une démarche assez innovante, les camarades de Thierno Bocoum proposent, dans leur programme intitulé ‘’Le 14/14’’, quatorze réformes majeures pour une quatorzième législature de rupture. Les deux premiers chapitres de ce programme portent sur le fonctionnement (I) et l’efficacité (II) parlementaires.
En ce qui concerne le volet Fonctionnement parlementaire, ceux qui incarnent la troisième voie préconisent quatre engagements forts, après avoir regretté de nombreux dysfonctionnements dans la législation actuelle. Parmi ces dysfonctionnements, il y a l’absence d’obligation de passer par appels d’offres pour conclure des marchés ; une gouvernance qui exclut les minorités ; l’opacité dans la gestion des fonds politiques du président de l’Assemblée. Pour y remédier, ils préconisent, premièrement, l’application du principe de la transparence par le renforcement du rôle de la Commission comptabilité et contrôle, afin que chaque denier dépensé puisse être justifié et retracé ; l’attribution de droit de deux postes de vice-président à l’opposition ; la désignation d’un membre de l’opposition pour la présidence de la Commission des finances, pour éviter des connivences et gaspillages ; la soumission des fonds politiques aux principes de transparence et de la comptabilité.
Pour ce qui est de l’efficacité parlementaire, trois propositions majeures ont été faites par Aar Sénégal. Parmi ces mesures fortes, il y a la réduction à 10 du nombre de députés qu’il faut pour constituer un groupe, contrairement aux 16 actuellement exigés. Ensuite, ils promettent de transformer en obligation le recrutement d’assistants parlementaires qui n’est jusque-là qu’une simple faculté. Last but not least, Abdourahmane Diouf et Cie s’engagent à mettre un terme à tout cumul de postes électifs et/ou nominatifs.
Si leur volonté se matérialise, il n’y aura plus ni député-maire, ni député-président de conseil départemental, ni ministre-maire... Il faudra pour tout le monde choisir le poste auquel il veut servir la population. La liste de Thierno Alassane Sall a, par ailleurs, pris des mesures importantes, du point de vue de la redevabilité et de la rationalité parlementaire.
Pendant ce temps, dans les autres coalitions, on a surtout l’impression d’être dans une élection présidentielle. Si ce n’est des généralités par rapport à l’échec ou les performances de l’Assemblée nationale, c’est surtout le bilan autour des réalisations de l’actuel régime.
Interpellé sur leurs engagements pour changer le visage du Parlement, le mandataire national et porte-parole de la coalition Yewwi Askan Wi, Déthié Fall, a préféré s’emmurer dans le silence. À ce jour, nous n’avons vu aucun document de référence qui parle du programme de Yewwi Askan Wi, au cas où la liste obtiendrait une majorité à l’hémicycle. Plus tard dans la soirée, Dr Cheikh Tidiane Dièye nous dira qu’ils sont en fait en train de travailler dessus et que ce sera disponible dans les heures qui viennent. Il en est de même de la quasi-totalité des listes en présence où le programme ne semble pas être une priorité.
Pour ce qui est de la coalition de la majorité présidentielle, le discours se résume surtout aux réalisations du président de la République. Très peu de déclarations sur le fonctionnement de l’Assemblée nationale, les enjeux de contrôle de l’action du gouvernement, de l’évaluation des politiques publiques, entre autres. Pour eux, l’objectif principal reste d’accompagner leur chef dans la mise en œuvre de ses politiques.
À la place d’un contrat collectif qui engage sa coalition, Aliou Sow, membre de la coalition Bokk Gis Gis Liggey a, lui, préféré parler de ses engagements personnels. Dans un document intitulé ‘’Serment patriotique parlementaire’’, l’ancien ministre décline sa vision ‘’personnelle’’ en marge de sa coalition. Relativement au fonctionnement du pouvoir Législatif, le candidat préconise, pêle-mêle, la réduction du nombre de députés pour faire un groupe parlementaire, des sanctions pécuniaires pour les députés absentéistes… D’autres sont plus hypothétiques et plus difficiles à mesurer. Elles vont des tournées parlementaires de restitution aux ateliers citoyens législatifs, en passant notamment par ce qu’il appelle une commission permanente dénommée commission des pétitions citoyennes et les propositions de loi régulières dans les domaines prioritaires.
AIR DE CAMPAGNE Conscients de l’avance de leur coalition sur cette question du programme, la coalition Aar Sénégal ne manque pas de lancer des pics en défiant ses concurrents. Hier, lors de son passage à la RTS, Abdourahmane Diouf a dit à qui veut l’entendre : ‘’Nous voulons une Assemblée de rupture, avec Aar Sénégal comme liste majoritaire. C’est pourquoi nous avons tenu à vous soumettre ce contrat de législature, parce que nous respectons les Sénégalais…’’ Selon lui, il n’est pas fréquent, au Sénégal, de voir des candidats aux Législatives réfléchir à un programme concret comme ils ont su le faire. ‘’Actuellement, des huit coalitions en compétition, nous n’avons pas encore vu une seule qui a présenté un contrat de législature…’’. Le docteur Abdourahmane Diouf, a dans la même veine, développé certains engagements contenus dans le programme intitulé : ‘’Le 14/14’’, en référence à leurs 14 engagements et à la 14e législature à venir. Loin de ce débat d’idées autour des programmes, la coalition Yewwi Askan Wi semble, depuis le début de la campagne, mettre l’accent sur l’enjeu de ces élections pour la Présidentielle de 2024. Selon les amis d’Ousmane Sonko, la volonté de l’actuelle majorité est de tout faire pour donner à Macky Sall la possibilité de se présenter en 2024. Donner à Macky Sall une majorité à l’Assemblée nationale, c’est l’encourager à aller au bout de son ambition d’un troisième mandat. Ameth Aidara, qui a parlé, hier, en leur nom, a déclaré : ‘’Tout ce que veut le président Macky Sall et ses soutiens, c’est avoir une majorité à l’Assemblée nationale pour faire passer la troisième candidature. Ce qui est impossible et l’intercoalition Yewwi-Wallu va lui barrer la route.’’ Le maire de Guédiawaye est en outre revenu sur la nécessité d’assainir le Parlement avec de nouveaux députés compétents et ambitieux, à la place des parlementaires actuels qui passent leur temps à voter des lois soumises par le pouvoir Exécutif. Pour sa part, la tête de liste des Serviteurs, Pape Djibril Fall, est surtout dans la peau d’un candidat à l’élection présidentielle, avec des propositions très ambitieuses dans divers secteurs. Par exemple, sur le plan agricole, il estime que le gouvernement manque d’ambition et de vision ; que l’objectif de sa coalition, c’est de mécaniser davantage les acteurs. En sus de ses propositions qui frisent parfois la démesure et le hors-sujet, M. Fall aime également revenir sur la proposition plus réaliste de rendre effective l’action du gouvernement et l’évaluation des politiques publiques. Toujours sur le plan agricole, il déclare : ‘’Le gouvernement a prévu d’injecter 70 milliards pour la campagne agricole. Nous pensons que c’est un manque de vision et d’ambition de ce gouvernement. Le pire, c’est que nous n’avons pas entendu l’Assemblée nationale évaluer ce qui a été injecté dans la campagne précédente. Ce qui n’est pas normal. Si on prend bien en charge cette question, on peut arriver à assurer la souveraineté alimentaire du Sénégal.’’ (AVEC LA RTS) |
MOR AMAR