Publié le 28 Feb 2023 - 22:57
ÉTUDE SUR L’INFANTICIDE ET L’AVORTEMENT AU SÉNÉGAL

Les chiffres du mal

 

Pour avoir une idée exacte des motifs qui poussent des femmes à l’avortement clandestin ou à l’infanticide, une étude a été menée entre septembre et octobre derniers, par le comité de plaidoyer pour l’accès à l’avortement médicalisé en cas de viol et d’inceste (Task force) avec l’appui de l’ONG Planned Parenthood Global (PPG). Les résultats ont été portés à la connaissance du public.

 

Le partage de l’étude sur la situation des femmes incarcérées pour infanticide ou avortement clandestin au Sénégal, commanditée par le Comité de plaidoyer pour l’accès à l’avortement médicalisé en cas de viol et d’inceste (Task force), avec l’appui de l’ONG Planned Parenthood Global (PPG), a eu lieu avant-hier.

D’après le document parcouru par ‘’EnQuête’’, l’étude se justifie par le fait que beaucoup d’initiatives au Sénégal, depuis Maputo, ont été prises sans que la législation soit réformée pour permettre aux femmes victimes d’inceste ou de viol, d’interrompre leur grossesse. Les obstacles culturels et religieux, selon la même source, sont parmi les plus grands défis dans ce domaine, en dépit du fait qu’il s’agit d’une question de santé publique. 

224 femmes détenues dans 14 établissements pénitentiaires

Les résultats ont montré qu’au moment de l’étude, sur les 37 établissements pénitentiaires que compte le pays, seuls 14 établissements pénitentiaires abritaient des femmes incarcérées pour infanticide ou avortement clandestin. Que sur les 244 femmes détenues dans l’ensemble de ces établissements pénitentiaires, 59 (24,18 %) ont été concernées par l’objet de l’étude. Parmi ces dernières, 54, soit 91,5 %, sont poursuivies pour infanticide et cinq, soit 8,5%, pour avortement clandestin. 

‘’Le nombre de femmes détenues pour ces deux infractions est cependant faible par rapport aux données des autorités étatiques (Direction de la Santé de la mère et de l’enfant du ministère de la Santé et de l’Action sociale) : plus de 30 000 cas d’avortement par an (2020). Également, le nombre de femmes incarcérées pour ces deux faits ne représente que 18,51 % de la population féminine en milieu carcéral’’, lit-on dans la même source.

En effet, pour mieux soutenir tout processus de plaidoyer dans ce sens, il était important, selon les initiateurs de l’étude, de s’intéresser, au-delà des autres défis, aux femmes emprisonnées pour avortement ou infanticide, en lien avec un acte de viol ou d’inceste.

Ainsi, cette étude, souligne le document, pourrait contribuer à la facilitation du processus de mise en conformité du Sénégal avec ses engagements juridiques internationaux en matière de droits des femmes. Elle pourrait aussi évaluer l’ampleur des phénomènes de l’infanticide et de l’avortement clandestin au Sénégal, ressortir les causes essentielles de l’infanticide et de l’avortement clandestin, évaluer la stratégie de riposte contre l’infanticide et l’avortement clandestin mise en place par les autorités sénégalaises, évaluer le taux de mortalité et de morbidité des femmes en lien avec la pratique de l’avortement clandestin.

Car, en faisant ressortir les statistiques sur le nombre de femmes en milieu carcéral pour infanticide ou avortement clandestin, elle a  identifié les causes essentielles de l’infanticide et de l’avortement clandestin au Sénégal, les conséquences de l’infanticide et de l’avortement clandestin au Sénégal.

L’étude s’est, en outre, intéressée à l’Administration pénitentiaire, en cherchant à savoir si elle dispose d’une stratégie d’accompagnement des femmes condamnées pour infanticide ou avortement clandestin ; s’il y a une stratégie ou des actions de sensibilisation des femmes incarcérées pour infanticide ou avortement sur les questions liées à l’infanticide ou l’avortement clandestin et de voir si l’infanticide et/ou l’avortement clandestin sont débattus en public au sein des prisons.

Origine et moyenne d’âge des femmes

De ce fait, le document renseigne que la majorité des femmes concernées, soit 61 %, est issue des autres régions du Sénégal, 6,8 % de Dakar périphérie et 27,1 % de Dakar banlieue. Parmi cette population carcérale, on compte quatre étrangères, dont deux Guinéennes, une Malienne et une Nigériane, et 55 Sénégalaises. 66,1 %, selon le rapport, ont un âge supérieur à 22 ans, avec une fille de 16 ans, la plus jeune, et la plus âgée avait plus de 30 ans.

Sur le statut conjugal des femmes, l’étude a révélé que 47,5 % des femmes sont issues de familles polygames. Le groupe comptait 22 femmes célibataires, 22 femmes mariées et 15  divorcées. Parmi elles, 46 ont au moins un enfant en charge et 13 n’en ont pas.

Le rapport a montré que, concernant le niveau de scolarisation des femmes, 10 ont un niveau primaire, 13 du niveau collège, trois du niveau cycle secondaire, quatre universitaires, deux qui sont d’instruction coranique et 27 sont sans instruction.

S’agissant de leur situation professionnelle, 28 exerçaient une activité professionnelle avant leur détention, 30 étaient restées sans emploi, une n’a pas voulu répondre à la question.

Les facteurs et les causes de l’infanticide et de l’avortement clandestin

L’étude s’est intéressée aux facteurs et aux causes de l’infanticide et de l’avortement clandestin. Selon le personnel de l’Administration pénitentiaire, les principaux facteurs à l’origine sont, dans l’ordre : l’ignorance (75 %), le manque de morale (61,1 %), le manque de valeurs (55,6 %), la pauvreté ou les conditions sociales précaires (47,2 %).

L’étude précise que la somme des pourcentages est supérieure à 100 %, du fait de la possibilité offerte de fournir des réponses multiples (six au maximum).

Ainsi, au titre des causes, d’aucuns pensent que l’acte d’avortement ou d’infanticide est commis principalement par peur ; d’autres soutiennent que ces actes sont dus à l’adultère. Certains évoquent le viol, la pauvreté et l’inceste. 16,7 % soutiennent en ignorer les raisons.

Pour le corps soignant, les principaux facteurs sont l’ignorance, le manque de morale, le manque de valeurs, en raison de la pauvreté ou de conditions sociales précaires. ‘’Pour les principales causes, 66,7 % pensent que l’acte d’avortement ou d’infanticide est commis principalement par peur ; 58,3 % affirment que le viol est à l’origine de ces actes ; 50 % considèrent que c’est la pauvreté ; 41,7 % estiment que c’est l’adultère et 41,7 % que c’est l’inceste. 8,3 % pensent que d’autres considérations peuvent être à l’origine de ces actes d’avortement clandestin ou d’infanticide comme l’exclusion sociale’’, renseigne le document.

Selon les détenues, 30,5 % soutiennent ne pas savoir pourquoi elles ont commis l’acte d’avortement ou d’infanticide ; 27,1 % déclarent avoir commis cet acte par peur ; 11,9 % affirment avoir été victime de viol ; 10,2 % déclarent que c’est à cause de l’adultère. 15,3 % des détenues interrogées évoquent d’autres considérations telles que l’ivresse, la mort naturelle de l'enfant, l’abandon du partenaire ; 1,7 % pour des raisons de santé et 1,7 % pour pauvreté.

Les mille et une conséquences

L’étude, d’une manière générale, a montré que les conséquences tournent essentiellement autour de l’abandon des études, la perte d’emploi et l’exclusion sociale, les comportements déviants (délinquance, révolte, banditisme), la stigmatisation au sein de la famille et de la société, l’exclusion sociale et le manque d’éducation des enfants en charge.

En effet, les détenues avec des enfants en charge pensent qu’étant en prison, personne ne s’occupera du suivi qu’il faut pour leurs enfants.

La majorité des détenues, du personnel de l’Administration pénitentiaire et du corps soignant ont cité deux ou trois conséquences.

S’agissant des responsabilités dans la commission des actes, du côté des agents de l’Administration pénitentiaire, l’étude a révélé que 30,6 % considèrent que les parents sont responsables, 75,0 % pensent que ce sont les jeunes eux-mêmes qui sont responsables, 8,3 % estiment que c’est l’école et 61,1 % affirment que c’est la société.

Pour le corps soignant, 50 % des responsabilités sont liées aux parents, aux jeunes (91,7 %), à l’école (25,0 %) et à la société (83,3 %).

Pour les détenues, les responsabilités incombent aux parents (28,8 %), à l’école (5,1 %) et à la société (32,2 %).

Les recommandations de l’étude

En vue d’un plaidoyer efficace pour l’autorisation de l’avortement médicalisé suite à un viol, un inceste ou en cas de danger de la vie de la mère ou pour l’éradication du phénomène de l’infanticide, des recommandations ont été faites. Les acteurs demandent de partager les résultats de l’étude avec les plus hautes autorités de l’État (président) et avec les personnes influentes (ex : parlementaires), de faciliter l’appropriation des données probantes de l’étude par les acteurs institutionnels et de la société civile afin de renforcer le plaidoyer et informer la conception et la mise en œuvre de solutions efficaces pour l’accès à l’avortement médicalisé.

Ils souhaitent aussi que la réflexion soit engagée sur les mécanismes à mettre en place pour valoriser le plus possible la voix des personnes concernées et leurs perceptions de la loi. Les acteurs veulent aussi intégrer les stratégies de prévention dans les activités de chaque acteur, en se basant sur les résultats de l’étude ; élaborer des supports supplémentaires de sensibilisation avec les informations tirées de l’étude ; installer un dispositif de plaidoyer mettant à contribution les leaders d’opinion, renforcer le partenariat avec le ministère de la Justice pour l’élaboration-révision des textes juridiques relatifs à l’avortement médicalisé.

Également, tout le monde s’accorde à dire qu’il faut renforcer le partenariat avec le ministère de la Famille pour améliorer le contenu, renforcer le partenariat avec le ministère de l’Éducation pour la sensibilisation dans les écoles et encourager les poursuites judiciaires contre les agresseurs sexuels.

En outre, autorités et décideurs sont invités à développer des actions de prévention, d’assurer la conformité de la législation sénégalaise en matière d’avortement avec les engagements pris au niveau international (notamment Maputo) ; à mettre en place des mesures nécessaires pour l’application sévère des peines aux agresseurs ; à renforcer l’inclusion des soins de santé sexuelle et reproductive dans les plans, les stratégies et les budgets pour parvenir à une couverture sanitaire universelle, en s’assurant de garantir l’accès aux soins aux personnes marginalisées et vulnérables.

CHEIKH THIAM

Section: