«Si on les laisse dans la nature, ils ne reviendront plus»
Me El Hadji Diouf, député et secrétaire général du Parti des travailleurs du peuple, se prononce sur la volonté de l'État de ne pas laisser voyager les responsables libéraux concernés par la traque des biens mal acquis.
Comment analysez-vous le débat autour de la traque des biens mal acquis ?
En tant que député et chef de parti, je pense que le problème est très mal posé par ceux-là qui sont poursuivis. De façon très intelligente, ils tentent de détourner l'opinion de l'essentiel qui ne se trouve pas dans l'interdiction de sortie du territoire national, ni dans le fait que leur immunité parlementaire ait été levé. L'essentiel pour les Sénégalais, c'est le retour des biens, de l'agent du contribuable. Les milliards cachés quelque part et acquis de façon illicite doivent être retournés aux Sénégalais. Avec l'histoire de sortie ou non du territoire, on fausse le débat. Ce sont les biens mal acquis que l'on réclame. Donc le débat est beaucoup plus politique que juridique.
Les personnes concernées ont-elles tort de poser ce débat politique, étant entendu que la Cour de justice de la Cedeao a posé une question de droit, en pointant les manquements du Sénégal dans la mesure d'interdiction qui pèse sur les responsables libéraux ?
On ne peut pas leur reprocher de poser ce débat, mais vouloir coûte que coûte ne retenir que cela fausse le débat. Parce que le président Macky Sall l'a dit : s'ils retournent 80% de ce qu'ils ont pris, on peut leur concéder les 20%. Ces gens sont poursuivis, comment peut-on les laisser libres, quand on leur réclame des milliards ? Ils peuvent disparaître ! S'il est vrai qu'il y a des erreurs à corriger, toutefois, on ne doit pas profiter de cette situation pour se présenter en victimes alors que la véritable victime, c'est le peuple sénégalais. L'argent des Sénégalais ne peut pas être passé par pertes et profits. C'est très intelligent de leur part de manipuler l'opinion et de focaliser l'attention sur des erreurs qui ont été faites et qui ont été reconnues par les autorités judiciaires, pour essayer de les corriger. Des gens doivent répondre de leurs actes.
S'ils ne remboursent pas, s'ils refusent de transiger, le Sénégal sera obligé de poursuivre la procédure. C'est comme les voleurs qui crient ''Au voleur !''. C'est de la victimisation. Si on les laisse dans la nature, ils ne vont plus revenir. Ils vont cacher les biens, les dilapider. Cette demande montre même qu'en réalité, ils ont des choses à se reprocher. Parce qu'ils auraient pu dire qu'ils ne veulent pas sortir. Ils sont là à la disposition de la justice. Après investigations, on verra qu'ils n'ont rien pris de façon illégale et illicite. Mais vouloir coûte que coûte partir, cela sous-entend qu'ils veulent échapper à la justice. Par ailleurs, ils disent qu'ils ne vont pas passer devant cette Crei, mais devant la Haute cour de justice. Ils ne nient pas, en fait, il s'agit d'une reconnaissance même. C'est un aveu. Cette cour est compétente pour juger tous ceux qui se sont enrichis de façon illicite.
Me Aïssata Tall Sall estime que ''la loi sur l'enrichissement illicite est désuète et juridiquement hors normes''. Partagez-vous cette analyse ?
Je m'inscris en faux contre cette position. C'est une loi qui existe et qui a permis de juger à l'époque des Sénégalais qui ont été condamnés. Des gens sont morts, certains ont eu peur d'occuper des postes dans cette cour. Cette loi a été votée pour traquer tous ceux qui se sont enrichis de manière illicite. Abdoulaye Wade, pendant 12 ans, avait la latitude d'abroger cette loi. Une loi, tant qu'elle n'est pas abrogée, a vocation à s'appliquer. C'est le fait de ne pas l'appliquer qui constitue un délit. Par conséquent, tous ceux qui ne peuvent pas justifier l'origine licite de leurs biens sont passibles de cette loi.
PAR Gaston COLY